Nouveaux fragments grecs (Nahal Hever)
La nouvelle est en train de faire le tour du monde : l’Israel Authority Antiquity a annoncé ce mardi 16 mars avoir mis au jour de nouveaux fragments des manuscrits de la mer Morte. Il s’agit en l’occurrence d’environ 80 fragments des douze petits prophètes (notamment Zacharie 8.16–17 et Nahum 1.5-6), datés du tournant de notre ère. Ils font probablement partie d’un manuscrit bien connu le 8HevXIIgr (publié dans le DJD 8 ; cf. ici) qui a la particularité de transcrire le nom divin en paléo-hébreu, et que l’on considère comme témoin d’une « révision hébraïsante » :
Les fouilles visent à préserver le secteur des pilleurs d’antiquités, comme celui que vous pouvez apercevoir sur ces images 😉
Les archéologues ont par ailleurs sorti de terre divers artéfacts très anciens (paniers), ainsi qu’un squelette d’enfant (d’où le nom de la « cave des horreurs » car on y avait déjà trouvé bon nombre d’autres restes humains), et quelques objets de l’époque de la révolte de Bar Kokhba (132-136 AD).
Sources : The Times of Israel – Le Monde – APNews – ETC – INN
UBS MARBLE : SDGNT/SDBH
C’est un problème bien connu des exégètes : les gloses proposées dans les dictionnaires de grec ou d’hébreu/araméen bibliques sont un pis-aller. D’une langue à l’autre, les « mailles » ne correspondent pas nécessairement et l’usage des gloses est de ce fait problématique à bien des égards : Lee, A History of New Testament Lexicography (2003) l’a bien montré pour le NT, et c’est bien entendu valable pour l’AT. Pour pallier à cette insuffisance, le seul moyen est de produire un réel dictionnaire : c’est-à-dire un ouvrage proposant des définitions plutôt que des équivalents de traduction plus ou moins contestables.
Louw et Nida, en pionniers, ont publié le fameux Greek-English Lexicon of the New Testament based on semantic domains (1988), qui a été la première tentative en ce sens. Ce n’est pas l’alpha et l’oméga des dictionnaires de grec biblique, mais son approche va dans le bon sens et est restée pratiquement sans équivalent. On ne peut guère mentionner que deux initiatives comparables, mais de moindre ampleur : le Dictionnaire grec français du Nouveau Testament (2016, 2e éd.) de Cochrane (bien plus modeste), et une série de fascicules parus sous la houlette de l’Université de Cordóba et dirigés par J. Mateos et J. Peláez, Diccionario Griego-Espanol del Nuevo Testamento (2002 ss) (en cours et bien loin d’être terminé). Les auteurs ont l’ambition de proposer une méthode scientifique d’analyse sémantique ; ils l’ont décrite dans deux ouvrages, qui ont été traduits en anglais et réunis dans le volume New Testament Lexicography (2018). C’est une méthode assez sophistiquée, et ingénieuse, qui a un mérite notoire : sortir de l’approximatif et de l’arbitraire. Pour l’hébreu, la seule initiative en ce sens est celle initiée en 2000 et dirigée par de Blois, Semantic Dictionary of Biblical Hebrew.
Pour l’hébreu on connaissait donc le Semantic Dictionary of Biblical Hebrew (SDBH) depuis quelques temps déjà, puisque l’UBS l’avait mis en ligne, le mettant à jour au fur et à mesure de sa progression. Or voilà qu’un projet dit MARBLE, Modular Aggregation of Resources on the Bible, a eu la bonne idée d’y adjoindre le Louw-Nida (sous l’appellation : Semantic Dictionary of the Greek New Testament, SDGNT), en profitant de l’occasion pour moderniser significativement l’interface, et, oh bonheur, d’en livrer une version française relativement bien aboutie !
Le SDGNT se consulte soit directement depuis le texte biblique du Nouveau Testament, soit depuis un encart dédié. On remarquera avec joie que l’interface propose en fait le texte grec de l’UBS4 ainsi que le texte français de la NBS lemmatisés. Un survol du curseur sur le texte grec ou français déclenche la surbrillance (en rouge) du terme grec/français parallèle. La lemmatisation est de bonne qualité et n’est pas fondée sur les numéros Strong comme trop souvent, mais bien sur les lemmes.
Le NT se parcourt par chapitres, et l’outil propose parfois de visualiser des images en lien avec le passage en cours. Par exemple en Eph 3.1 il est possible de consulter un visuel en rapport avec l’apôtre Paul.
Cette fonctionnalité n’est pas sans rappeler l’ouvrage édité par l’UBS, R. Pritz, The Works of Their Hands – Man-made Things in the Bible (2009) qui vise à munir les traducteurs d’informations pratiques sur les realia des temps bibliques. Outil à ne pas négliger !
Il est aussi possible de consulter le SDGNT directement. Pour cela il faut passer par l’onglet Rechercher, puis saisir le mot grec en Unicode.
Et là, merveille ! Il s’agit d’une définition du Louw-Nida, en français. On peut alors cliquer sur le domaine principal ou le sous-domaine (ici « Musical Instruments » qui n’est pas traduit) pour explorer les différents termes d’un même champ sémantique. La recherche directement par domaines sémantiques ne semble pas fonctionner en français, mais elle est disponible en anglais.
C’est le même principe qu’avec le SDGNT ; l’outil propose en plus l’analyse morphologique.
Cet outil extrêmement réjouissant n’est hélas pas complet. Lorsqu’une entrée manque, seule l’analyse morphologique est fournie. Le système de surbrillance permet aller de déterminer un sens de base.
Le texte biblique est de même relié à des visuels.
C’est aussi le cas du Dictionnaire lui-même, par ex. pour les termes גמל et קב.
On ne peut que souhaiter longue vie et prospérité à cet outil extraordinaire. Il constitue pour moi la substantifique moelle de ce que doit être une consultation biblique profitable : une connexion directe entre le sens lexical des termes et les realia qu’ils désignent.
Comme il n’y a pas tant de dictionnaires d’hébreu biblique sur le marché, la sortie d’un nouvel ouvrage suscite toujours une certaine curiosité. En l’occurrence l’éditeur GlossaHouse vient de faire paraître l’ouvrage de Frank Matheus, A Biblical & Aramaic Lexicon (GlossaHouse, 2020), qui est la traduction de l’ouvrage allemand PONS Kompaktwörterbuch Althebräisch-Deutsch (Pons GmbH, 2015). J’ai déjà présenté un des titres de cette maison d’édition spécialisée dans les langues bibliques, à savoir le petit manuel de vocabulaire visuel According to their kinds, et j’avais évoqué leur série sur les livres bibliques illustrés que je n’ai pas eu l’occasion de présenter formellement, mais qui est d’un réel intérêt (aussi bien ludique que pédagogique). C’est ce même éditeur qui propose le Koine Greek Grammar de F. Long, que j’ai également signalé dans un précédent billet.
Frank Matheus’s A Biblical Hebrew and Aramaic Lexicon (BHAL) is a comprehensive dictionary based upon his PONS Kompaktwörterbuch Althebräisch-Deutsch. BHAL utilizes modern lexical approaches, is extremely clear, and offers efficient access to the information that users need. With nearly 10,000 entries, BHAL covers the entire biblical vocabulary, including the Aramaic portions. Moreover, it offers numerous forms that help the user to find the word she or he is looking for quickly in its specific grammatical form.
Ce nouveau dictionnaire hébreu/araméen – anglais est destiné à une consultation rapide et prétend avoir bénéficié d’une approche lexicale moderne. Les sources utilisées incluent effectivement les références lexicographiques du moment (cf. p.viii), où cependant, curieusement, les ouvrages de Clines manquent à l’appel (DCH, CDCH). L’objectif annoncé est de fournir de manière exhaustive mais simple l’ensemble des termes figurant dans l’Ancien Testament (hébreu et araméen), soit un peu moins de 10 000 mots. Sont également fournies les différentes formes d’un mot, surtout les verbes, mais aussi les noms suffixés, en vue d’aider le lecteur à retrouver le mot recherché. Mais cet objectif est étonnant dans la mesure où les formes ne sont pas ventilées au fil du lexique, mais sous la rubrique seule du lemme ; si bien que les formes ne se consultent qu’une fois la racine trouvée. Ces formes ne servent donc pas à retrouver une racine, mais plutôt à informer sur les différentes flexions et leur nature.
La présentation est claire et aérée. La police de caractère utilisée n’est pas la plus gracieuse qu’on connaisse mais reste parfaitement lisble. L’ouvrage ne présente en fait pas de grande originalité, son but premier semble être la praticité pour les apprentis hébraïsants (i.e. trouver rapidement une glose relativement fiable). Quelques entrées discutent les difficultés de traduction, les difficultés textuelles, ou fournissent des données à caractère encyclopédique (notice précédée d’un <i>) – et ce sera là, à mon avis, la seule particularité de ce manuel.
Pour vous donner une idée, je le compare avec le DHAB de Ph. Reymond, et le CHAL de W.L. Holladay.
Sens : BHAL – DHAB – CHAL
ברא
ידע
חסד
תנה
Comme on peut le constater, le BHAL est plus concis que les deux autres, mais on y trouve l’essentiel. Difficile de dire, sans l’avoir pratiqué longuement, quelle sera la place de ce nouveau dictionnaire. Personnellement je lui préfère largement le CHAL et le DCH, plus complets et tout aussi maniables. Il se rapproche du DHAB, mais ce dernier semble un peu complet là-encore. Cet outil vaudra donc pour une consultation simple et rapide.
On aura remarqué que pour le vocable חסד, cet outil perpétue, discrètement mais quand même, le transfert de totalité illégitime consistant à proposer, parmi les différentes gloses, celle de « fidélité ». Or la lexicographie « moderne » (qui n’a de surcroît rien découvert par rapport à la tradition lexicographique antérieure) a montré que cette méprise procède d’une erreur méthodologique : le sens de fidélité est importé de l’expression חסד ואמת (cf. χάρις καὶ ἀλήθεια), « grâce et vérité » (= bonté fidèle, en quelque sorte). Mais le vocable חסד seul n’implique en aucun cas de la « fidélité », il désigne plutôt la « grâce », la « bonté », la « faveur », la « bienveillance » ou encore l’ « amour » (voir Romerowski 2011 : 253-265 et 1990 : 89-103). Pour le terme חסד, et sans doute pour beaucoup d’autres, le BHAL hérite donc d’une tradition récente et parfois contestable. Cette bévue rappelle, s’il le fallait, que les dictionnaires linguistiques sont – presque toujours – le produit de la tradition bien plus que d’un travail ab ovo (sur ce point, voir la passionnante étude de Lee, A History of New Testament Lexicography 2003 sur la lexicographie néotestamentaire, qui vaut aussi pour l’AT).
Logos 9
Difficile de passer à côté si vous êtes connecté(e) aux réseaux sociaux… Logos vient de publier sa neuvième version en grande pompe. Les reviews étant déjà nombreuses en ligne (voir plus bas), je ne mentionnerai que les nouveautés qui me sont les plus utiles au quotidien.
Factbook
La base de données du Factbook a été multipliée d’un facteur dix – et cela se voit. On constate d’emblée que la recherche de termes en langues originales y devient facilement possible. On peut également lancer une recherche depuis le français (mais l’ensemble n’est pas encore homogène). En fait l’outil a été amélioré significativement avec pour objectif d’en faire le cœur de Logos, la porte d’entrée d’une première recherche. Dans cette perspective, sa consultation s’effectue désormais non seulement depuis l’encart de recherche principal en page d’accueil (le volet de suggestion classe de plus les résultats par outils disponibles)…
…mais aussi depuis les versions bibliques. Il suffit pour cela de cocher l’icône Factbook (en « français » Tout-Savoir). Les termes référencés sont alors soulignés. Un survol permet un premier niveau d’information, et un clic lance l’outil. Détail amusant et même fascinant quand on y pense (tant cela présuppose un travail gigantesque sur le texte), comme chacun des mots est relié à des « entités » (lieu, place, objet…), même une référence indirecte pointe vers l’article approprié du Factbook (ex. « renard » en Luc 13.32 pointe vers Hérode Antipas).
