29/05/2021

The Cambridge Greek Lexicon (Diggle et al. 2021)

Ce n’est pas tous les jours qu’un nouveau lexique de grec ancien est publié. Après une remarquable grammaire parue en 2019, l’Oxford University Press ajoute donc à sa collection The Cambridge Greek Lexicon (2021) éditée par J. Diggle et al.

The Cambridge Greek Lexicon is based upon principles differing from those of existing Greek lexica. Entries are organised according to meaning, with a view to showing the developing senses of words and the relationships between those senses. Other contextual and explanatory information, all expressed in contemporary English, is included, such as the typical circumstances in which a word may be used, thus giving fresh insights into aspects of Greek language and culture. The editors have systematically re-examined the source material (including that which has been discovered since the end of the nineteenth century) and have made use of the most recent textual and philological scholarship. The Lexicon, which has been twenty years in the making, is written by an editorial team based in the Faculty of Classics in Cambridge, consisting of Professor James Diggle (Editor-in-Chief), Dr Bruce Fraser, Dr Patrick James, Dr Oliver Simkin, Dr Anne Thompson, and Mr Simon Westripp.

Les deux principales promesses sont les suivantes :

une organisation selon le sens

une lexicographie ab ovo par l’examen des sources primaires

Le projet a été initié par le célèbre Dr Chadwick en 1997, avec pour but initial de réviser l’Intermediate Greek-English Lexicon. Mais l’on s’est bien vite rendu compte que c’est plus qu’une révision qui était nécessaire, les sciences philologiques ayant significativement progressé depuis le XIXe s., sans parler des nombreuses découvertes épigraphiques ou papyrologiques effectuées depuis. Décision fut prise de réaliser un lexique tout à fait indépendant, fondé sur un réexamen des sources. Cet objet louable et ambitieux s’inspire des travaux de Lee 2003, lequel a dénoncé les insuffisances de la plupart des lexiques de grec disponibles sur le marché : ils sont tributaires de leurs prédécesseurs à un degré indécent, font généralement peu progresser la lexicographie, pérennisent des erreurs, proposent des gloses plutôt que de véritables définitions, et procèdent parfois d’une logique plus commerciale que scientifique. Dans ce contexte, le besoin d’outils fondés sur des méthodes modernes, et un réexamen minutieux des textes anciens, est plus que nécessaire, mais représente naturellement un travail herculéen.

Les éditeurs du Cambridge Greek Lexicon (CGL) se sont attelés à cette tâche immense ces 20 dernières années. Le résultat consiste en deux volumes de belle facture, agréables à consulter. Il ne s’agit pas d’un dictionnaire sensé couvrir l’ensemble de la langue, mais d’un lexique, ce qui signifie qu’une sélection s’est opérée. C’est là où l’excitation première retombe un peu. Les éditeurs indiquent avoir couvert la période depuis Homère jusqu’au début du IIe s. (plus précisément, jusqu’au Vies parallèles de Plutarque, i.e. 100-120 AD, cf. p.vii). De ce fait, on serait en droit d’attendre une prise en compte de  l’ensemble des lexèmes du NT, mais ce n’est hélas pas le cas. Par exemple ἁρπαγμός y est absent, quoiqu’il figure dans le NT (c. 60-62 AD au plus tard pour l’épître aux Philippiens). On en comprend la raison en consultant le corpus des oeuvres citées dans le lexique : pour le NT, seuls les Évangiles et les Actes ont été pris en compte (cf. p.xv et xvii ; d’après le texte du NA28). Pour la LXX, rien. Cela ne signifie pas que le CGL sera totalement inutile pour la LXX, puisque nombre de vocables chez des auteurs classiques se trouvent aussi dans la LXX.

Il faut donc aborder le CGL pour ce qu’il est : un outil complémentaire, destiné aux études classiques, et qui peut éventuellement avoir un intérêt, par sa méthode nouvelle, pour les études bibliques. Ce ne sera toutefois pas la panacée ; l’ouvrage devra faire son nid parmi de grands noms, spécialement le BDAG, le GE, le LEH, le LSJ et le GELS pour ne citer que les plus connus. Je propose dans ce qui suit de donner un échantillon de ce lexique, en le comparant avec les trois dictionnaires/lexiques qui lui sont le plus proches : le BDAG, le LSJ et le GE, et ce pour le verbe ἡγέομαι.

