Apprendre une langue, c’est d’abord apprendre du vocabulaire. Privilégier la syntaxe sur le vocabulaire conduit à diminuer l’intérêt même de l’apprentissage : car avec une langue nouvelle, on accède à d’autres littératures, d’autres savoirs, d’autres représentations du monde, mais l’on conviendra que cet accès est d’un intérêt douteux si pour comprendre un texte on passe son temps dans les pages du dictionnaire…
En France, les méthodes d’apprentissage du vocabulaire de grec et d’hébreu bibliques sont quasi inexistantes. Quand elles existent, comme j’ai pu en faire mention pour l’hébreu et l’araméen, la méthode ne favorise en aucun cas l’assimilation. Quant aux méthodes, elles n’introduisent généralement que quelques centaines de termes tout au plus, ce qui est très insuffisant.
Il manque donc des méthodes plus rationnelles visant à enseigner le vocabulaire en tenant compte des processus cognitifs : répétition, analogie, dérivation, illustration. Ces quatre biais permettent à mon sens de formuler des concepts, des domaines sémantiques, bien plus propices à la mémorisation qu’un terme choisi sur la seule base de sa fréquence dans un corpus.
Vous remarquerez que dans l’apprentissage des langues modernes (et même anciennes, cf. Bertrand, Guisard & Laizé), on recourt bien évidemment aux domaines sémantiques pour enseigner le vocabulaire. Mais pas pour les langues bibliques, ou si peu.
L’ouvrage de Pleins et Homrighausen, Biblical Hebrew Vocabulary by Conceptual Categories – A Student’s Guide to Nouns in the Old Testament (Zondervan, 2017) tente de répondre, pour partie, à cette lacune. A côté de méthodes traditionnelles fondées sur les fréquences (ex. Van Voorst, Metzger), il existait déjà pour le grec biblique une approche par domaines sémantiques, celle de Wilson & Oden. Depuis quelques mois, on dispose donc désormais d’un outil équivalent pour l’hébreu biblique.
L’ouvrage tient ses promesses. Plus de 175 catégories permettent de parcourir une vaste étendue du vocabulaire d’hébreu biblique. Quand c’est pertinent, les rubriques commencent par les termes généraux avant d’aborder les termes plus spécifiques. Chaque entrée renvoie à une référence scripturaire à titre d’illustration. Les définitions sont simples et précises, et les auteurs signalent les termes hapax (H) ou peu fréquents (<10x) de manière discrète (R). Quand le sens est débattu, un renvoi aux meilleures études disponibles est effectué (le DCH, le SDBH, ainsi qu’une multitude de monographies ou articles spécialisés). C’est d’ailleurs le point fort de ce manuel : il est récent, et bien renseigné. Quelques appendices complètent le tout : le premier (pp.143-147) est un guide pour des lectures complémentaires. Thème par thème, les références bibliographiques principales sont mentionnées (il manque toutefois le récent Daily Life). Le deuxième (pp.148-150), assez court, mais qui a dû représenter une belle somme d’investigations, recense, thème par thème là-encore, les passages bibliques proposant la plus belle concentration de vocabulaire pour un concept donné. Deux indexes clôturent l’ouvrage : termes hébreux (pp.151-164), et index scripturaire (pp.165-176). La bibliographie quant à elle est placée en début de volume (pp.22-26), et recèle quelques perles. L’ouvrage n’est pas bien épais, mais, à mon avis, relativement efficace, pour peu du moins qu’on se donne la peine de l’aborder avec méthode.
