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Biblia Mirecurensia : une édition éclectique (AT et NT)

by areopage on novembre 20th, 2014

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Les lecteurs de la Bible dans les langues originales disposent depuis longtemps de textes éclectiques pour le Nouveau Testament grec : les éditions les plus connues étant le GNT5 et le NA28. Ces textes sont nés dans d’âpres controverses qui ont agité la fin du XIXe siècle, et tout le XXe. Désormais, c’est vers l’Ancien Testament qu’il faut se tourner. On manque cruellement d’un texte éclectique, et pour faire face à certaines difficultés textuelles parfois insurmontables en hébreu, il faut se tourner vers les Septante, la Vulgate, les Vieilles Latines, la Peshitta… Cela n’est possible que si l’on dispose d’apparats critiques, et leur lecture peut paraître fastidieuse à certains. Pour l’hébreu par exemple, Bible Parser en propose quelques-uns (BHK, de Rossi, Davidson, Kennicott, Haupt, von Gall, etc.). Le plus connu est celui de la BHS.

Depuis quelques temps, des savants se sont attaqués à l’étape suivante : produire un texte éclectique pour l’Ancien Testament hébreu. Le projet – l’Oxford Hebrew Bible – est dirigé par Ron Hendel. Il s’en explique dans deux articles notamment : A New Critical Edition of the Hebrew Bible, et The Oxford Hebrew Bible : Its Aims and A Response to Criticism. On prendra connaissance avec profit de la thèse de Master de Drew Longrace sur le sujet : On the Feasibility of Eclectic Editions of the Hebrew Old Testament, et des considérations de Tov dans son ouvrage incontournable, Textual Criticism of the Hebrew Bible, 2012 : 359-364.

Ce projet est tout à fait intéressant, mais il est en cours, et il faudra patienter quelques années avant d’avoir un Ancien Testament complet.

En attendant, c’est avec plaisir que j’apprends ce jour la sortie d’une édition éclectique, qui couvre tant l’AT hébreu, que le NT grec. Ce travail immense, étalé sur 12 ans, est l’oeuvre d’un professeur d’hébreu, Pierre Maignial. Il propose un grand nombre de corrections (environ 9200) dont il s’explique. Son édition, nommée Biblia Mirecurensia, propose quelques caractéristiques originales qui ne manquent pas d’interpeller : une ponctuation moderne, une mise en page dédiée au sens, et bien sûr un texte qui fait des choix. De surcroît, des annexes accompagnent chaque fichier – et notamment une vaste liste des corrections opérées, lieu par lieu. Quand je l’ai vue, mes yeux ont pétillé… les amateurs de critique textuelle comprendront quand ils verront.

Ainsi la Biblia Mirecurensia propose gratuitement un texte critique, inédit, conçu particulièrement pour la lecture en continue sur les smartphones et tablettes. C’est assurément une bonne nouvelle, même si çà et là, on pourra sûrement, et toujours, discuter tel et tel choix. Espérons voir paraître prochainement une édition globale, regroupant l’ensemble des livres, et pourquoi pas une édition… dans un logiciel biblique, si vous voyez auquel je pense.

Quand on voit cela, on ne peut que dire : merci.

A propos de critique textuelle, j’ajouterais que Bible Parser 2015 proposera une version revue et grandement améliorée du module de Tov, BHS/LXX, qui intégrera également les Commentaires et les Informations Contextuelles.

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4 Comments
  1. Yohanan Goldman permalink

    Je laisse de côté le Nestlé-Aland qui a été établi par de vrais spécialistes de la critique textuelle sur plus de deux siècles.

    Pour le Tanakh, deux arguments brièvement :

    1) Le seul public accessible à “l’édition Maignial” sera fait de croyants ayant quelques bases d’Hébreu et de Grec. Dans ces conditions, il me semble préjudiciable aux personnes connaissant un peu d’Hébreu de lire le texte sans la vocalisation. Comment par exemple liront-ils le texte VYQWM proposé par Mr Maignial en Ex 1, 8? Ils seront vite égarés.