Dans le cas d’un livre biblique, le Factbook va encore plus loin, puisqu’il propose un outil (discret mais efficace) nommé « Guide sur un livre de la Bible » qui classe par thématique les ressources disponibles au sein du logiciel.
Graphiques de résultats
Plus modernes, les graphiques permettent de visualiser les résultats d’une recherche simple ou complexe. Le nombre de déclinaisons et d’options est assez impressionnant, et surtout, il est désormais possible de connaître précisément la proportion réelle compte tenu de la longueur de chaque livre (le nombre d’occurrence élevé d’un terme dans un gros corpus n’étant pas forcément significatif comparé à un nombre plus modeste dans un tout petit corpus) :
Bible Books Explorer
Bible Books Explorer permet de visualiser les données essentielles de chaque livre biblique : statistiques (nombre de chapitres, versets, lemmes, racines, hapax…), date de composition, événements, type de contenu, principaux lieux, personnages. La masse de données collectées est proprement hallucinante. Pour les dates de composition, l’outil ratisse large et consulte toutes les bibles et tous les manuels discutant de la datation, ce qui permet, en un clin d’œil (et si facilement !), de connaître les propositions hautes et basses, avec la référence.
Cela va plus loin encore, puisqu’il est possible d’explorer l’intertextualité, à savoir les citations, les allusions et les échos que les livres du NT font à l’AT. Par exemple pour l’épître aux Philippiens, on peut découvrir les citations scripturaire (aucune), les allusions (quelques livres bibliques dont Isaïe), et les échos (Isaïe). On peut ensuite se demander par quels livres du NT Isaïe est cité… etc.
Counseling Guide
Cet outil Counseling Guide, pas très heureusement traduit Guide de relation d’aide, met à disposition des thématiques liées à l’encouragement et le réconfort en puisant, là-encore, dans toutes les ressources disponibles de manière structurée. Les mots sont tantôt disponibles en français, tantôt en anglais. Les sujets sont organisés par concepts, ce qui permet d’approfondir efficacement une thématique à partir d’un simple mot-clé au départ.
Guide de Passage
La rubrique Commentaires du Guide de Passage a été relookée pour plus de lisibilité, avec la possibilité de classer les ressources par titre, auteur ou genre. Le repérage d’un commentaire particulier devient beaucoup plus facile.
Un autre outil fort intéressant nommé Concepts culturels permet de parcourir thématiquement plus de 1000 sujets (80 000 mots-clés).
Research Lexicons
Peu mise en avant, cette nouveauté est pour moi la plus excitante et de loin. Elle capitalise sur le Bible Sense Lexicon pour proposer, pour le NT grec, l’AT hébreu/araméen, et de manière plus restreinte l’AT grec, des dictionnaires inédits : classement et illustration des sens, références dans de nombreux corpus.
- Lexham Research Lexicon of the Greek New Testament
Les entrées comportent : la définition (glose) du terme, son usage décomposé par sens avec quelques exemples d’illustration depuis une version interlinéaire, les occurrences dans la LXX et dans des corpus classiques, et, plus original, la discussion du terme dans des commentaires (base consultée : 8300 commentaires !) et revues (base : 3700 revues !) de référence (outil encore en phase d’amélioration).
- Lexham Research Lexicon of the Hebrew Bible
- Lexham Research Lexicon of the Aramaic Portions of the Hebrew Bible
- Lexham Research Lexicon of the Septuagint
Rick Brannan concepteur de ces outils les présente sur une page de son blog : Logos 9 : Lexham Research Lexicons.
Autres nouveautés
Les autres nouveautés concernent surtout la préparation des sermons, avec l’amélioration du Sermon Builder, et la création d’un nouvel outil facilitant la préparation et la gestion des sermons : Sermon Manager. Des petits « gadgets » sont à signaler : le « Dark Mode » bien connu des développeurs, et la possibilité de basculer d’un compte Logos à un autre. Les Notes permettent par ailleurs d’incorporer des visuels ; il est aussi possible de créer des plans de lecture pour n’importe quel ouvrage, et ce très facilement. Par ailleurs, et c’est loin d’être négligeable, l’application web et les applications mobiles ont été grandement améliorées, notamment pour la rapidité, la recherche, et l’incorporation du Factbook. Pour le détail des nouveautés : Logos 9.
Autre nouveauté : un nouveau manager des produits français, Francis Rouvinez (voir le Blog français de Logos), a été engagé par Logos, avec pour objectif le développement de Logos en français. On peut donc espérer un nouveau départ en la matière, avec, je l’espère, un élargissement significatif du catalogue, et davantage de ressources académiques.
En résumé
Parvenu à un tel niveau d’excellence, le logiciel biblique Logos ne connaît pas de révolution majeure lors de ses mises à jour de version. Ce n’est pas la révolution copernicienne à chaque nouveauté, car le logiciel, du moins pour son contenu, est très régulièrement mis à jour. En termes de fonctionnalités, rien de fondamentalement révolutionnaire. On apprécie l’amélioration et l’intégration significative du Factbook, ainsi que les librairies de ressources nouvelles qui vont avec. En fait c’est un tout : ce sont les ressources + les outils nouveaux ou améliorés qui créent une évolution sensible qui fait que l’investissement en vaut la peine. Bien entendu tout cela n’a de sens que si votre librairie est suffisamment conséquente. En tout cas l’éditeur Lexham me paraît aller dans le bon sens, et propose très souvent des titres innovants, d’excellente facture, et surtout, parfaitement intégrés à l’écosystème Logos. Si l’application mobile (que j’utilise sur iPad/iOS) est devenue vraiment intéressante (mais toujours moins que celle d’Accordance), le logiciel fixe continue d’être un peu lourdaud, en mise à jour et indexation quasi permanente (parmi les 4091 ouvrages de ma librairie, il y en a toujours une petite dizaine ou vingtaine qui trouvera à se mettre à jour, ralentissant ainsi et la recherche en cours, et le PC tout entier). En tout cas il n’a pas la réactivé d’Accordance 13 et ne constitue pas, pour moi, le premier endroit pour effectuer une recherche ou une consultation simple (Accordance ou Bible Parser s’y prêtent bien mieux). En revanche il rattrape son retard dès qu’il s’agit de mener une étude un peu plus poussée (à titre d’exemple, sa lemmatisation du corpus grec de Perseus, même imparfaite, est un atout majeur sur Accordance; sans parler des Guides exégétique ou de passage qui donnent accès à une multitude d’informations inégalée). Il vaut donc d’investir dans ce logiciel, et la version 9 en est une belle occasion.
Pour en savoir plus : Site officiel – Vidéos : New Features in Logos 9 | Logos 9 Bible Software Review | Logos 9 : new features and how to use them | Overview of New Features in Logos 9 Bible Software | Blog : Seeking the Kingdom : Logos 9 is here | Et en bonus : le livre gratuit du mois, Logos – Verbum
Nota : cette review n’est le fruit d’aucun partenariat et ne me rapporte rien, hormis une certaine satisfaction à présenter un logiciel aussi puissant 😉
J’ai déjà longuement évoqué la traduction de Rom 10.13 dans un précédent billet. A mon avis il est indispensable de bien comprendre pourquoi l’hypothèse d’un tétragramme dans ce passage particulier – et dans les épîtres pauliniennes plus généralement – n’est pas crédible. A défaut, la christologie du Nouveau Testament peut devenir totalement hermétique. Bien que partisan de l’hypothèse de G. Howard (1977), dans une certaine mesure, mon étude de 2007 était déjà parvenue à la conclusion que le nom divin devait plutôt avoir été l’apanage des toutes premières copies non gentiles des Évangiles, des Actes, et de la Révélation (2007 : 302, 306). C’est que, sous la plume paulinienne, les citations de l’Ancien Testament prennent un tour des plus théologique, qu’il ne faudrait pas minimiser.
Dans le visuel ci-dessus je reproduits Rom 10.13 dans deux traductions, The Scriptures (TS, 2009) et New World Translation of the Holy Scriptures (NWT, 2013) qui toutes deux insèrent le nom divin dans ce verset, la première en hébreu, sous la forme יהוה et la seconde par le nom propre Jehovah. Je n’avais cependant pas remarqué un petit « détail » dans la NWT : le nouveau paragraphe en Rom 10.11. Travaillant principalement avec une version électronique qui ne reproduit pas la mise en page, ce détail m’avait échappé. Enfin détail. Il s’agit d’un choix des traducteurs qui est – pour le moins – contestable. En effet il tente de rompre l’unité de tout le passage de Rom 10:9-15 dans lequel le référent principal est Jésus.

Rom 10:9-15 dans la NWT (Source).
Span, A.T., Rochester, S.T. & Van Rensburg, F.J., 2020, ‘Rendering the Divine Name in Romans 10:13’, In die Skriflig 54(1), a2560. (2020) (voir ici), reviennent sur ce passage, en considérant les facteurs documentaire et contextuel. Sans surprise leur conclusion est la suivante (je souligne) :
An original Tetragrammaton lacks documentary and contextual support in Romans 10:13. However, the application of a Divine Name passage to Jesus through the κύριος predicate has great significance. The high honours ascribed to Jesus were not the product of later scribal corruption, but form an integral part of Paul’s argument. Jesus is ‘Lord’ in the highest sense possible, and his connection to the Divine Name in Romans 10:13 is unmistakable.
Bien que cette étude s’intéresse peu à la méthode midrashique de Paul, elle en cerne certains aspects, et notamment le recours christologique à l’AT, et recoupe donc bien ma propre analyse. L’étude vaudra surtout pour sa contribution sur une analyse des thèmes théologiques développés par Paul (Christ comme pierre d’achoppement et moyen de salut), et la mise en exergue des éléments contextuels permettant d’affirmer l‘unité de Rom 10:9-15 (ce qui me paraissait évident, encore faut-il le dire et le démontrer).
4 Évangiles – Les Films (en ligne)
J’ai évoqué en décembre dernier la sortie du coffret des DVD 4 Évangiles – Les Films, aux Éditions Bibli’O. Ils sont désormais disponibles en ligne gratuitement sur le site Bible.is, un un formet des plus pratiques. Il est ainsi possible, chapitre par chapitre, et même péricope par péricope, de visualiser une scène des quatre évangiles.
Voici pour exemple Matthieu, chapitre 11. Notez que l’outil propose aussi un passage controversé comme le pericope adulterae, en Jean, chapitre 8. Si je ne suis pas un grand amateur de la version Parole de Vie, très « dynamique », trop peut-être, elle a du moins l’avantage d’être agréable à entendre. Ces vidéos permettront de trouver facilement un passage, et peut-être aussi, de capter quelques détails propres à faciliter l’exégèse d’un verset. Le site propose par ailleurs bien d’autres ressources visuelles et sonores, dans une multitude langues.
Une étude publiée le 2 juin 2020 dans le magazine Cell (Anava et al., 2020, Cell 181, pp.1-14) vient d’apporter un nouvel éclairage à la question controversée de la provenance des manuscrits dits de la mer Morte.
