07/12/2014

Le Nom de Dieu (DVD, Poppenberg 2014)

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27.12.16 : Découvrez désormais ce documentaire en ligne.

A la réflexion, le Nom de Dieu n’est pas un sujet scientifique, mais religieux. La science peut et doit apporter sa pierre à l’édifice : quel est ce Nom, a-t-il été utilisé, où, quand et comment; peut-on encore le prononcer ? Mais c’est le doit-on… Pour quelle raison le nom divin a-t-il cessé d’être utilisé, par les Juifs puis par les Chrétiens ? Ces raisons sont-elles valables ? Ce sont essentiellement ces deux questions qu’aborde un remarquable documentaire, de Fritz Poppenberg, dont l’avant-première a eu lieu le 28 novembre dernier à Berlin. Le réalisateur livre une vision engagée, mais dépassionnée, qui répond à ces interrogations.

Le constat de départ est à la portée de chacun : dans l’Ancien Testament, le nom propre de Dieu figure plus de 6800 fois. Il déclare que son Nom subsistera à jamais. S’il préconise d’employer son nom à bon escient (dans des serments respectés, par exemple), nulle part il n’interdit son emploi, bien au contraire. Son peuple est plutôt mis en garde sur les conséquences qu’aurait l’abandon du Nom.

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Paradoxalement, les trois grandes religions monothéistes actuelles – judaïsme, christianisme et islam – refusent de nommer Dieu. Dans l’islam, les sourates commencent habituellement par une invocation du nom de Dieu, mais son nom mystérieux n’est pas révélé. Dans le judaïsme, ce Nom est connu sous la forme du tétragramme יהוה, mais il est strictement interdit – depuis le IIe s. environ – de le prononcer selon ses lettres (c’est-à-dire naturellement). Depuis plus longtemps encore, on a pris l’habitude de substituer « Seigneur » quand on rencontre le Nom. Ce procédé curieux, qui est injustifiable à tous points de vue, a été adopté par le christianisme sans difficulté : c’est que l’on craignait que le Dieu juif ne fût point universel.

Citons un exemple parmi tant d’autres du mépris qui entoure le Nom :

Des centaines, des milliers de fois aussi on trouve le tétragramme, YHWH, que l’on ne prononce pas dans la synagogue, comme nous l’avons vu ; lorsqu’on rencontre ce nom, qui est Le Nom, on prononce adonaï, Seigneur. C’est pourquoi sous les consonnes de YHWH on trouve, dans les Bibles imprimées, les voyelles d’adonaï, ce qui a donné lieu à l’affreux mélange chéri par Victor Hugo et d’autres : jehovah. Absurde. – Claude Tresmontant, Les premiers éléments de la théologie, O.E.I.L. 1987, pp.179-180.

On peut sourire à la mention de la synagogue dans un ouvrage de théologie chrétienne. Mais lorsqu’on lit « affreux mélange » ou « absurde », on perçoit bien que l’attitude vis-à-vis du Nom est passionnelle, quoiqu’on se gausse de rationalité.

L’approche dépassionnée du sujet par Poppenberg est donc bienvenue. Passons en revue quelques points abordés dans le documentaire.

1. Le Nom et l’emploi du Nom

En premier lieu, quel est-il ? Yahvé, Jéhovah, Seigneur ? On a vu la doxa sur la forme Jéhovah. Mais les spécialistes savent depuis longtemps que l’explication, sans cesse rabâchée, est tout simplement fausse.

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La forme Jéhovah n’est pas une forme hybride formée à partir des voyelles d’Adonaï. Une telle forme hybride, sacrilège de surcroît, serait *Jahovah, et elle n’a jamais existé. Jéhovah est une simple traduction, en français, du tétragramme – et elle a l’avantage de respecter la prononciation naturelle du Nom. Cette prononciation peut être confortée par la lecture de l’hébreu en tant que telle (vocalisation selon les lettres), par les noms théophores, et par des témoignages antiques (hiéroglyphes de Soleb par exemple).

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Quant à la forme Yahvé, pure supposition, elle pose des problèmes : elle n’est pas celle de la communauté juive, il lui manque une voyelle très importante comme le souligne Nehemia Gordon (le « o »), elle n’a que deux syllabes (or ses substituts ont bien trois syllabes), et pire encore, si c’est possible, elle n’a rien… d’un nom théophore (le hé final devrait se prononcer « a ») !

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Les noms théophores ne laissent aucune ambiguïté sur à la manière de prononcer le Nom.

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Quand on se penche sur les témoignages antiques, un en particulier se révèle instructif : c’est l’écusson hiéroglyphique retrouvé à Soleb, qui mentionne le « pays des bédouins, ceux de Yehoua » (cf. Gertoux 1999 : 67-98 et Leclant 1991).

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Que le Nom ait été employé assez largement peut également se déduire de son emploi dans des documents non bibliques, comme la stèle de Mesha ou l’amulette de Ketef Hinnom.

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Et de fait, la forme Jéhovah est une forme courante, bien implantée dans la langue française (et dans bien d’autres), et largement représentée dans sa littérature ou ses monuments depuis des siècles.

