יִסַּ֪דְתָּ֫ עֹ֥ז (Psaume 8.3)

En Mat 21.16 une citation biblique de Jésus interpelle :

καὶ εἶπαν αὐτῷ· Ἀκούεις τί οὗτοι λέγουσιν; ὁ δὲ Ἰησοῦς λέγει αὐτοῖς· Ναί. οὐδέποτε ἀνέγνωτε ὅτι Ἐκ στόματος νηπίων καὶ θηλαζόντων κατηρτίσω αἶνον;

et lui dirent : « Entends-tu ce qu’ils disent ? » – Oui, leur répondit Jésus ; n’avez-vous donc jamais lu [cette parole] : De la bouche des petits enfants et de ceux qui sont à la mamelle, tu as tiré la louange? » (BCT)

Si vous utilisez Bible Parser, vous constatez d’emblée que la citation est faite d’après le texte de la Septante (κατηρτίσω αἶνον = tu [t’]es préparé une louange), et non d’après le texte hébraïque (יסדת עז = tu as fondé une puissance). Curieusement Archer & Chirichigno (1983, 58-59 §138) placent cette citation dans leur « catégorie A », c’est-à-dire le cas d’une citation néotestamentaire conforme tant à la Septante qu’au Texte massorétique…

On peut se demander pourquoi. Les expressions κατηρτίσω αἶνον et יסדת עז seraient-elles équivalentes ? C’est semble-t-il l’avis de Samuel Cahen, qui rend le passage ainsi :

Sur la bouche des jeunes enfants et des nourrissons tu as fondé ta gloire en dépit de tes adversaires, pour confondre l’ennemi et le vindicatif.

Il explique en note :

יסדת עז tu as fondé la puissance ; en arabe il y une métaphore analogue, édifier, habiter la louange.

Autrement dit, le mot à mot signifierait « fonder la puissance » (ou « fonder une forteresse »), mais le sens métaphorique, « fonder la gloire ».

Cette allégation est bien possible pour les raisons suivantes :

  • puisqu’il est question de « la bouche » des enfants, on attend naturellement une proclamation,
  • le contexte évoque la majesté (אַדִּיר x2, הוד) de Dieu, corollaire de sa gloire,
  • et quoiqu’inférieur à Dieu, l’homme est lui aussi paré de gloire (כָּבוֹד, הָדָר),
  • le champ sémantique est donc nettement laudatif, et le caractère concret de l’expression « fonder une puissance/forteresse » semble dépareiller l’ensemble.

L’analyse sémantique du terme עז conforte cette approche. Il signifie basiquement « force, puissance » (ex.  2Sa 6.14), ou « fortification » (ex. Jer 51.53) → DHAB 276, HAL 805, SDBH. C’est son sens prototypique. Cependant son usage (= son sens contextuel) au sein de locutions exprimant la gloire divine tend à indiquer qu’il s’agit d’une tournure métaphorique ou idiomatique allant du concret à l’abstrait, du type FORCE = HONNEUR/MAJESTÉ. C’est ce qui ressort de textes comme Psa 29.1, Psa 96.7 ou 1Ch 16.28, dans lesquels l’association avec le terme כבוד (POIDS = GLOIRE) ne laisse planer aucun doute : כָּבוֹד וָעֹז, poids et force = gloire et honneur.

Le parallélisme synonymique de Psa 96.6 permet d’étayer encore cette hypothèse :

הוֹד ־וְהָדָ֥ר לְפָנָ֑יו עֹ֥ז וְ֝תִפְאֶ֗רֶת בְּמִקְדָּשֽׁוֹ ׃

La splendeur et la majesté se tiennent devant lui,

la puissance et la gloire dans son sanctuaire

Au terme הוֹד (majesté) répond le terme עֹ֥ז (force) et au terme הָדָ֥ר (éclat, gloire) le terme תִפְאֶ֗רֶת (beauté, magnificence). On peut donc en déduire qu’ici, et probablement de manière plus générale, הוֹדעֹז, ce qui n’est pas pour nous surprendre puisque nous avions précisément rencontré le terme הוֹד dans le contexte de notre locus. Il pourrait aussi s’agir ici d’une énumération suggérant une proximité sémantique des quatre termes tout à la fois. De fait ce texte (et quelques autres) explique que certains dictionnaires d’hébreu biblique listent le sens « gloire » parmi les acceptions de עֹז (ST 519, DCH VI, 322-325). Clines donne même pour synonyme de עֹז les termes תִּפְאָרָה et כָּבוֹד (DCH VI, 325).

C’est donc sans doute à raison que les versions anciennes comprennent l’expression יִסַּ֪דְתָּ֫ עֹ֥ז de Psa 8.3 de manière « idiomatique » ou « métaphorique » : ainsi la Vulgate (perfecisti laudem) et la version syriaque (ܬܩܢܬ ܬܫܒܘܚܬܟ), cf. CTAT 50/4, 24-25. En Mat 21.16 et dans la version de Shem Tob, l’expression hébraïque est rendue telle quelle (יסדת עוז, cf. Howard 1995, 102-103), ce qui pourrait abonder en ce sens (il pourrait aussi s’agir d’une convenance de traducteur, à savoir ne pas traduire ce qui n’a pas lieu d’être traduit ; ce qui n’est pas incompatible). Dans cette perspective la citation de Jésus rapportée par l’évangile grec de Matthieu, reprise de la Septante (convenance incidente), n’a pas nécessairement un sens différent du texte hébreu.

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