The discovery of the 2,000-year-old Dead Sea Scrolls had an incomparable impact on the historical understanding of Judaism and Christianity. “Piecing together” scroll fragments is like solving jigsaw puzzles with an unknown number of missing parts. We used the fact that most scrolls are made from animal skins to “fingerprint” pieces based on DNA sequences. Genetic sorting of the scrolls illuminates their textual relationship and historical significance. Disambiguating the contested relationship between Jeremiah fragments supplies evidence that some scrolls were brought to the Qumran caves from elsewhere; significantly, they demonstrate that divergent versions of Jeremiah circulated in parallel throughout Israel (ancient Judea). Similarly, patterns discovered in non-biblical scrolls, particularly the Songs of the Sabbath Sacrifice, suggest that the Qumran scrolls represent the broader cultural milieu of the period. Finally, genetic analysis divorces debated fragments from the Qumran scrolls. Our study demonstrates that interdisciplinary approaches enrich the scholar’s toolkit. [Source]
On avait tout envisagé : de la composition ou la copie sur place à l’importation de l’extérieur de la communauté, de la bibliothèque propre à la secte au dépôt précipité de textes pour les préserver des ravages de la guerre des Juifs contre les Romains en 66-73 AD. Pour « jeter un éclairage scientifique sur un débat théologique » (source), une équipe internationale de chercheurs, menée par O. Rechavi, a donc analysé l’ADN de fragments de ces manuscrits. Étude longue et délicate : il a fallu sept ans, et encore, 13 textes seulement ont été passés au peigne fin (sur les 900 manuscrits et 25 000 fragments que compte ce corpus).
Nous avons découvert en analysant des fragments de parchemins que certains textes ont été écrits sur des peaux de vache et de moutons alors qu’auparavant nous estimions que tous étaient écrits sur des peaux de chèvres – Pnina Shor (IAA) [source]
Ainsi les manuscrits ne viennent pas tous du désert ont ils ont été trouvés (où l’on trouve peu de vaches, n’est-ce pas), et ce point est d’une grande importance pour caractériser l’état du texte biblique entre le II/IIIe s. av. JC et le Ier s. ap. JC.
En particulier des fragments (livre de Jérémie) qu’on pensait appartenir à un même manuscrit se sont avérés de provenance différente (les uns composés sur des peaux de chèvre, et les autres sur des peaux de vache).
The different animal source of the Jeremiah scrolls (with 4Q71 and 4Q72a deriving from sheep and 4Q70 and 4Q72b from cow; Figure S3A; Table S5) was shown above to stand in relation to their textual diversity (as 4Q71 and 4Q72a match the short text of the Septuagint, 4Q72b matches the long text of the Masoretic tradition, and 4Q70 reflects an originally independent textual tradition brought closer to the long text). This leads to the conclusion that they represent not only a secluded sect but, rather, the broader cultural milieu of Judea in the Second Temple period. Our analyses of variations in the nuclear genome suggest that a similar pattern of textual plurality applies generally to other scrolls as well because some of them can be identified as brought from elsewhere. Anava et al. 2020 : 9
Or provenance et type de texte (affinités avec la Septante, le texte massorétique, ou tradition indépendante ; voir ici) sont de nature à éclairer, non seulement l’histoire du texte biblique, mais aussi le judaïsme de l’époque du Second Temple. Ainsi l’explique le professeur Mizrahi :
Since late antiquity, there has been almost complete uniformity of the biblical text. A Torah scroll in a synagogue in Kiev would be virtually identical to one in Sydney, down to the letter. By contrast, in Qumran we find in the very same cave different versions of the same book. But, in each case, one must ask: Is the textual ‘pluriformity,’ as we call it, yet another peculiar characteristic of the sectarian group whose writings were found in the Qumran caves? Or does it reflect a broader feature, shared by the rest of Jewish society of the period? The ancient DNA proves that two copies of Jeremiah, textually different from each other, were brought from outside the Judean Desert. This fact suggests that the concept of scriptural authority — emanating from the perception of biblical texts as a record of the Divine Word — was different in this period from that which dominated after the destruction of the Second Temple. In the formative age of classical Judaism and nascent Christianity, the polemic between Jewish sects and movements was focused on the ‘correct’ interpretation of the text, not its wording or exact linguistic form. [source]
Si des formes différentes du livre de Jérémie ont été importées à Qumrân, on en déduit notamment : 1) que ces formes diverses du texte ne sont pas propres à la secte, 2) qu’elles caractérisent un judaïsme plus large, et 3) que l’interprétation (sectaire ou non) comptait plus que l’exacte lettre (puisqu’elle différait chez les uns et chez les autres).
L’étude suggère un constat comparable avec les fragments des Chants pour l’holocauste du sabbat (4Q403), oeuvre mystique très populaire à Qumrân dont on pouvait se demander si elle était une idiosyncrasie qumrânienne (11 copies trouvées, ce qui est plus que certains livres bibliques) : « The fact that only Mas1k belongs to haplogroup A wherease the Qumran copies of the work belong to haplogroup B suggests that the work was known beyond Qumran caves » (p.10). Comme on le voit les résultats de cette longue, fastidieuse et très-technique analyse sont très prometteurs, car ils pourront sans doute lever le voile sur la provenance (voire le « milieu ») des manuscrits, mais aussi, pourquoi pas, questionner de précédentes reconstitutions.
Jusqu’à présent, ce qu’on appelle la QSP (Qumran Scribal Practice), la Pratique Scribale de Qumrân, était caractérisée par des informations essentiellement calligraphiques et linguistiques (cf. p.9 et Tov 2004). On pourra désormais y ajouter, avec prudence et surtout patience, la paléogénomique.
En savoir plus : Étude originale : en ligne, PDF | Info chrétienne | RTBF | France Info | Times of Israel | The Jerusalem Post | Libération | Science Daily | Live Science | AF-Tel Aviv | Géo | Breakingnews | Science Daily
Bearing YHWH’s Name at Sinai – A Reexamination of the Name Command of the Decalogue (Bulletin for Biblical Research Supplement 19, Eisenbrauns, 2018) de Carmen Joy Imes, est le fruit d’une thèse de doctorat soutenue au Wheaton College en 2016, sous la direction de Daniel I. Block et Sandra L. Richter.
Encore une monographie sur le nom divin ?
Il est vrai que le Nom suscite de nombreuses études, toutes plus passionnantes les unes que les autres. Citons parmi les plus récentes : Gertoux 2002, McDonough 2011, Shaw 2014, Willkinson 2015, Surls 2017, Furuli 2018, Evans 2019 (voir ici la thèse de 2006). Il en est quelques-unes dont je n’ai pas encore pris connaissance (oui, les prix sont souvent dissuasifs et tancent les ardeurs) : Lepesqueux 2019 et Ben-Sasson 2019. Sans compter les travaux déjà parus sous forme de thèse, mais non encore publiés dans leur forme définitive, au premier rang desquels la magistrale étude de Meyers 2017 (la plus intéressante de toutes à mon avis), et qui paraîtra en septembre prochain. Comme on le constate, les études de abondent – et il s’agit là d’une goutte dans un immense océan – ce qui montre bien à quel point le sujet d’étude est important et passionnant.
The Name Command (NC) is usually interpreted as a prohibition against speaking Yhwh’s name in a particular context: false oaths, wrongful pronunciation, irreverent worship, magical practices, cursing, false teaching, and the like. However, the NC lacks the contextual specification needed to support the command as speech related. Taking seriously the narrative context at Sinai and the closest lexical parallels, a different picture emerges—one animated by concrete rituals and their associated metaphorical concepts. The unique phrase ns’ shm is one of several expressions arising from the conceptual metaphor, election as branding, that finds analogies in high-priest regalia as well as in various ways of claiming ownership in the Ancient Near East, such as inscribed monuments, the use of seals, and the branding of slaves. The NC presupposes that Yhwh has claimed Israel by placing Yhwh’s own name on her. In this light, the first two commands of the Decalogue reinforce the two sides of the covenant declaration: “I will be your God; you will be my people.” The first expresses the demand for exclusive worship and the second calls for proper representation. As a consequence, the NC invites a richer exploration of what it means to be a people in covenant with Yhwh—a people bearing his name among the nations. It also points to what is at stake when Israel carries that name “in vain.” The image of bearing Yhwh’s name offers a rich source for theological and ethical reflection that cannot be conveyed nonmetaphorically without distortion or loss of meaning.
L’étude de Joy Imes s’inscrit dans se cadre, et s’intéresse de près – de très près – au commandement du décalogue contenu en Exo 20.7 (cf. Deu 5.11) : לֹא תִשָּׂא אֶת שֵׁם יְהוָה אֱלֹהֶיךָ לַשָּׁוְא. On traduit généralement ce commandement (appelé NC par l’auteur pour Name Command) par : tu ne prendras pas le nom de Jéhovah ton Dieu en vain. Mais sait-on bien ce que signifie l’expression תשא שם ? C’est principalement à cette question que la copieuse étude de Joy Imes tente d’apporter une réponse, qui bouscule quelque peu la traduction conventionnelle de ce passage.
Les deux premiers chapitres abordent la question de la méthode, de l’objectif, et dressent un historique des interprétations. D’emblée Joy Imes fait remarquer que l’expression est plutôt rare et n’exprime pas forcément l’idée d’une énonciation du Nom (comme dans un serment). Ainsi l’expression נשא שם se retrouve dans un passage où il est question pour le grand-prêtre de porter le nom des 12 tributs d’Israël – c’est-à-dire de représenter la nation entière – et de bénir ce peuple destiné à devenir une « royaume de prêtres » (Exo 19.6) parce qu’il est béni et qu’il porte le nom divin en lui (Num 6.23-27).
Car il y a bien des manières de comprendre l’expression תשא שם : la première est de considérer que l’expression est elliptique : « élever le nom… » + expression sous-entendue.
Si on considère que l’expression est elliptique (il faut, pour la comprendre, sous-entendre quelques mots), divers sens émergent (cf. p.10) : élever le nom (sur la main) = jurer, élever le nom (sur les lèvres) = prononcer ou en appeler à. Avec לשוא, cela donne donc : 1. jurer faussement, 2. énoncer le nom divin futilement (de manière futile ou non nécessaire, que ce soit pour un vœu, un serment, ou de manière irrévérencieuse), 3. énoncer le nom divin avec malveillance (pour une malédiction, de la magie), 4. en appeler au nom pour de la futilité (i.e. l’idolâtrie), 5. en appeler au nom divin futilement (hors-propos ou avec hypocrisie).
Chacun des sens se recommandent, sans nécessairement s’exclure les uns les autres. En particulier l’idée de serment trompeur a largement été plébiscitée depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, car elle n’est pas sans parallèles bibliques (Lev 19.12, Exo 23.1, Psa 16.4, Psa 24.4, Hos 4.2, Zac 5.4, Jer 9.7-10 etc). Mais considérer que l’expression נשא שם signifierait « jurer par le nom » pose en fait des problèmes rédhibitoires : 1. il ne s’agit pas d’une expression consacrée figurant dans les contextes de vœux ou serments dans la Bible hébraïque, 2. on ne la rencontre pas non plus dans la littérature du Proche-Orient Ancien dans ce contexte-là, 3. le commandement du décalogue exclut explicitement tout acquittement en cas de transgression ; or Lev 6.1-7 fournit le cadre d’un acquittement pour les parjures [ici précisons quand même que le texte ne dit rien de l’emploi ou non du nom divin]. D’autres problèmes lexicaux ou exégétiques empêchent de retenir ce sens (cf. pp.22-23). Il en va de même pour le sens de prononcer/énoncer le nom divin. Bien que la révérence pour le Nom semble remonter haut dans l’histoire d’Israël (cf. p.25 et note 86), la Bible atteste sans ambiguïté que l’usage du Nom n’était pas interdit : il était courant dans les bénédictions (Num 6.24-27), et même nécessaire dans les serments (Deu 6.13) ! En fait il convenait d’en faire « mention » (Exo 20.24) ; a contrario il fallait proscrire la mention (= la prononciation) du nom des idoles (Exo 23.13). Sur les sens d’idolâtrie ou de magie, cf. pp.31-34.