    2) Mr Maignial annonce prendre 75-80 % des corrections au texte massorétique dans l’apparat critique de la BHS. Or cet apparat 1.- est très vieilli quant aux travaux de la recherche: 2.- il passe à côté de la plupart des variantes d’importance dans les versions anciennes; 3.- Il s’appuie le plus souvent pour proposer des corrections du texte sur les principes de la critique littéraire au mépris des témoins du texte; 4.- il prend souvent appui sur des témoins très secondaires pour faciliter le texte parfois difficile mais très ancien de l’Hébreu (Syriaque ou mss tardifs du TM).

    Bien que le projet soit plein de bonnes intentions, je ne suis pas sûr que répandre un Tanakh éclectique soit un service rendu au peuple de Dieu. Je suis même sûr du contraire. Les problèmes qui se posent dans ce territoire sont totalement différents de ceux que posent le NT. Allez, juste au hasard… Quel texte proposer des livres de Samuel ou de Jérémie en prenant compte des manuscrits de Qumran et de la Bible grecque ?
    Je conseille à ceux qui s’y intéressent d’étudier sérieusement les langues et lire les textes bibliques dans les éditions électroniques qu’on peut apporter partout avec soi aujourd’hui. Jusque sur son smartphone ou sa tablette.

    Fraternellement en Christ.

    • areopage permalink

      Merci infiniment pour vos remarques. Je vous rejoins tout à fait sur l’absence de vocalisation, que je trouve regrettable (voici un autre exemple sous forme de clin d’œil : comment vocaliser לעלם en Exode 3.15 ?). Cela dit, la vocalisation est une tradition d’interprétation – tradition très fidèle, mais à juger sur pièces comme le texte lui-même. Je me suis fait l’écho de ce point sur cette page.

      Pour votre deuxième argument, vous êtes bien placé pour connaître les limites de l’apparat de la BHS… et je profite de l’occasion pour vous dire toute mon appréciation de votre édition du Qohélet dans la BHQ, ou encore de votre article dans le Sôfer Mahîr dont je me suis également fait l’écho. Le territoire est bien différent du NT, certes, et les difficultés autrement plus nombreuses et délicates. Peut-être même insolubles dans certains cas ! On a commencé à s’en rendre compte avec une certaine acuité parce que, comme pour le NT, le matériau qui s’offre à la recherche est abondant et les méthodes d’investigation, toujours plus fines.

      Mais je vois bien dans les faits combien un apparat critique distrait le lecteur. Or, si l’objectif de Maignial est de proposer une « facilité de lecture », tout en faisant bénéficier aux lecteurs des fruits du travail de l’édition la plus répandue et la plus complète de la Bible hébraïque (quoique désormais datée), je ne soulèverai pour ma part qu’une réserve : éclectique jusqu’à quel point ? Maignial affirme ne proposer ses propres émendations que dans 2% des cas. Il y a donc, a priori, 98% des cas où il n’est pas tout seul dans son coin… Ce n’est pas si mal. Evidemment même sur les 2% il pourra faire l’objet de nombreuses critiques, et je n’ai pas encore assez lu son texte pour me rendre compte de son travail. La Mirecurensia a au moins le mérite de formaliser ces émendations dans une édition. En quelque sorte, c’est une cristallisation d’un état de la recherche. Ce n’est donc pas un texte destiné à la recherche scientifique (sauf à son histoire !), du moins il n’est pas plus subversif que la BHS.

      Les personnes qui veulent lire une édition diplomatique du Texte Massorétique ont l’embarras du choix, quels que soient les supports. J’ai naturellement trouvé intéressante, et ô combien audacieuse, cette initiative pour une édition éclectique.