Comme on le constate d’emblée avec son sous-titre – A Student’s Guide to Nouns in the Old Testament -, l’ouvrage fait le choix de ne lister que les noms communs de l’Ancien Testament, ce dont les auteurs se justifient ainsi (extrait) :
The choice in this book has been to focus on nouns over verbs. We occasionally note participle forms that are used as nouns, and we sometimes note verbs when they seem key to the semantic field as an assistance to the student. Too often « objects » are underplayed when teaching students biblical grammar. Understandably, biblical language instruction emphasizes the Hebrew verb, primarly due to its many stems and the seemingly endless numbers of weak verbs. Unfortunately, however, when elementary grammar study comes to a close, the lack of an extensive exposure to nouns quickly leads to frustration for the student reader and ends in many wasted hours leafing through the lexicon. Our philosophy is that an ancient child did not need a dictionary to learn to read Hebrew and neither should you. (Dictionaries are for reference, not for language acquisition.) This book tries to imitate something of the immersive quality of genuine language learning by gathering words that would normally occur together in a given lexical moment. A volume built on nouns can aid students in their acquisition of verbs. Certainly, because of the close tie between verbal roots and nouns in Biblical Hebrew, it is in principle possible to construct a topical book using verbs instead of nouns. But nouns, because they can be pictured, are generally more memorable of the two. (p.19)
Même si l’on peut regretter l’absence d’un manuel plus complet, l’argument se tient. Des choix sont forcément nécessaires, au risque de décourager le novice. Proposer à un étudiant de mémoriser les 9980 termes figurant dans l’Ancien Testament (cf. Andersen & Forbes), ce n’est peut-être pas raisonnable. Si les auteurs n’avaient retenu que des verbes, l’intérêt de la méthode en serait certainement fortement diminué. Le système triconsonantique (contestable au demeurant, cf. Sibony, Bohas) est tout sauf intuitif, et par la nature plus restreinte des combinaisons possibles, de nature « discriminante » moins évidente, et donc plus difficilement mémorisable…
Il reste que, comme d’autres manuels, la méthode Pleins & Homrighausen présente quelques désagréments. Le premier tient à l’aridité. Les listes s’enchaînent et se ressemblent. On passe d’une sous-catégorie à l’autre sans relief. Si les catégories et sous-catégories sont dans l’ensemble bien pensées d’un point de vue conceptuel, aucun subterfuge ne vient égayer, exciter et favoriser la mémorisation. Ce qui conduit au deuxième désagrément qui est lié : la mémorisation passant par l’analogie, la dérivation, l’illustration ou encore l’exemple, ont peut regretter l’absence de synonymes, de dérivés, de visuels ou encore de citations. Plus encore serait souhaitable le recours aux idiomes, aux expressions idiomatiques, pour faire état non pas seulement des acceptions, mais aussi des usages.
Autrement dit le vocabulaire s’acquiert mieux, à mon avis, dans un contexte global : lexème, synonymes du lexème, emplois du lexème dans des exemples percutants (et la Bible dispose d’un répertoire quasi infini d’exemples percutants !), expressions métaphoriques ou idiomatiques, différents dérivés (pour mémoriser plus de mots avec un effort minimum), et pourquoi pas équivalents grecs… auxquels on ajouterait répétitions dans d’autres concepts connexes, et d’autres contextes.
C’est la faiblesse de cette méthode : catégories et listes de mots sont assurément le point de départ fondamental. Il faudrait y ajouter de quoi retenir l’attention : des exemples, du contexte. Mais malgré cette faiblesse, il faut saluer cette méthode, qui sans doute ouvre la voie. J’ajouterais – excusez la lapalissade – que c’est en anglais. Dans les études bibliques, on s’est habitué bon gré malgré à se passer quand il faut de la langue de Molière. Gageons toutefois qu’apprendre une langue par le biais d’une autre langue, ce n’est pas idéal…
Occasion m’est ainsi donnée de signaler que je travaille – depuis des semaines et des mois – sur un projet de Vocabulaire de grec biblique visant précisément à répondre à la lacune méthodologique de l’apprentissage du vocabulaire de grec biblique (NT, et en partie LXX) pour le public francophone. J’admets que le projet est ambitieux, mais son intérêt est évident : il n’y a tout simplement pas de méthode !
J’ai pris le parti d’introduire tout le vocabulaire du NT. L’entreprise est donc gigantesque dans la mesure où il faut classer l’ensemble du corpus par catégories, sachant qu’un vocable donné peut se retrouver dans plusieurs catégories. J’ai aussi décidé d’indiquer, aussi souvent que nécessaire, les synonymes, les dérivés, les expressions idiomatiques et les versets emblématiques. Chaque section se termine par les équivalents hébreux, pour tisser des liens entre le monde du NT et celui de l’AT. Des références bibliographiques sont disponibles quand il s’agit des realia de la vie quotidienne. Où l’on perçoit ainsi qu’appendre le vocabulaire, c’est appréhender la civilisation. Pour couronner le tout, j’inclus des visuels tirés de manuels plus ou moins vintage, visant à frapper l’esprit, et stimuler la mémorisation.
Je vous propose de découvrir une rubrique : Fontaine, Vocabulaire de grec biblique 6. Habitat, constructions.