Au vrai l’expression נשא שם pourrait désigner… l’ensemble. Puisqu’un nom n’est pas nécessairement quelque chose qui est prononcé – le « nom » désigne aussi une personne et sa réputation – « élever/porter un nom » signifie alors « porter une réputation« , et dans ce cas « dire le nom » ou « jurer par le nom » sont des hyponymes d’une sens plus large : « élever/porter le nom (sur/dans sa propre personne) » = porter la réputation, représenter la personne désignée par le nom (cf. schéma p.38). Dans ce cas la tournure n’est pas elliptique, et il faut lui reconnaître un sens plein, et particulier (cf. p.39).
Cette interprétation non elliptique se trouve dans certains écrits rabbiniques (ex. b. Sabb 33a, b. Ber 6a, b. Pesah 53b ; cf. pp.38-40), mais aussi chez les premiers chrétiens (ex. Herm. Sim. 9.19.2; 9.13.2 ; 9.28.2 ; 90.2 ; 96.2 ; 105.2 ; cf. p.41).
A partir du chapitre 3, Joy Imes entre plus avant dans la démonstration de sa thèse. En examinant à la loupe des passages comme Exo 20.7 // Deu 5.11, 2Sa 12.28, 2Sa 6.2, 1Ch 13.6, 1Ki 8.43 // 2Ch 6.33, Jer 7.9-12 (cf. Jer 7.14, Jer 7.30), Jer 32.34, Jer 25.29, Deu 28.9-10, Isa 63.19, Jer 14.7, Jer 14.9, 2Ch 7.14, Amo 9.12, Gen 48.5-6, Gen 48.16, Ezr 2.61 // Neh 7.63, Isa 43.7, Deu 7.24, Deu 26.1-2, Deu 12.5, 1Ki 23.27 et quelques autres, elle montre l’importance de bien saisir le sens d’expressions comme שם יהוה נקרא על ou לשכן שמו שם, le nom de Jéhovah est « invoqué » sur / faire résider son nom dans un lieu. Elle en conclut qu’il s’agit d’une revendication de propriété. Le peuple qui est bénéficiaire représente alors Dieu, et toute transgression rejaillit sur le nom divin, et peut le profaner (חלל את-שם ; cf. Lev 20.2-3).
C’est d’ailleurs en analysant minutieusement comment le peuple d’Israël est susceptible de profaner le nom (pp.77-85, cf. Lev 21.1, Lev 21.5-6, Lev 22.32, Amo 2.6-8, Eze 36.20, Mal 1.6-7, Lev 24.14, Lev 24.15-16, Pro 30.8-9, Psa 74.10, Isa 52.5) que Joy Imes illustre ce que signifie réellement le vocable « nom » (שם) (p.85) :
This exploration of the mistreatment of YHWH’s name sheds light on the current study. YHWH’s name (sometimes metonymic for YHWH himself or his reputation) was disparaged both inside and outside the cultic apparatus, through violations involving a range of both words and actions. Especially significant is the association between Israel’s behavior, Israel’s fate, and YHWH’s reputation. When Israel acted badly, YHWH was mocked. Perhaps the expression נשא שם לשוא participates in this field of discourse wherein the close association between YHWH and Israel put YHWH’s « name » at risk because of Israel’s covenant unfaithfulness.
A contrario, la sanctification du Nom peut résulter du bon comportement du peuple de l’alliance (cf. Eze 36.22-23 ; p.86).
Après avoir mis en lumière toutes les nuances induites par le terme שם, Joy Imes s’intéresse à la partie la plus délicate, mais aussi la plus intéressante, à savoir le sens de נשא : ou plutôt ses sens, car les emplois, idiomatiques ou non, sont assez variés : 1. élever/porter (Exo 25.14, Deu 14.24); 2. prendre (Num 16.15), 3. porter (un habit) (1Sa 2.28, 1Sa 14.3, 1Sa 22.18), 4. être l’objet d’une notion intangible (« bearing intangible objects » p.87) : porter/recevoir une bénédiction, malédiction, honneur, etc. Un autre sens relativement courant concerne le fait d’ « élever la voix » (pour parler, pousser un cri, pleurer, etc ex. Gen 21.16, Num 14.1, 2Ki 9.25, Jer 7.29, Job 27.1). Les usages idiomatiques sont quant à eux nombreux : נשא יד, נשא עיני, נשא ראש, נשא פנה, מתנשא, נשא נפש/לב, נשא נפש, נשא אשה, נשא ממלכה (cf. p.89). Pour ce qui est de l’expression au centre des investigations, נשא שם, une énonciation est en vue dans le contexte précis de Psa 16.4 (en raison du segment על-שפתי). Par contre les textes d’Exo 28.12 et Exo 28.29 montrent très clairement que l’expression seule « porter le nom », dans son sens absolu, signifie agir en représentant.
Après avoir étudié le sens que prend l’expression « porter le nom » dans la Septante, les Targums, et la Vulgate notamment, l’auteur conclut (p.100) :
In the Hebrew Bible, נשא never refers to oath taking, and never refers to speech with explicit contextual cues.
Ce ne sont ainsi ni l’usage magique, ni l’usage idolâtrique, ni les vœux non tenus qui sont en vue en Exo 20.7, mais bien plutôt l’idée de porter le nom divin en tant que représentant de Dieu parmi les nations. D’autres considérations permettent d’étayer cette analyse, comme le contexte large dans lequel figure le décalogue (chapitre 4) ou même le cas précis de la symbolique des vêtements du grand-prêtre (cf. Exo 28 ; chapitre 5, cf. pp.58sq). C’est par le peuple choisi que les nations peuvent être bénies (Gen 12.2-3), car c’est au sein du peuple choisi, du peuple de l’alliance, que réside le Nom, et ce peuple a été consacré et séparé des autres nations pour devenir un bien particulier de Dieu (Lev 20.26 ; cf. Deu 26.18-19, Deu 28.9-10).
En résumé
L’étude de Joy Imes (résumée et simplifiée dans cet autre ouvrage) ne dépareille pas la collection Bulletin for Biblical Research Supplement qui fournit, volume après volume, des études d’une impressionnante sagacité. Toujours de haute volée, extrêmement bien documentées, ces monographies permettent de faire le point sur un sujet. Celle de Surls est éminemment recommandable. Celle de Heim n’est pas sans intérêt. Celle de Evans non plus. Celle de Joy Imes, comme on la vu, questionne l’interprétation traditionnelle d’Exo 20.7 – verset pourtant bien connu, s’il en est !
On dit souvent que c’est une interprétation excessive de ce commandement qui est à l’origine du scrupule entourant la seule prononciation du nom divin. On dit aussi que les serments non tenus sont visés dans ce passage. Tout cela est possible, mais ne rend pas pleinement justice, il faut bien le reconnaître, à l’expression נשא שם.
D’abord l’usage du nom divin n’est en rien proscrit dans le Décalogue, puisqu’il y figure 8 fois (cf. Fontaine 2007 : 16). Ensuite l’idée d’un serment par le nom divin ne pose aucun problème, car la Bible même y invite (ex. Deu 6.13, Deu 10.20). L’étude de Joy Imes rappelle donc à-propos que, sans exclure ces sens possibles, l’expression נשא שם יהוה a un sens qui signifie bien davantage que prononcer le nom, ou prononcer le nom divin dans un serment mensonger, ou encore prononcer le nom divin dans le cadre d’un culte idolâtrique. Quand on y regarde de plus près, on comprend que Dieu, qui a choisi un peuple pour y placer son Nom, qui y a établi une prêtrise portant littéralement son Nom (et celui du peuple), qui considère son Nom profané quand son peuple élu n’est pas à la hauteur, véhicule par le commandement d’Exo 20.7 un précepte autrement plus important que l’usage futile ou inopérant de son Nom.
Le peuple porte le Nom, le peuple représente Dieu. Cette responsabilité est telle qu’elle ne tolère aucun écart (cf. Exo 23.21), mais porte en elle le germe d’une bénédiction sans pareille : celle de pouvoir, par son comportement vertueux, glorifier le saint Nom (Eze 36.23).
The Messiah Texts (Patai, 1988)
Pour les chrétiens, la question du Messie va souvent de soi. Jésus-Christ a accompli les Écritures, prouvant par-là sa messianité. Mes quelles Écritures, quels textes, quelle prophéties en particulier ? Comment s’articulent-elles ? Parlent-elles d’un roi, d’un guerrier, d’un serviteur souffrant ? Qu’en est-il au sein du judaïsme ?
Dans son ouvrage dense et pratique, Raphaël Patai livre de manière organisée et commentée les « données primaires ». Son ouvrage The Messiah Texts est un florilège des textes concernant les prophéties plus ou moins messianiques.
Following a detailed introduction to the world of messianic ideology and its significance in Jewish history, The Messiah Texts traces the progress of the messianic legend from its biblical beginnings to contemporary expressions. Renowned scholar Raphael Patai has skillfully selected passages from a voluminous literature spanning three millennia. Using his own translations from Hebrew, Aramaic, Arabic, Latin, and other original texts, Patai excerpts delightful folk tales, apocalyptic fantasies, and parables of prophetic power. All are central to the understanding of a magnificent heritage. patai also investigates the false messiahs who have appeared throughout Jewish history, the modern Messiah-influenced movements such as reform Judaism and Zionism, and the numerous reasons put forth by the various branches of Judaism as to why the Messiah has not yet appeared.
Le projet Muse vous permet d’accéder librement à ce texte : Raphael Patai, The Messiah Texts (Wayne State University Press, 1988) – ici en un seul fichier PDF.
Parmi les autres ouvrages fort sympathiques de Patai : L’amour et le couple aux temps bibliques (Mame, 1967) et Les mythes hébreux (avec R. Graves ; Fayard, 1987).
Sur le Messie, voici quelques autres monographies intéressantes, en français : Grelot, L’espérance juive à l’heure de Jésus (Desclée, 1978) ; Laperrousaz, L’attente du Messie en Palestine à la veille et au début de l’ère chrétienne (Picard, 1982) ; Dennefeld, Le Messianisme (Letouzey et Ané, 1929) ; Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs (150 av. J.C. à 200 ap. J.C.) (Lecoffre, 1909) ; Hadas-Lebel, Une histoire du Messie (Albin Michel, 2014) ; Gaubert, L’attente du Messie chez les Juifs (Mame, 1968) ; Coppens, Cerfaux et al., L’Attente du Messie (1954)
Le projet Muse étant une mine, vous y trouverez bien d’autres ouvrages en libre-accès. Citons pêle-mêle :
- Finegan, Light from the Ancient Past, Vol. 1: The Archaeological Background of the Hebrew-Christian Religion
- Finegan, Light from the Ancient Past, Vol. 2: The Archaeological Background of the Hebrew-Christian Religion
- Finegan, The Archeology of the New Testament: The Life of Jesus and the Beginning of the Early Church
- Turner, Greek Papyri: An Introduction
- Fritsch, Anti-anthropomorphism in the Greek Pentateuch
- Greenstein, Essays on Biblical Method and Translation
- Cook, Hear, O Heavens and Listen, O Earth: An Introduction to the Prophets
- Lohfink, Jesus of Nazareth: What He Wanted, Who He Was
- Iddel, Ascensions on High in Jewish Mysticism: Pillars, Lines, Ladders
- Horsley, Jesus and the Politics of Roman Palestine
- Des commentaires bibliques en pagaille : Genèse, Aggée et Malachie, 1 & 2 Thessaloniciens, …
ἐγὼ καὶ ὁ πατὴρ ἕν ἐσμεν (Jn 10.30)
« Moi et le Père nous sommes un » (Joh 10.30). Cette puissante affirmation ne laisse pas d’étonner, car elle semble fissurer ce qui est un dogme sacro-saint dans la religion israélite (qui ne compte guère de dogmes que celui-là), à savoir l’unicité divine : שְׁמַ֖ע יִשְׂרָאֵ֑ל יְהוָ֥ה אֱלֹהֵ֖ינוּ יְהוָ֥ה ׀ אֶחָֽד (Deu 6.4 ; Écoute Israël, Jéhovah notre Dieu, Jéhovah est Un ; ou : Écoute Israël, Jéhovah notre Dieu, est un seul Jéhovah ; voir aussi Deu 4.39, Zac 14.9, Isa 42.8, Isa 48.11 ; cf. b.Sanh 38a). Mais que voulait dire Jésus, et s’est-il fait comprendre de ses interlocuteurs ? Pour tenter de le comprendre, il faut se pencher 1) sur le contexte immédiat, disons Joh 10.22-39, 2) le contexte plus large, à savoir l’évangile tout entier, et 3) sur le monothéisme au sein du judaïsme au tournant de notre ère. Vaste problème qu’il n’est certes pas possible d’épuiser dans ce modeste billet, du moins aurons-nous atteint notre objectif si les principales problématiques sont posées.