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2. La naissance d’une confusion

Les raisons ordinairement alléguées pour justifier le dédain du Nom sont les suivantes :

– la prononciation n’est pas certaine,

– la tradition juive est de substituer le nom par « Seigneur » pour ne pas prendre le Nom « en vain »,

– le Nom ne paraît pas dans le Nouveau Testament : Dieu en a « donc » abrogé l’emploi.

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On peut remarquer en premier lieu que substituer le Nom dans l’AT par « Seigneur », c’est empêcher le lecteur de se rendre compte de son absence (ou de sa relative absence) dans le NT. On peut se rendre compte de l’ignorance totale dans laquelle se trouvent certains fidèles lors du micro-trottoir qui ouvre le documentaire de Poppenberg – et qui est assez atterrant.

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Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’absence de nom propre pour désigner le Seigneur Dieu ait créé une certaine confusion avec un autre Seigneur, Jésus. Confusion accentuée par le fait que le Vatican a officiellement découragé l’emploi du Nom en 2008, aussi bien Jéhovah que Yahvé (qui est le vocable de l’édition officielle de la Bible de Jérusalem), au profit de « Seigneur ».

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Poppenberg établit judicieusement un parallèle entre le rejet du Nom et la position singulière des Témoins de Jéhovah, notoirement antitrinitaires.

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Ce point me paraît crucial. De nombreux spécialistes avouent, en coulisses, l’aberration du vocable Yahvé, et la justesse du vocable Jéhovah. Mais hors de question de le confesser publiquement. Ce serait prêter la plus infime caution à un groupe controversé. Le Nom « Jéhovah » est irrémédiablement connoté. C’est cette connotation qui occasionne le malaise vis-à-vis du plus grand des Noms. Mais il ne devrait pas y avoir de malaise.

Ainsi, l’abandon du Nom a créé une confusion – précisément celle qui est à l’origine de la Trinité. Mais les textes n’appuient pas la formule de Nicée.

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Pire encore, la Bible avait fait un constat qui résonne de nos jours comme une mise en garde prophétique :

Ils imaginent faire oublier mon nom à mon peuple, par leurs rêves, qu’ils se racontent l’un à l’autre, tout comme leurs ancêtres ont oublié mon nom pour Baal. – Jérémie 23.27

Comme je le soulignais en conclusion de mon ouvrage sur le Nom (Fontaine 2007 : 304), « Baal » n’a pas seulement une signification religieuse (= la divinité cananéenne). Il signifie simplement « seigneur » (il peut de fait désigner un maître, un possesseur, un mari). On pourrait donc rendre ainsi : ils ont oublié mon nom pour « Seigneur ». Quelle ironie !

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Est-il exact qu’il ne figure pas dans le NT ? J’ai consacré un ouvrage à ce sujet (2007), et je ne reviendrai pas sur les divers arguments en faveur de cette thèse (voir le résumé du chapitre 4 ici).

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Le documentaire rappelle quelques faits de base : les citations de l’AT de le NT et le témoignage de la LXX – sur lequel je suis revenu régulièrement et en détails sur ce blog (voir par exemple ici).

3. L’aspect religieux

L’emploi du Nom n’est pas un sujet anodin. Son usage ou son rejet n’est pas seulement « scientifique », mais aussi, et surtout, religieux.

Gérard Gertoux rappelle un point qui m’a profondément marqué lorsque j’ai lu son ouvrage pour la première fois : Satan dédaigne le Nom. Lors de la tentation de Jésus, les arguments de part et d’autre sont tirés des Ecritures. Mais tandis que Jésus emploi le nom divin à chaque fois, Satan emploie le terme « Dieu ». Ce n’est pas anodin.

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Ce n’est pas à dire que ceux qui refusent le Nom pour de mauvaises raisons font le jeu de Satan. Mais enfin c’est une comparaison inquiétante !

Car on le sait, à la fin, c’est bien Satan qui est terrassé par Jésus – ce Jésus qui porte en lui, on le sait, le divin Nom.

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Quelques détails techniques

Le documentaire dure environ 1 heure. Les pistes audio proposent notamment l’allemand et l’anglais, tandis que les sous-titres proposent entre autres le français. C’est d’ailleurs principalement sur ces sous-titres que portent mes critiques : on y trouve quelques ratés (et également dans la traduction des menus). Si je n’ai pas remarqué de fautes d’orthographe à proprement parler, j’ai tout de même relevé quelques incongruités lors de mes copies d’écran : certaines phrases mériteraient d’être reformulées.

La musique qui accompagne certaines scènes est tout à fait remarquable, bien en phase avec le propos. Et la voix anglaise off est exquise.

Le DVD est proposé à 15€ environ. On le trouve sur le site officiel du réalisateur, ou sur Amazon.de.

Sur le fond, le réalisateur (qui n’est pas Témoin de Jéhovah), a fait appel aux travaux de Gérard Gertoux, Rolf Furuli, et Nehemia Gordon.

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Ce type de documentaire est suffisamment rare pour se recommander de lui-même : n’hésitez pas à vous le procurer, et à en parler autour de vous.