      Bien fraternellement en Christ,
      Didier

  2. Merci au Professeur Goldman, dont les remarques, inspirées par une compétence et une expérience hors-pair, sont certainement dignes de considération.
    Une réponse aux points soulevés par le Professeur :
    1. Le public visé par Biblia Mirecurensia n’est pas constitué de « croyants ayant quelques bases d’Hébreu », mais bien plutôt d’hébraïsants confirmés ou d’hébréophones/hellénophones, habitués à lire avec aisance page sur page d’hébreu moderne et/ou biblique (non vocalisés) ou de grec. Un tel public, justement parce qu’il peut lire vite et bien, est tout à fait preneur (à condition qu’on veuille bien le lui fournir !) d’autre chose que d’éditions diplomatiques du texte massorétique éditées sans mise en page digne de ce nom, sans signes de ponctuation modernes ni titres, et que le fait d’avoir à disposition sur un i-phone dernier cri ne rend pas plus valables. Ce même public ne sera guère « égaré » par la graphie VYQUM, qui vient tout naturellement sous la plume de beaucoup d’Israéliens.
    2. Biblia Mirecurensia fait référence à BHS pour une raison très simple : des centaines de personnes dans le monde l’utilisent quotidiennement, quels que soient les défauts qu’on puisse trouver à son apparat critique – et cette situation va perdurer au moins encore quelques années. La BHQ sera sans doute un outil incomparablement supérieur, mais en attendant il est difficilement possible de faire référence à un ouvrage qui n’est pas achevé… En outre, une étude attentive des commentaires bibliques majeurs publiés dans le monde anglo-saxon ces 20 dernières années montre que nombre de commentateurs de renom, spécialistes des différents livres de la Bible (ceux-là même avec lesquels Biblia Mirecurensia concorde souvent quand elle cite BHS dans ses tableaux d’émendations) utilisent BHS dans leurs notes critiques. Doit-on invalider des volumes entiers, au seul prétexte que les exégèses qu’ils contiennent s’appuient sur des leçons proposées par une BHS jugée obsolète et méthodologiquement déficiente ? Je doute fort que les éditeurs de séries de commentaires prestigieuses telles que WBC ou NICOT suivent le professeur Goldman sur ce point …
    3. Je connais et je respecte les positions de principe qui sous-tendent la réticence envers un texte éclectique, mais quand on en vient à apprécier le « service rendu au peuple de Dieu », certains enjeux pratiques et didactiques (et non simplement méthodologiques ou épistémologiques) doivent, il me semble, être pleinement pris en considération.
    En conclusion : Biblia Mirecurensia, même si de fait elle offre un texte éclectique, n’a aucunement la prétention d’être une édition critique, mais se veut beaucoup plus être un outil de lecture raisonnée, reposant sur une réflexion de ce qu’est la lecture d’un texte biblique grec ou hébreu. Je doute d’ailleurs que ses lecteurs (apparemment déja assez nombreux) passent beaucoup de temps à fouiller dans les listings d’émendations fournis en annexe. Ce qu’ils veulent, c’est LIRE avec plus de facilité la Bible dans les textes originaux, tout simplement …
    P.Maignial

  3. Yohanan P. Goldman permalink

    Monsieur Maignial,
    Je rentre d’une session biblique et je vous réponds rapidement.

    Si je comprends votre projet, ce qui aurait pu être bon ç’aurait été d’éditer un texte facilité dans son hébreu et son grec dans les passages nécessaires, avec une mise en page aérée, mais reflétant le plus fidèlement possible un état du texte réel ayant existé dans la communauté chrétienne. Donc essentiellement dans l’univers où nous nous mouvons : le texte massorétique. Cela pouvait correspondre aux compétences nécessairement limitées d’un individu seul, quelles que soient par ailleurs ces compétences. Par analogie dans le domaine des traductions, je citerais les excellentes traductions que sont la Living Bible ou encore le New Testament in Modern English de Phillips. Mais il faudrait alors présenter ce texte pour ce qu’il est et non pour « les originaux » comme vous dites.

    Il semble que vous ayez mêlé un peu vite la question de la lisibilité avec les questions de critique textuelle en vous fiant aux éditeurs de la Biblia Hebraica Kittel et la BHS qui en est l’héritière. La lisibilité que vous souhaitez concerne: a) les difficultés de la présentation dans la mise en page; b) les difficultés de la ponctuation massorétique; c) certaines difficultés philologiques.