Contexte immédiat : Jean 10.22-39
<< 22 On célébrait alors à Jérusalem la fête de la dédicace. C’était l’hiver. 23 Jésus marchait dans le temple, sous le portique de Salomon. 24 Les Juifs l’entourèrent et lui dirent: «Jusqu’à quand nous laisseras-tu dans l’incertitude? Si tu es le Messie, dis-le-nous franchement.»
25 Jésus leur répondit: «Je vous l’ai dit et vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père témoignent en ma faveur, 26 mais vous ne croyez pas parce que vous ne faites pas partie de mes brebis, [comme je vous l’ai dit]. 27 Mes brebis écoutent ma voix, je les connais et elles me suivent. 28 Je leur donne la vie éternelle. Elles ne périront jamais et personne ne pourra les arracher à ma main. 29 Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous et personne ne peut les arracher à la main de mon Père. 30 Le Père et moi, nous sommes un.»
31 Alors les Juifs prirent de nouveau des pierres pour le lapider.
32 Jésus leur dit: «Je vous ai fait voir beaucoup de belles œuvres qui viennent de mon Père. A cause de laquelle me lapidez-vous?»
33 Les Juifs lui répondirent: «Ce n’est pas pour une belle œuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème, parce que toi, qui es un être humain, tu te fais Dieu.»
34 Jésus leur répondit: «N’est-il pas écrit dans votre loi: J’ai dit: ‘Vous êtes des dieux’ ? 35 S’il est vrai qu’elle a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée et si l’Ecriture ne peut pas être annulée, 36 comment pouvez-vous dire à celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde: ‘Tu blasphèmes’, et cela parce que j’ai affirmé: ‘Je suis le Fils de Dieu’? 37 Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas! 38 Mais si je les fais, même si vous ne me croyez pas, croyez à ces œuvres afin de savoir et de reconnaître que le Père est en moi et que je suis en lui.»
39 Voilà pourquoi ils cherchaient encore à l’arrêter, mais il leur échappa. >> (S21)
Considérations linguistiques
ἐγὼ καὶ ὁ πατὴρ ἕν ἐσμεν : l’adjectif ἕν est au neutre, il ne faut donc pas comprendre « un » comme s’il s’agissait d’un chiffre, car dans ce cas (mais l’énoncé aurait été absurde), il aurait fallu utiliser le masculin, à savoir la forme εἷς. A peu près tous les biblistes s’accordent à dire qu’il ne s’agit en aucun cas d’une identité ontologique (identité de personnes), mais plutôt d’attributs (identité de rôle, fonctions, pouvoirs…). Ce n’est en tout cas pas le genre du vocable utilisé qui l’indique, mais plutôt le contexte. Ceci dit, ce qui est au neutre est bel et bien « chosifié » (cf. Bertrand 2002 : 36). Pour cette raison, Maurice Carrez rend ce terme par « unité » dans son interlinéaire grec-français (1998 : 465). Il s’en justifiait ainsi en introduction :
Jean 10.30 est traduit le plus souvent par : « moi et le Père nous sommes un » ; or l’adjectif traduit par « un » est au neutre dans le texte grec et non au masculin comme la traduction française pourrait le laisser entendre. L’interlinéaire a traduit par « unité » pour marquer que le Père et Jésus sont de même nature et non deux personnes confondues en une seule. (non paginé)
On ne sait pas au juste ce qui pousse cet exégète à envisager que le neutre pointerait vers une identité de « nature ». En tout cas l’usage du neutre, avec l’abstraction qu’il induit, nécessite à son avis de lever l’ambiguïté (cette « précision » a disparu dans la version révisée de l’interlinéaire, 2015 : 480). D’autres le rejoignent dans cette propension à passer d’un bond de la linguistique à la théologie : « il est difficile d’écarter la conclusion qu’il s’agit d’une unité de nature » (NCB, 1987 : 996 ; voir aussi Geisler et Howe 2008 : 417, 420, Kuen 2002 : 550, Bacuez 1888 : 481 – « consubstantialité » ; éd. 1904 : 490). D’autres encore, même si le doute pointe, arrivent à une conclusion similaire : « For Jesus to be one with the Father yet distinct from him amounts to claim to deity (cf 1:1-2). To be sure, the emphasis here is on the unity of their works (Ridderbos 1997 : 371), yet an ontological (not just functional) unity between Jesus and the Father seems presupposed (see Carson 1991 : 394-95). While this statement does not affirm complete identity, clearly there is more in view than a mere oneness of will between Jesus and the Father. » (Beale & Carson 2007 : 464)
Ces allégations sont discutables et induisent un raisonnement circulaire : être prompt à détecter des versets prouvant la divinité du Christ, puis les citer à loisir. Ce texte n’a d’ailleurs pas manqué d’être versé au dossier des controverses christologiques qui ont abouti au concile de Chalcédoine (cf. par ex. Norris 1980 : 85, 106, Sesboüé et Meunier 1993 : 109, Marchadour in Tassin et al. 2001 : 983) Une lecture « attentive » du texte montre cependant 1) qu’on ne peut en faire dire tant à un mot simplement parce qu’il est au neutre : l’unité qui est en vue peut être de tout ordre (l’accord de pensée et d’action qu’il y a entre le Père et le Fils, l’accord dans les œuvres, etc ; c’est d’ailleurs ce qui ressort de la citation de Calvin faite par Ridderbos), 2) le contexte immédiat indique : a) que le Père est « plus grand que tous » (πάντων μεῖζόν ἐστιν, Joh 10.29 ; cf. Joh 14.28, Exo 18.11), b) que les œuvres faites par le Fils viennent du Père : ὁ πατήρ μου ὃ δέδωκέν μοι, Joh 10.29 ; τὴν ἐντολὴν ἔλαβον παρὰ τοῦ πατρός μου, Joh 10.18 ; cf. Joh 6:37, Joh 17:2, Joh 17:6, Joh 17:9, Joh 17:11).
Quand on compare Joh 10.28 et Joh 10.29, on remarque une construction tout à fait comparable : ce qui est tantôt dans la main du Fils (la vie éternelle accordée aux « brebis ») se dit ensuite dans la main du Père (les brebis confiées par le Père au Fils ne peuvent lui être arrachées). Les deux versets ne parlent exactement de la même chose, mais montrent sans aucune ambiguïté la plus parfaite union entre le Père et le Fils (cf. Focant et al. 2012 : 461). D’autres passages illustrent ce point : tantôt la vie éternelle est donnée par le Père (Joh 12.50, Joh 17.2, Joh 17.3), tantôt par le Fils (Joh 3.15, Joh 3.16, Joh 3.36, Joh 5.24, etc). Si l’on compare l’évangile de Jean avec d’autres affirmations du NT ou même de l’AT, les rapprochements peuvent être édifiants (sur ce point, cf. Fontaine 2007 : 66-72) : Joh 10.28 || Rom 6.23, Joh 8.12 || Psa 27.1 (cf. Mat 5.14).
Dieu comme Jésus sont « salut », « berger », « lumière », « vie », « chemin », « vérité ». Inutile de recourir à la grammaire grecque : le contexte immédiat, tout comme l’évangile dans son entier, montrent que Père et Fils sont étroitement unis. D’ailleurs cela perd tout son sens si l’on rappelle que les paroles de Jésus ont été prononcées en araméen (cf. CAL s.v. ḥd ; le syriaque nous donne peut-être une idée: ܐܶܢܳܐ ܘܳܐܒ݂ܝ ܚܰܕ݂ ܚܢܰܢ / אֵנָא וָאבי חַד חנַן. ; Stern propose une rétroversion en hébreu : אֲנִי וְהָאָב אֶחָד אֲנַחְנוּ, ani veha’av, echad anachnou, JNTC – 1992 : 188). On se propose toutefois ici de faire l’exégèse du texte grec, sans se risquer à une rétroversion.
L’unité du Père et du Fils
Cette unité est clairement affirmée dans notre passage, et à deux reprises :
– Joh 10.30 : ἐγὼ καὶ ὁ πατὴρ ἕν ἐσμεν, moi et le Père nous sommes un
– Joh 10.38 : ἐν ἐμοὶ ὁ πατὴρ κἀγὼ ἐν τῷ πατρί, le Père est en moi, et je suis dans le Père
Dans le premier cas, on l’a vu, l’identité de personnes n’est pas nécessaire. Elle serait même absurde (d’où la difficulté, d’ailleurs, à la traduire dans certaines langues : Newman et Nida 1993 : 381) et confinerait à l’hérésie. Ainsi l’explique Tresmontant (au sujet de Joh 8.58, mais nous ne pensons pas trahir sa pensée en extrapolant à notre locus, car il y invite) :
Ce texte ne signifie aucunement non plus que le Seigneur s’identifie avec YHWH; Toutes les textes des quatre Evangiles et tous les documents des livres de la Nouvelle alliance montrent que le Seigneur se distingue objectivement et ontologiquement de YHWH, qu’il prie, qu’il appelle son propre père. Supposer un seul instant que par ce texte mal traduit, le Seigneur se soit identifié ontologiquement à YHWH, c’est une aberration du point de vue du monothéisme hébreu, une aberration théologique et une aberration métaphysique. C’est précisément, nous l’avons vue, l’erreur métaphysique et théologique de Noêtos de Smyrne vers la fin du IIe siècle, erreur sans doute identique à celle de Sabellios, et de Praxéas (…) – 1992 : 279-288 (nous soulignons)
La signification de Joh 10.30 est ainsi d’une banale simplicité : moi ou le Père, cela revient au même (i.e. c’est la « même chose » ; cf. Joh 14.9 – cf. CBL-NT, 1988, vol. 3 : 299 ; Pirot et al. 1935, vol. 10 : 399). Il n’est point question d’identité ontologique, mais en l’occurrence le Fils qui est envoyé est totalement substituable au Père qui envoie (cf. Ashton 2007 : 216).
