Cinq ans après la sortie de la révision anglaise de 2013 dont je m’étais fait l’écho, la Traduction du Monde Nouveau vient enfin d’être révisée en son édition française. Pour l’occasion son nom change : Les Saintes Écritures – Traduction du Monde Nouveau (1995) laisse place à un intitulé plus explicite, La Bible. Traduction du Monde Nouveau (2018).
Vous pouvez accéder à cette version en ligne sous divers formats : site web – PDF – ePub.
La version française est essentiellement une traduction de la version anglaise de 2013, avec recours, au besoin, aux textes originaux (mais gageons que l’indication est peu explicite) :
Traduite d’après l’édition anglaise révisée de 2013
et en se référant aux langues d’origine (hébreu, araméen et grec)
Pour ceux qui se demanderaient encore pourquoi une traduction du « monde nouveau », la référence à Is 65.13,17 et 2Pi 3.13 reste inchangée.
Sur la forme, et pour l’édition courante 12×17 cm, les principales nouveautés concernent la couverture, en matériau souple de bien meilleure qualité, la couleur (du noir au gris), la présence de marques-page, et bien sûr l’introduction nouvelle (questions bibliques fondamentales en vingt sujets illustrés) des appendices très intéressants scindés en deux rubriques A et B, et des cartes (rois d’Israël, poids et mesures…). Auxquels s’ajoutent un Index des termes bibliques (mini-concordance plutôt bien conçue) ainsi qu’un Glossaire des termes bibliques. Autre nouveauté significative, chaque livre biblique est précédé d’un « aperçu du contenu » – outline dont les anglo-saxons sont si friands – et de nombreuses notes jalonnent la traduction (principalement des traductions littérales ou alternatives, et parfois des informations contextuelles).
Sur le fond, la traduction est clairement plus dynamique. Certes la TMN reste la TMN : sa saveur particulière, teintée de littéralisme, subsiste. Cependant des efforts non négligeables ont été fournis pour donner à cette traduction une plus grande lisibilité et une meilleure intelligibilité. Pour cela, en bien des endroits, les tournures littérales ont été abandonnées au profit du sens (ex. Jg 11.35 « tu m’as fait me courber » devient « tu me brises le cœur »). De même de nombreuses expressions peu claires ont laissé place à des tournures privilégiant le sens (ex. « pour des temps indéfinis », « fornication » devenant respectivement « pour toujours », « acte sexuel immoral »). Enfin les noms propres ont été francisés, pour être plus faciles à lire, et surtout pour se conformer à l’usage courant de la langue française (ex. Yiphtah redevient Jephté) ; de même les nombres ne sont plus écrits en toutes lettres (ex. Is 37.36 cent quatre-vingt-cinq mille > 185 000 ; où les [hommes] de l’ancienne version deviennent des soldats)
Le Comité de 2013 (anonyme) s’en était expliqué pour la révision anglaise, et l’annexe en question est donc désormais traduite : A2. Caractéristiques de la présente version. Je n’ai pas repéré de spécificité liée à la langue française, mais ce qui est certain, c’est que les traducteurs de la version anglaise ont dû produire un travail d’une immense ampleur pour appliquer au français les révisions anglaises (en cela le recours ponctuel aux textes originaux a dû jalonner l’entreprise).
Les principes directeurs annoncés sont : 1) L’emploi d’un langage moderne et compréhensible, 2) Des expressions bibliques rendues plus clairement. 3) Un style plus fluide. 4) Des noms propres plus courants et plus faciles à lire.
On peut sans hésiter affirmer que ces quatre objectifs ont été largement respectés : la traduction est beaucoup plus facile à lire. Les mauvaises langues diront que vu la littéralité de l’édition de 1995, il n’était pas difficile de faire mieux. Ce serait faire un mauvais procès à cette édition, car le Comité ne s’affranchit pas de sa perspective première : il s’agit toujours de coller le texte au plus près, sauf… dans les cas où le sens serait compromis dans la langue cible (ex. « pauvres en esprit » rendu littéralement, qui pourrait signifier « simples d’esprit » pour certains…).
Par chance le Comité de la TMN nous indique ce qui, pour lui, doit caractériser une bonne traduction. Il est donc loisible d’appréhender sa méthode.
Sanctifier le nom de Dieu en lui rendant la place qui lui revient dans les Écritures (Matthieu 6:9). / Transmettre avec exactitude le message original inspiré par Dieu (2 Timothée 3:16). / Restituer les phrases littéralement lorsque la syntaxe et la grammaire de la langue cible le permettent. / Transmettre le sens réel d’un mot ou d’une expression lorsqu’une traduction littérale déformerait ou obscurcirait l’idée. / Employer un langage naturel, accessible, qui encourage sa lecture (Néhémie 8:8, 12).