CGL I, 656-657 LSJ 763 BDAG 434

GE 901-902

Le premier constat qu’on peut faire est que le CGL est plus concis, plus lisible que ses pairs… car il est beaucoup plus succinct. Cela s’explique en grande partie en raison de son choix de ne pas donner de référence exacte : seul est mentionné le nom de l’auteur où figure un sens allégué. Il n’y a pas non plus d’exemples d’illustration. On est donc, d’emblée, dépaysé, pour ne pas dire décontenancé – car il faut faire confiance à l’éditeur…

Pour le verbe ἡγέομαι le CGL fournit 6 sens :

1. lead the way, act as guide ; take the lead in, lead
2. take the lead, play the leading role
3. lead, be at the head, be in command
4. be in power, rule, be in control, hold the hegemony
5. lead, guide; lead, invite
6. consider, believe, think

Le LSJ, beaucoup plus touffu (772 mots) et fourmillant d’exemples divisés à l’envi, en propose 4 :

1. precede, to go before on the way, drive, to be antecedent, leading principle, to be one’s leader in, advanced
2. lead, command, rule, have dominion, abbess, principal
3. believe, hold, hold or regard, to believe in
4. pass. being led

Le BDAG, raisonnablement dense (608 mots), propose sobrement 2 définitions :

1. to be in a supervisory capacity, lead, guide
2. to engage in an intellectual process, think, consider, regard

Quant au GE, le plus complet de tous (1048 mots), il propose 3 sens :

1. to guide, lead, go before ; to be antecedent or prior, to precede
2. to lead, command ; to have the power or supremacy, rule, have dominion; to be at the head, direct, preside
3. to believe, regard, hold, think; to esteem, regard; to deem necessary, think fit

Ce bref échantillon permet de formuler les remarques suivantes (qui ne valent que pour ἡγέομαι) :

  • c’est le CGL qui est le plus succinct, mais c’est aussi le lexique qui donne le plus de sens différents au verbe ἡγέομαι,
  • le CGL a, comparé au LSJ et au GE, une bonne lisibilité,
  • la valence du verbe est plus clairement compréhensible dans le CGL,
  • le CGL ne remplit pas vraiment a promesse de proposer de véritables définitions, contrairement au BDAG.

Concernant la première remarque, on peut souligner – à décharge – que le CGL indique en début d’entrée : « There are two basic senses: (1-5) lead, (6) consider ». Cela vaut aussi pour le GE, qui, quoique très touffu à la manière du LSJ, possède un encart grisé en début d’article qui permet d’aller à l’essentiel de la même manière. On est malgré tout surpris de cette prolifération de sens. Pour la comprendre, il faut se reporter aux indications des éditeurs : « Entries are organised no primarly according to chronological or grammatical criteria, but according to meaning, with a view to showing the developing senses of words and the relationships between thoses senses. » Cet objectif me laisse sceptique car il suppose un travail inouï, et son intérêt concret (par exemple pour des traducteurs qu’importe peu l’histoire du sens d’un mot) me paraît limité ; dans les faits, la perception du « développement du sens » d’un vocable et les diverses « relations » d’un sens à l’autre seront plus subjectives qu’objectives (car pour parler objectivement il faudrait une étude de fond pour chaque lexème, ce qui n’est pas réalisable, même en 20 ans). Pour le cas de ἡγέομαι, les nuances ou différences dans les rubriques 1-5 sont peu évidentes.

Dans le cas du verbe ἡγέομαι, la définition la plus efficace reste, et de loin, celle du BDAG. Non seulement les deux principaux sens sont clairement mis en relief, mais de plus une réelle définition est proposée. Le LSJ reste incontournable pour les points de détail ou comme clé d’entrée dans un corpus choisi d’exemples, de même que le GE et pour les mêmes raisons, lequel ne démérite pas à la fois pour sa clarté (encart initial), et son exhaustivité. La plus touffue et imbuvable est sans conteste celle du LSJ. Et la plus concise, quoique très compartimentée, celle du CGL.

En somme le CGL apparaît, pour les personnes souhaitant s’en servir aux fins d’études bibliques (ce qui est le détourner un peu de son usage premier), comme un outil complémentaire et intermédiaire. Ce n’est pas un lexique avancé, et il présente quelques inconvénients fâcheux comme l’absence de citations de ses sources exactes, et son étendue, osons le mot, réduite (on aimerait d’ailleurs bien savoir le nombre de lexèmes retenus). Mais il a des qualités importantes, à savoir sa (relative) indépendance de la tradition lexicographique commune (à vérifier à l’usage, mais à première vue perceptible), et son exergue sur les constructions grammaticales. Sa concision en fait outil de consultation rapide, plus complet et moderne que l’Intermediate LSJ, moins exhaustif bien entendu que le LSJ, mais beaucoup efficace par sa clarté.

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