Deux considérations complémentaires permettent de le démontrer :
– 1. Joh 10.30 et Joh 10.38 s’appellent par le sens : « être un » = « être dans l’autre ». Comprendre le premier énoncé permet d’éclairer le second. L’évangile de Jean étant comme on sait parsemé de signes, de symboles, et de répétitions, il est loisible de mieux comprendre un énoncé à la faveur d’une répétition, ou d’une reformulation sensiblement différente. Ici l’explicitation provient d’un passage où Jésus déclare : κἀγὼ τὴν δόξαν ἣν δέδωκάς μοι δέδωκα αὐτοῖς, ἳνα ὦσιν ἓν καθὼς ἡμεῖς ἕν, et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’a donnée, pour qu’ils soient un, comme nous [sommes] un (Joh 17.22, cf. Joh 17.11, Joh 17.23). A la faveur de leur union, de leur communion de pensée avec le Christ, mais aussi parce que de disciples ils sont devenus apôtres et ambassadeurs, ceux qui ont reçu le Christ ont pu faire « un » avec lui : cette idée est amplement réaffirmée dans l’évangile (Joh 14.20, Joh 17.26 ; cf. Joh 20.21-23) et dans les lettres (1Jo 1.3, 1Jo 3.24). On en trouve la substance d’une manière on ne peut plus explicite en 2Co 5:20 : Υπὲρ Χριστοῦ οὖν πρεσβεύομεν ὡς τοῦ θεοῦ παρακαλοῦντος διʹ ἡμῶν, nous agissons en ambassadeurs pour Christ, comme si [c’était] Dieu qui exhorte par notre intermédiaire. Cette exhortation trouvera d’ailleurs un bel écho dans l’Église naissante (avec les abus ou dérives qu’on peut imaginer) : πάντα γάρ ὃν πέμπει ὁ οἰκοδεσπότης εἰς ἰδίαν οἰκονομίαν οὕτως δεῖ ἡμᾶς αὐτὸν δέχεσθαι ὡς αὐτὸν τὸν πέμψαντα τὸν οὖν ἐπίσκοπον δῆλον ὅτι ὡς αὐτὸν κύριον δεῖ προσβλέπειν – Car le serviteur que le maître envoie administrer sa maison doit trouver chez nous l’accueil que nous réserverions à celui qui l’a envoyé. C’est donc clair : il nous faut traiter l’évêque comme le Seigneur en personne. (Ignace d’Antioche aux Éphésiens 6.1)
– 2. Joh 17.22 étend cette « unité » aux disciples (idem Joh 17.11, Joh 17.21), à ceux qui reçoivent le Logos. Dans son contexte immédiat (verset suivant, v.23), on est guère surpris de constater une reformulation (qui éclaire donc Joh 10.38) : ἐγὼ ἐν αὐτοῖς καὶ σὺ ἐν ἐμοί, ἳνα ὦσιν τετελειωμένοι εἰς ἕν, moi en eux, et toi en moi, pour qu’ils soient parfaitement un (Joh 17.23). Si l’on en doutait, on comprend en lisant Joh 17.21-23 que « être un » = « être dans qqn » = « être en parfait accord », voire « être interchangeable (en qualité de représentant, d’ambassadeur).
En somme Joh 17.17-23 permet d’élucider Joh 10.30-38, et inversement :
<< 17 Sanctifie-les par ta vérité : ta parole est la vérité.
18 Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les ai aussi envoyés dans le monde.
19 Et je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu’eux aussi soient sanctifiés par la vérité.
20 Ce n’est pas pour eux seulement que je prie, mais encore pour ceux qui croiront en moi par leur parole,
21 afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi , et comme je suis en toi, afin qu ‘eux aussi soient un en nous, pour que le monde croie que tu m’as envoyé.
22 Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée , afin qu ‘ils soient un comme nous sommes un, –
23 moi en eux , et toi en moi , -afin qu’ils soient parfaitement un , et que le monde connaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. >> (S21)
Gloire et sanctification sont partagées (cf. Joh 1.16) : les disciples qui reçoivent la parole de Dieu, qui est vérité, reçoivent en fait Christ, parfait représentant du Père (Joh 1.18, Joh 14.9 ; cf. Joh 6.46) qui porte sa Parole et qui ne fait rien de lui-même, mais seulement ce que le Père lui a enseigné (Joh 8.28 ; Joh 5.19, Joh 5.30, Joh 12.49-50 ; cf. Joh 6.38). Il fait si exactement ce qui vient du Père qu’il peut lui-même être qualifié de chemin, vérité et vie (Joh 14.6, etc).
Qui es-tu ?
Une question obsède « les Juifs » (cf. Newman et Nida 1993 : 640-649, Caron 1997 ; JANT 524-526) dans l’évangile de Jean : « Qui es-tu ? » (σὺ τίς εἶ; Joh 1.19, Joh 8.25), « Qui prétends-tu être ? » (τίνα σεαυτὸν ποιεῖς; Joh 8.53). Dans notre locus, la tension est palpable : « Jusqu’à quand nous tiendras-tu en haleine ? Si tu es le Christ, dis-le nous franchement » (ἕως πότε τὴν ψυχὴν ἡμῶν αἴρεις; εἰ σὺ εἶ ὁ χριστός, εἰπὲ ἡμῖν παρρησίᾳ, Joh 10.24). La question n’est pas innocente car pour eux, Jésus n’est pas le Christ, puisqu’il est convenu d’exclure des synagogues quiconque le professe (Joh 9.22). Dans la population les avis sont partagés : on le dit prophète (Joh 7.40), ou Messie (Joh 7.26, Joh 7.31, Joh 7.41-42). Quant à Jésus, il se dit « fils de l’homme » (Joh 1:51, Joh 3.13, Joh 3.14, Joh 5:27, Joh 6.27, Joh 6.53, Joh 6.62, Joh 8.28, Joh 12.23, Joh 12.34, Joh 12.31 ; c’est même lui-seul qui se désigne ainsi, cf. DTC 469 (1998 : 469), Buchhold 2002a : 22). Cette tournure, en hébreu בן אדם et en araméen בר אנש interroge à plus d’un titre car sa présence en Dan 7.13 (כְּבַר אֱנָשׁ) n’épuise pas, dit-on, le sens que prend la tournure dans l’évangile de Jean, ou même ailleurs dans le NT (nombreuses références dans les synoptiques, ex. Mat 9.6, Mat 13.41, Mat 16.27, Mat 19.28, Mat 26.64, Mar 9.12, Mar 13.26, Mar 14.62, Luc 5.24, Luc 18.31). Les caractéristiques principales de ce « fils de l’homme » sont 1) le pouvoir de donner la vie, et 2) le pouvoir de juger (ex. Létourneau 1992: 332-333 ; Ford 1968 : 265). Or l’expression elle-même « fils d’homme », ou « fils de l’homme », signifie simplement « être humain », « homme » (on le perçoit distinctement dans le parallèle synonymique homme et fils de l’homme d’ Heb 2.6 – ἄνθρωπος et υἱὸς ἀνθρώπου inarticulé ; en hébreu, cf. Jug 17.6). En Daniel 7, l’expression כְּבַר אֱנָשׁ fait contraste avec celles qui précèdent, et qui évoquent des êtres célestes à figure animale : comme un lion (כְאַרְיֵה Dan 7.4), comme un ours (דָּמְיָה לְדֹב Dan 7.5), comme un léopard (כִּנְמַר Dan 7.6) et le dernier « terrible » (דְּחִילָה Dan 7.7). Il ne s’agit plus d’animaux. Il s’agit d’un être céleste, d’une seconde figure divine, qui elle, ressemble à « fils d’homme », c’est-à-dire à un être humain : gloire et domination lui sont remises (Dan 7.14), thèmes qui sont précisément très présents dans le quatrième évangile (gloire : Joh 1:14, Joh 2.11, Joh 5.41, Joh 8.54, Joh 11.40, Joh 17.5, Joh 17.22, Joh 17.24 etc / domination : Joh 3.35, Joh 5.27, Joh 13.3, Joh 17.2 ; voir aussi Rev 11.15, Rev 17.14, Rev 19.16 etc ; sur quelques-uns des titres et attributs de Jésus dans l’évangile de Jean, voir Hurtado 353-407).
Une autre caractéristique frappante de Jésus dans l’évangile de Jean concerne sa filiation. Que ce soit le narrateur (Joh 3.18, Joh 20.31), les personnages (Joh 1.34, Joh 1.49, Joh 11.27), ou Jésus lui-même (Joh 9.35, Joh 10.36), la confession est claire : Jésus est le Fils de Dieu. Si certains documents du NT, citant Psa 2.7, font de cette filiation une adoption à caractère messianique (Mat 3.17, Mat 17.5, Mar 1.11, Mar 9.7, Luc 1.35, Luc 3.22, Luc 9.35, Heb 1.5-6, Heb 5.5 – citations plus ou moins explicites de Psa 2.7), cette notion semble quasi absente du quatrième évangile (p.ê. Joh 1.49). En revanche la filiation de Jésus y présentée abondamment, Jésus est « le Fils » au sens absolu (cf. Joh 3.35, Joh 5.19, Joh 5.20, Joh 5.21, Joh 5.23, Joh 6.27, Joh 6.40 etc). On le dit plus que « fils », il est le Fils unique de Dieu (Joh 1.18, Joh 3.16-18), car sa relation au Père est spéciale (Mar 14.36), du moins dans un premier temps (Rom 8.15, Gal 4.6).
Faut-il y voir plus qu’un titre messianique, une confession de sa divinité ? Pas nécessairement, car l’expression est courante dans la Bible. 1) Dans l’Ancien Testament, les בני אלהים, les « fils de Dieu », sont des anges (Gen 6.2, Gen 6.4, Job 1.6, Job 2.1, Job 38.7, Psa 89.6 ; à Qumrân et dans les pseudépigraphes de l’AT, nombreuses sont les désignations des anges, et notamment en tant que « fils (ou enfants) du ciel », 1 Hénoch 6.2, 13.8, 14.3, ou « fils de Dieu », 1 Hénoch 61.10, 104.6, 1QapGen ar 2.5,6, 5.3,4,7, 6.8-1cr1, 1QS: 4.22,26, 1QHa: 11.22, 4Q204: 6.5,12, 4Q418: frag. 2.4, frags. 212, 213.4 ; voir encore Dunn 1992 : 15-16, Carmignac 1963 : 379,386, Barker 1992 : 70-96). 2) En dehors des anges, les humains sont aussi qualifiés de « fils de Dieu ». C’est le cas de Adam, (Luk 3.38), des rois d’Israël (2Sa 7.14), et du peuple d’Israël dans son ensemble (Exo 4.22, Hos 11.1). Plus tard les chrétiens reçoivent aussi cette appellation (Gal 4.6, Joh 20.17, 1Jo 3.1-2 etc). Scribes et pharisiens eux-mêmes se disaient Fils d’Abraham (Joh 8.37), et fils de Dieu (Joh 8.41) !
On a vu que la figure du Messie, surtout dans le quatrième évangile, plonge ses racines dans les visions de Daniel (et/ou d’Ezéchiel, Eze 1.26 – Feuillet 1953 : 189 ; d’autres accentuent l’importance des Proverbes, Pro 30.1-4 – Burkett 2003 : 67). Rien d’étonnant donc que cette figure soit, elle-aussi, un (ou plutôt Le) « Fils de Dieu » (au vrai les deux expressions ne sont pas très différentes, cf. Reynolds 2008 : 129, Burkitt 1991, Kim 1983 etc). Cette même compréhension du Messie se retrouve, là-encore, à Qumrân (entre autres affinités étonnantes) : l’oint de Dieu, le Messie y reçoit divers titres traditionnels (« l’élu », « le oint », « germe de David » etc), mais aussi celui de « fils de Dieu » et « fils du Très-Haut » (ברה די אל et בר עליון), dont le royaume sera éternel (4Q246 2.1,9). On le dit encore « premier-né » (4Q369 frag. 1 2.6 ; cf. DNTB, s.v. « Messianism » : Evans et al. 2000 : 702-703 ; s.v. « Son of God text (4Q246) » 1134-1137 ; DSS-SE 1:493-495). Et dans le Florilège, la relation spéciale entre le Messie et Dieu est résumée par une citation de 2Sa 7.11-13 : « Moi, je se[rai] pour lui un père, et lui, il sera pour moi un fils » (4Q174 1.11 ; cf. Pléiade, Écrits intertestamentaires p.410 et note 11 p.410-411 ; voir aussi 1Ch 17.13, 1Ch 22.10, Dunn 2003 : 709).