Comme on peut s’en douter, les points 1 et 4 sont assez sensibles : on connaît la réserve d’une majorité de traductions vis-à-vis du nom divin ; elle est intolérable, injustifiée et je n’y reviendrai pas. Quant au point 4, il est en effet louable de prémunir le lecteur de s’égarer, surtout quand il s’agit de traduction à proprement parler. Cependant quand la théologie est impliquée , le sujet est beaucoup plus délicat, et d’autres, dont je suis, seraient plutôt enclins à réserver à l’apparat le soin d’expliciter le sens théologique s’il est peu clair ou débattable. Un petit exemple pour me faire comprendre :
- En Job 40.19a la TMN 1995 portait « Il est le commencement des voies de Dieu » ; la TMN 2018 porte désormais : « Parmi les œuvres de Dieu, il vient en tête » avec en note « Litt. ‘il est le commencement' ».
En hébreu l’expression est la suivante : ה֭וּא רֵאשִׁ֣ית דַּרְכֵי־ אֵ֑ל et il est difficile de ne pas penser à ce qui est dit de la Sagesse en Proverbes 8.22 (יְֽהוָ֗ה קָ֭נָנִי רֵאשִׁ֣ית דַּרְכּ֑וֹ ). Modifier la littéralité du passage est ainsi louable dans l’absolu, bien plus, dans la plupart des cas. Mais ce faisant, toute la théologie du passage peut être bouleversée (voir par ex. ici) car dans l’Ancien Testament il existe des références croisées qu’il serait fâcheux d’ignorer. Le traducteur même prudent marche donc sur un terrain « miné », mais il ne faudrait pas pour autant blâmer des biais théologiques à tous les coins de verset : l’interprétation est un « mal » nécessaire, car on ne peut traduire un texte sans l’avoir préalablement compris, et pour comprendre un texte il faut bien sûr en interpréter le sens. Il est à cet égard judicieux de laisser dans le texte ambiguïté si ambiguïté (ou jeu de mots) il y a.
D’autres cas impliquent l’ajout de mots sensés préciser le sens, quand ils sont susceptibles de le modifier (ex. Genèse 3.6 pour la précision temporelle absente de l’original, ou encore Matthieu 27.52-53 pour l’indication d’un sujet non exigé par le texte).
Enfin la volonté de donner du sens peut gommer des indications essentielles pour le lecteur : en Philippiens 2.7 « il est devenu un humain » en lieu et place de l’ancien « a paru dans la ressemblance des hommes » (relégué en note), et 2.8 « lorsqu’il est venu en tant qu’homme » en lieu et place de « lorsque, par sa manière d’être, il s’est trouvé comme un homme » (en note aussi), traduit une volonté louable au premier abord, celle de fluidifier le style. Mais ce faisant on gomme les termes originaux que sont ὁμοιώματι et σχήματι dont le choix (face à μορφῇ/μορφὴν) et la variété sont loin d’être anodins…
6 ὃς ἐν μορφῇ θεοῦ ὑπάρχων οὐχ ἁρπαγμὸν ἡγήσατο τὸ εἶναι ἴσα θεῷ,
7 ἀλλὰ ἑαυτὸν ἐκένωσεν μορφὴν δούλου λαβών, ἐν ὁμοιώματι ἀνθρώπων γενόμενος· καὶ σχήματι εὑρεθεὶς ὡς ἄνθρωπος
Il ne faut donc pas, en aucun cas, confondre intelligibilité et précision. Rendre la TMN plus intelligible en français est une chose, la rendre de facto plus fiable en est une autre. Pour l’instant je n’ai pas le recul suffisant pour en témoigner ; ce qui est certain c’est qu’évidemment en rendant le texte plus français, on prête moins flanc au contresens (ex. Mt 10.32 Tout homme donc qui confesse devant les hommes > Si quelqu’un affirme devant les hommes qu’il est mon disciple).
Pour conclure, je livre ici une comparaison des deux versions pour les textes (pris au hasard) de Genèse 1.1-3, 2 Chroniques 1.1-3, Luc 1.1-3 et Hébreux 1.1-3, en mettant en exergue les principales différences.
On remarque d’emblée que la TMN 2018 est moins verbeuse (on ajoute pleinement foi parmi nous > nous croyons fermement), qu’elle évite les termes un peu vieillots et les tournures défraîchies (ténèbres > obscurité ; maisons paternelles > groupes de famille), évite les périphrases (acquérait du pouvoir dans sa royauté > renforçait son pouvoir royal), gomme les sémitismes (parole de sa puissance > puissante parole) ; tente de généraliser le genre quand c’est possible (paternelles > famille), remplace certains mots connotés (par d’autres mots plus ou moins connotés) (congrégation > assemblée), et n’hésite pas à changer l’ordre des mots de l’ancienne version (voire à en ajouter), pour se conformer à la rhétorique du texte original et/ou faciliter la lecture (Dieu, qui autrefois > Autrefois Dieu // Maintenant…).
Voilà donc pour mes premières impressions.
En bref, il y a là de belles avancées, un travail de grande qualité, qu’il convient de saluer. Tolle lege !