Quoique parfaitement biblique, cette filiation divine est subversive (ex. en Mat 26.63-65 elle équivaut – quasiment – à un blasphème). Jésus ne s’appelle guère ainsi dans le quatrième évangile ni dans les synoptiques (Joh 3.18, Joh 5.25, Joh 10.36, Joh 11.4 ; cf. Thiessen 1987 : 109-110), préférant une tournure plus cryptique : « fils de l’homme » (ou : « Fils de l’Homme », ou : « L’Homme » ; cf. JANT 545, Héring 1959 : 75-110). Comment d’ailleurs cette notion était-elle comprise alors ? Assurément, dans son sens le plus obvie : fils de l’homme = être humain. Était-elle chargée de notions eschatologiques (dans la lignée de 1 Hénoch 49 ; 69.26-29, 71.14-17, 4 Esdras 13.1-13) ? Ce qui paraît certain, c’est qu’il faut en chercher l’origine en Dan 7.13 principalement, et que la figure humaine qui y est décrite en était venue à désigner le Messie (Dalman 1902 : 248, Buchhold 2002b : 13) ; mais que cette figure céleste fût chargée de tous les accents apocalyptiques qu’on lui trouve dans la littérature intertestamentaire, sur ce point une grande prudence s’impose (Fitzmyer 1979 : 153, 155, Buchhold 2002b : 13 ; Boyarin 2013 : 120 : « [concept] communément compris [dans le judaïsme déjà avant Jésus] – ce qui ne veut nullement dire (…) universel ou incontesté ») : le sens que l’expression prend sur les lèvres du Christ paraît lui avoir été toute particulière (Dalman 1902 : 266, Higgins 1980 : 124).
« Tu te fais dieu »
«Ce n’est pas pour une belle œuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème, parce que toi, qui es un être humain, tu te fais Dieu.» (S21) (ποιεῖς σεαυτὸν θεόν).
Dans le quatrième évangile, « les Juifs » sont les champions de l’incompréhension (Truex 2002 : 209 ; cf. Carson et Moo 2007 : 235, Duke 1985 : 145) : Culpepper (1959: 161-162) dénombre pas moins de 18 cas d’incompréhensions et de malentendus, le plus souvent de leur part : Joh 2.19-22, Joh 3.3-5, Joh 4.31-34, Joh 6.32-35, Joh 7.33-36, Joh 8.21-22, Joh 8.31-36, Joh 8.56-58, Joh 11.15-16, Joh 11.23-25, Joh 12.28-29, Joh 14.4-6, Joh 14.8-9. Le lecteur de l’évangile doit-il donc puiser à leurs paroles (« tu te fais dieu ») pour comprendre ce que Jésus voulait dire ? Cela paraît hasardeux, mais il se trouve que notre locus est un peu particulier. Pour le comprendre, il convient, pensons-nous, d’identifier le ou les griefs poussant « les Juifs » à tenter de lapider Jésus.
Joh 5.18 οὐ μόνον ἔλυεν τὸ σάββατον, ἀλλὰ καὶ πατέρα ἴδιον ἔλεγεν τὸν θεὸν ἴσον ἑαυτὸν ποιῶν τῷ θεῷ
Joh 8.57 πεντήκοντα ἔτη οὔπω ἔχεις καὶ Αβραὰμ ἑώρακας;
Joh 10.33 σὺ ἄνθρωπος ὢν ποιεῖς σεαυτὸν θεόν
Joh 19.7 ἡμεῖς νόμον ἔχομεν καὶ κατὰ τὸν νόμον ὀφείλει ἀποθανεῖν, ὅτι υἱὸν θεοῦ ἑαυτὸν ἐποίησεν
Joh 19.12 : πᾶς ὁ βασιλέα ἑαυτὸν ποιῶν ἀντιλέγει τῷ Καίσαρι.
Dans le premier cas (Joh 5.18), on tente de faire mourir Jésus parce qu’il « viole le sabbat » et qu’il se fait « égal à Dieu » (sur les isotheoi timai, qu’il ne faut pas confondre avec divinisation et/ou déification, cf. Fontaine 2010 : 105). Dans le deuxième cas (Joh 8.57), « les Juifs » se moquent de Jésus qui déclare avoir préexisté à Abraham (Joh 8.58 : πρὶν Αβραὰμ γενέσθαι ἐγὼ εἰμί), et disent : « tu n’as pas cinquante ans ! ». Dans notre locus (Joh 10.30) c’est parce que Jésus se fait « dieu ». Il n’est d’ailleurs pas question ici de traduire par « se faire Dieu » comme si Jésus prétendait être Dieu (le Père), avec lequel il prend soin de se distinguer (il se dit « Fils », « Fils de l’Homme »), qu’il reconnaît comme supérieur à lui-même (Joh 10.34, Joh 20.17) et comme source unique de son enseignement (Joh 5.19 etc). La polémique juive anti-chrétienne gardera d’ailleurs un souvenir d’une prétention du Christ, non pas à se dire Dieu, mais Fils de Dieu (cf. y.Ta’an 2.65b,59 : « Si un homme te dit : « Je suis Dieu », il ment ; s’il dit : « Je suis le Fils de Dieu », il finira par le regretter » (cité dans Sheridan 2012 : 200n206). Dans le quatrième cas, le grief porte sur la qualité de « Fils de Dieu ». Enfin le dernier cas concerne la revendication à être roi d’Israël (autrement dit l’oint de Dieu, le Messie).
Un mot sur les « je suis » dans l’évangile de Jean : ils ne disent pas Jésus = Dieu, ni Jésus = Jéhovah. La divinité de Jésus, sa nature d’être divin (cf. Goguel et Monnier 1929 – BCT 4 : 142), a été affirmée dès le prologue (Joh 1.1, p.ê. Joh 1.18), et le lecteur est déjà dans la confidence. Ces « je suis » n’ont donc pas pour objectif de rappeler ce fait. Ils entérinent simplement une notion sur laquelle « les Juifs » achoppent constamment : le Fils est le parfait représentant du Père ; le Fils se substitue au Père ; qui n’honore pas le Fils n’honore pas le Père (qui a envoyé son Fils). C’est à cette conclusion notamment que parvient Williams (I am He, 2000 : 302-303 ; je souligne) :
Since ἐγώ εἰμι (אני הוא) serves as a succinct expression o fthe unique and exclusive divinity of Yahweh in both Deut. 32:39 and the poetry of Deutero-Isaiah, its appropriation by Jesus in the Fourth Gospel demonstrates that John is expounding the central theme that Jesus is the definitive revelation of God, which signifies his unity with the Father. Indeed, each occurrence of the ἐγώ εἰμι is complemented by a statement stressing the Son’s dependence on, and unity with, the Father (4:34; 8:26, 28; 13:20; 18:11). (…) The Fourth Gospel therefore portrays Jesus as the one in whom and through whom God speaks and acts, not in the sense that he presents himself as an independent divine being, but because his mission is to accomplish his Father’s works (5:19; 10:37-38; 14:10-11).
D’autres y voient beaucoup plus : une identification « ontologique » de Jésus avec Dieu (Ball 1996 : 277). Mais c’est aller trop loin, et se méprendre sur l’ensemble de l’intention du Quatrième Évangile, et son contexte, comme nous allons le voir.
Fermons la parenthèse sur ces « je suis » et récapitulons : ce que les Juifs reprochent à Jésus au fond, c’est de se dire être divin envoyé par Dieu, alors qu’ils récusent son mandat et ne voient en lui qu’un homme. Il se fait « dieu » en ce sens qu’il déclare venir du Père : il se fait dieu puisqu’il se dit être fils de Dieu. Il faut d’ailleurs bien comprendre le grief de Joh 5.18. Faire de Dieu son « propre » Père, ce n’est pas se dire à égalité (fonctionnelle, et encore moins ontologique) avec le Père. C’est tout simplement se dire l’un « des dieux », l’un des membres du conseil divin, membre éminent de surcroît. Voilà pourquoi les Juifs concluent que dire : « mon Père » = « se faire égal à Dieu ». Ou que dire : « moi et le Père, nous sommes un » = « se faire dieu ». Équations qui ne signifient rien d’autre pour eux, comme ils l’expliquent à Pilate : « se faire égal à Dieu » = « se faire dieu » = « se dire fils de Dieu ». On ne souhaite pas mettre Jésus à mort pour de subtiles raisons philosophico-religieuses (il aurait prôné une conception binitaire, et enfreint l’unicité divine ; il aurait prôné l’hérétique notion des « deux puissances » cf. Segal 2012). On souhaite le mettre à mort, tout simplement, à cause de sa prétention à être le Messie : « dieu », fils de Dieu, roi d’Israël.
<< 34 Jésus leur répondit: «N’est-il pas écrit dans votre loi: J’ai dit: ‘Vous êtes des dieux’ ? 35 S’il est vrai qu’elle a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée et si l’Ecriture ne peut pas être annulée, 36 comment pouvez-vous dire à celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde: ‘Tu blasphèmes’, et cela parce que j’ai affirmé: ‘Je suis le Fils de Dieu’? 37 Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas! 38 Mais si je les fais, même si vous ne me croyez pas, croyez à ces œuvres afin de savoir et de reconnaître que le Père est en moi et que je suis en lui.» >>
Pour déjouer leur raisonnement, Jésus fait appel à une technique d’exégèse qui lui est familière, le qal wahomer (« léger et lourd », i.e. argument a fortiori ; cf. de Jonge et van der Woude 1966 : 312-313, Draper 2015 : 8, Longenecker 1999 : 52-53), et cite Psaume 82.
Dans ce psaume, Dieu entre dans l’ « assemblée de El » (traduit par l’assemblée divine dans la NBS que nous citons) et juge des « dieux ». On discute (ex. Sheridan 2002 : 202-208) de savoir s’il s’agit de juges humains (position dominante recommandée par le contexte et des parallèles), d’anges (position défendable mais controversée), ou d’Israël au Sinai recevant la Loi (Jésus parle de ἐκείνους… οὓς ὁ λόγος τοῦ θεοῦ ἐγένετο, ceux… auxquels la parole de Dieu a été adressée, Joh 10.35). Quoi qu’il en soit au juste de l’identité de ces « dieux » (humains dans la première et la troisième hypothèse), ils deviendront « mortels » (Psa 82.7). C’est donc que leur position les a rendus « immortels », et même « dieux ». Si nous partons sur l’hypothèse de juges humains élevés symboliquement au rang de dieux parce qu’ils opèrent (ou sont sensés opérer) la justice, l’argument de Jésus consiste à dire : ces humains ont reçu le pouvoir de juger [une prérogative qu’on dit n’appartenir qu’à Dieu en principe], et ils sont devenus (légitimement) des dieux [QAL, situation mineure]. A COMBIEN PLUS FORTE RAISON le Fils de l’Homme, qui est le Logos divin apportant jugement et salut sur terre peut-il être appelé Fils de Dieu (ou: dieu/Dieu) [HOMER, situation majeure].
Le raisonnement de Jésus réduit à néant les griefs de ses interlocuteurs, car nul ne contestera que des humains aient été appelés dieux en raison de leurs fonctions. C’est le cas aussi de Moïse, qui est fait « dieu » aux yeux de Pharaon (Exo 4.15-16, Exo 7.1 ; cf. Menken 1996 : 57-60). On trouve encore cette divinisation d’une figure humaine à Qumrân, en la personne de Melkisédeq. Ce roi-prêtre du Dieu Très-Haut, évoqué furtivement en Gen 14.18-20 et Psa 110.4, a enflammé l’imagination (sa figure étant réellement « énigmatique » à biens des égards, et déjà divine en quelque sorte – cf. par ex. Bodinger 1994 : 333), et sa légende fournit incidemment de précieuses indications sur les attentes eschatologiques et les mentalités à l’époque de Jésus. Dans la Légende hébraïque de Melkisédeq (11Q13), « le personnage de Melkisédeq joue un rôle capital comme patron du lot des justes, juge, sauveur et souverain des temps derniers » (Pléiade p.423 ; 11Q13 2.9-11).
9 הואה הק̇ץ̇ ל֯שנת הרצון למלכי צד֯ק ו֯לצ֯ב֯[איו ע]ם֯ קדושי אל לממ̇ש̇לת משפט כאשר כתוב
10 עליו בשירי̇ דויד אשר אמר אלוהים [נ]צ̇ב בע̇[דת אל ]ב̇קורב אלוהים ישפוט. וע̇ליו א̇מ̇[ר ו]ע̇לי[ה]
למרום שובה אל ידין עמים. 11
Car 9 ce sera le moment de l’année de la Bienveillance de Melkisédeq. [C’est l]ui qui, dans sa puissance, jugera les Saints de Dieu selon les actes de justice, ainsi qu’il est écrit 10 à son sujet dans les chants de David qui a dit : Un dieu est debout dans l’assemblée [divine], au milieu des dieux il juge. C’est aussi à son sujet que (David) 11 a dit : Au-dessus d’elle retourne vers la hauteur, un dieu jugera les peuples. (Pléiade p.428)
La traduction de la Pléiade laissant plutôt à désirer, ajoutons celle de Carmignac (1970 : 358 ; voir aussi celles de Puech 1987 : 490 et de Wise-Abegg-Cook 2003 : 599-600 ; deux autres sont fournies dans Laperrousaz 1982 : 207, 215) :
(9) c’est le temps de l’année de la faveur pour MalkîSèdèq[.——- ——-] les saints de Dieu pour la domination du jugement, comme il est écrit (10) à son sujet dans les cantiques de David, qui dit : « Dieu [se ti]ent dans l’as[semblée des saints,] au milieu des (êtres) divins il jugera. Et à son sujet de [nouveau, a été ré]alisé : (11) « Retourne dans les hauteurs. Dieu jugera les peuples ».
Les anges sont qualifiés de « dieux », et l’auteur n’hésite pas à appliquer à la figure exaltée de Melkisédeq des citations bibliques où c’est Dieu qui est en vue (ici Psa 82.1). Le document, bien entendu, suscite des flots d’interrogations (cf. EDSS 1 : 535-537, cf. bibliographie p.537), mais on remarquera avec intérêt (même si cela est discuté), que si le sujet de la première citation ne fait pas de doute – on cite Psa 82.1 et il est question de Dieu – dans la seconde le texte de Psa 7.8- voit une retouche typiquement qumrânienne s’effectuer, le tétragramme יהוה du texte biblique est remplacé par אל, avec pour sujet toujours, semble-t-il, notre fameux Melkisédeq (cf. Fitzmyer 1971 : 262). Mais ce n’est pas tout car le document fait une autre citation implicite d’ Isa 61.2, où il est question d’une année de la faveur pour Jéhovah (שְׁנַת ־רָצוֹן֙ לַֽיהוָ֔ה) en y substituant de nouveau le nom divin par Melkisédeq : שנה הרצון למלכי צדק, année de la faveur pour Melkisédeq (11Q13 2.9, cf. 2.13). D’autres expressions – qui concernent ordinairement Dieu – sont mises sur le compte de cette figure céleste : l’héritage de Melkisédeq pour l’héritage de Dieu (11Q13 2.5, 2x), le lot de Melkisédeq pour le lot de Dieu (11Q13 2.8). Enfin une mention on ne peut plus explicite indique en 11Q13 2.24-25 : [ואלוהיך הואה [מלכי צדק, « et ton Dieu c’est [ ] [Melkisédeq] » (sur les implications importantes de ce type de citation, voir particulièrement par ex. Batsch 2008 : 9-10, Puech 1987 : 510-511, Laperrousaz 1982 : 211-212). Cette pratique fait dire Abegg, Wise et Cook (2003 : 598, je souligne) :
(…) l’auteur [de cette légende de Melkisédeq] déclare que l’agent de ce salut n’est autre que Melchisédech, mystérieuse figure mentionnée à deux reprises seulement par la Bible, dans Genèse 14 et dans le Psaume 110. Pour lui, Melchisédech est un être divin célébré à l’extrême, auquel sont donnés des noms en général réservés exclusivement à Dieu, les noms hébraïques el et elohim. Dans la citation d’Isaïe 61:2 qui parle de « l’année de grâce donnée par l’Eternel », l’auteur substitue même « Melchisédech » au nom le plus sacré du Dieu d’Israël, Yahvé. Plus remarquable encore, il est dit que Melchisédech efface les péchés des justes et rétribue les impies – prérogatives généralement associées à Dieu lui-même. C’est par la puissance de Melchisédech que la domination sur terre passera de Satan (appelé ici Bélial) aux justes Fils de lumière.
Nous y sommes, et ce n’est pas le seul cas : Yahoel-Metatron (Prince de la Divine Présence, « second » YHWH cf. 3Hen 12.1,5 ; cf. Orlov 2017 et 2005), Ange de vérité (1QS 3.24), Ange(s) de la Face (cf. 1QH 3.22, 6.13, 11.11-12, 1 Hénoch 40.1-10, Jub. 1.27,29, 2.1,2,18, 31.14, T. Lévi 4.2, T. de Juda 25.2 etc ; voir ici), Prince des Lumières (1QS 3.20), archange Michel (1QM 17.6-8 ; Ap. Abr. 10.17), Grande Main de Dieu (4Q177 4.14), Hénoch et tant d’autres, on ne compte plus les figures eschatologiques aux abords de notre ère (cf. Draper 2015 : 1). Parfois investies du nom divin (cf. Exo 23.21 ; cf. Jaubert 1976 : 162-167), elles agissent en lieu et place du Souverain de l’Univers. C’est en ce sens qu’on ne rechigne pas à citer les Écritures en appliquant à ces intermédiaires des citations intéressant le seul Dieu d’Israël. D’où que viennent cette pratique, elle n’est pas sans analogie avec des passages de l’AT où la distinction entre Jéhovah et son Ange n’est pas toujours nette : Gen 16.7 et Gen 16.13 ; Gen 21.17 ; Gen 22.11-15 ; Gen 31.11 ; Exo 3.2 et Exo 14.19 ; Jdg 2.1 (textes cités dans Laperrousaz 1982 : 211-212). Ces considérations, et d’autres, font dire à Truex au sujet de Joh 5.19-30 (2002 : 224 ; sur le concept de « corporate being/personality » voir aussi Capes 1992 : 173-174, Mulder et al. 2004 – Mikra : 716-719) :
It is likely that the writer and earliest readers of Jn 5:19-30 would have undestood that qualification [that Jesus was equal with God (ἵσος τῷ θεῷ)] in light of other early Jewish, particularly apocalyptic, traditions about (the) Son of Man. Against this backdrop, the claim that Jesus is equal with God is not a claim that Jesus is God. Rather, it asserts that Jesus functions as Viceroy of God, and is entitled to equal honor with God.
Jésus – qui porte en lui le nom de Dieu, puisque son nom signifie Jéhovah est salut – est aussi appelé Emmanuel (Mat 1.23), c’est-à-dire Dieu est avec nous. Il est prêtre selon l’ordre de Melchisédeq (Heb 5.6, Heb 5.10, Heb 6.20, Heb 7.1, Heb 7.3, Heb 7.10, Heb 7.11, Heb 7.15, Heb 7.17, Heb 7.21 ; cf. Spicq 1953, II : 203-214), et sans doute aussi – comme le Mechisédeq de Qumrân (cf. Hadas-Lebel 2014 : 128) – ce Michel dont parlent Jude et la Révélation (Jud 1.9, Rev 12.7). Agissant en tant qu’envoyé (Joh 8.42 etc), en tant que Fils (Joh 1.14 etc), et tant que porte-parole (Joh 5.19, Joh 8.28 etc), Jésus peut légitimement être appelé « dieu » (être divin, puisque descendu du ciel, Joh 6.42, Joh 6.58 ; cf. Isa 9.6) ou même « Dieu » (ainsi déterminé, le vocable Dieu désigne le Père-qui-envoie-le-Fils, et dont Jésus est l’image exacte, Joh 14.9, d’où p.ê. Joh 20.28).
En résumé
Dans les synoptiques et dans le Quatrième Évangile il n’y a point de mystère : l’identité de Jésus qui fait débat, c’est sa qualité de « Christ, Fils de Dieu » (Mat 16.16, Mat 26.63, Mar 1.1, Mar 14.61, Luc 4.41, Joh 11.27, Joh 20.31 ; cf. Act 8.37). En mentionnant derechef la qualité de « Fils de Dieu » comme une précision à sa qualité de « Christ » ou « Messie », on fait savoir que l’oint de Dieu, appelé Fils, est de nature divine, car c’est un être céleste (Joh 1.1, p.ê. 20.28) : personne n’a jamais vu Dieu, mais le Fils, qui est seul à être descendu du Ciel, le révèle (Joh 1.18, 1Jo 4.12 ; cf. Pro 30.4). Ceux qui ont reçu la Parole de Dieu ont du moins voir la gloire de Dieu (Joh 1.14, Joh 11.40). Tout comme Moïse au désert recevant la Loi, ou Moïse devenant dieu pour Pharaon (car Moïse connaît le Nom et agit ainsi en porte-parole redoutable, cf. Exo 3.13-15), les humains qui reçoivent le Logos, la Parole de Dieu, peuvent devenir des fils ou enfants de Dieu (Joh 1.12 ; cf. Rom 8.14). Mais Jésus n’a pas toujours cherché la confrontation, et il semble que l’expression par laquelle il se désigne lui-même volontiers (et à la troisième personne), Fils de l’Homme, ait eu quelque chose de cryptique (Nel 2017 : 2).
Souvent « les Juifs » se méprennent sur Jésus et sur ses intentions. Ils s’offusquent de le voir endosser des prérogatives que seul Dieu possède : donner ou ramener à la vie, exercer le jugement. Alors, Jésus les pousse dans leurs derniers retranchements en déclarant : « Je suis« , c’est-à-dire : « Je suis (lui, le Messie attendu)« , ou « Je suis (Lui, Dieu, en tant que son parfait représentant)« . Il dit encore : « Le Père et moi nous sommes un« , ou : « Le Père est en moi et je suis dans le Père« . Mais il dit la même chose de ses disciples (Joh 14.20, Joh 17.11, Joh 17.21-23). Il n’y a point de compétition, car « le Père aime le Fils et lui a tout remis » (Joh 3.35 ; Joh 5.20, Joh 10.17 etc), le « Fils aime le Père » et agit selon ses ordres (Joh 14.31). Cet amour est tel que celui qui aime le Fils est aimé du Père (Joh 14.21, Joh 14.23, Joh 16.27). Point de compétition, et point de confusion non plus : le « seul vrai Dieu » reste le Père (Joh 17.3 τὸν μόνον ἀληθινὸν θεὸν ; Joh 5.44 τοῦ μόνου θεοῦ).
Pour comprendre Joh 10.30, il faut donc garder à l’esprit – en plus de tout cet incroyable, tentaculaire et inextricable folklore apocalyptique qui caractérisait l’époque de Jésus – ces deux versets de l’évangile de Jean : « celui qui me voit voit celui qui m’a envoyé » (Joh 12.45 ; cf. Col 1.15, Heb 1.3) et : « ces choses ont été écrites afin que vous croyiez que Jésus est le Christ le Fils de Dieu et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom » (Joh 20.21).