    Je reprends ces points et le reste de vos arguments:

    1. La relation entre les problèmes de lisibilité et de critique textuelle.
    a) Votre mise en page est plus aérée, ce qui est une qualité que je lui reconnais, mais cela mérite-t-il au passage de changer le texte sans appui sérieux dans les témoins textuels?
    b) La ponctuation massorétique existe, il suffirait de l’alléger en ne gardant que les principaux accents disjonctifs. Car un hébraïsant qui lit vite comme vous signalez qu’est votre lecteur cible, est tout à fait capable de reconnaître atnah, shalshelet ou sof pasouq. On peut différer des Massorètes bien sûr, et cela m’arrive, mais ils sont dépositaires d’une relation, d’une histoire, d’une mémoire et d’une compétence qui demandent pour le moins qu’on articule un argument si on en change.
    c) La vocalisation. Vous invoquez les habitudes d’écriture israéliennes pour VYQWM… parce que vous voulez faire lire le texte biblique à des Israéliens ou des anglo-saxons et des francophones ? Je ne sache pas qu’il existe en Hébreu moderne un inaccompli inverti. Donc soit vous le remplacez par un accompli pour le lecteur et ce n’est plus le texte biblique, mais sa traduction en Ivrit, soit vous jetez votre lecteur israélien dans la confusion. Et quid des non israéliens ?

    2. La facilité de lecture. Vous dites vous-mêmes de vos lecteurs: «Ce qu’ils veulent, c’est LIRE avec plus de facilité la Bible dans les textes originaux, tout simplement …»
    … sauf que ce ne sont pas les originaux que vous leur proposez, mais l’édition de Mr Maignial, édition « originale » mais non pas des originaux. Que vous en ayez l’intention, je veux bien le croire, mais vous faites erreur sur ce que sont les « originaux » et vous entraînez les lecteurs dans cette erreur. J’ai publié il y a longtemps un article sur le texte de Jr 2 (Biblica 76 (1995) 25-52) dans lequel, au début, je mettais en garde contre cette confusion entre les langues originales et « le texte original » chez les chercheurs. Le risque est encore plus grand pour un amateur éclairé.

    3. Vous invoquez les commentateurs du 20ème siècle en matière de critique textuelle pour justifier la confiance que vous accordez à la BHS, mais tous disent que ce n’est pas leur métier et qu’ils font aveuglément confiance au seul apparat de ce genre existant pour toute la Bible. Un chercheur fort connu m’a avoué un jour qu’il ne savait pas quand la LXX de la Torah avait été traduite en grec… Le problème que nous avons justement une mauvaise habitude due à l’ignorance de ce que l’on a appelé dans cette exégèse la « basse critique » (= critique textuelle). Observez plutôt le travail qui se fait dans la Biblia Hebraica Quinta et comparez en l’apparat avec BHS, vous comprendrez vite de quoi je parle. La BHS n’est pas fondée sur une observation claire et systéma-tique des témoins textuels. Une édition ne peut donc se baser sur son apparat.
    Dire au passage que leur ignorance en la matière invaliderait « des volumes entiers » de leurs commentaires en invalidant leur façon de (ne pas) faire de critique textuelle est assez ambigu. Je n’ai évidemment jamais dit cela et ce n’est évidemment pas le problème. On ne peut produire un argument d’autorité concernant la critique du texte en s’appuyant sur un siècle d’exégèse. Seuls quelques ouvrages du 19ème siècles (tel F. Hitzig) et un ou deux, rares, au 20ème siècle (cf. McKane sur Jérémie) ont fait sérieusement ce travail, et non pas en suivant la BHK ou la BHS.

    4. Vous dites finalement que vous proposez une édition éclectique qui n’est pas une édition critique… C’est peut-être ce que vous voudriez naïvement, mais c’est une contradiction dans les termes. Je vous prie d’y réfléchir.

    J’ai réagi parce que vous m’avez contacté et proposé de le faire, mais je me désole de ce que des gens apparemment bien intentionnés comme vous l’êtes tombent dans le travers de leur époque pour produire du facile vite tout de suite quitte à déformer la vérité objective de l’histoire du texte.

    Respectueusement à vous, même si je suis fâché de ce qui me semble un obstacle de plus posé à la découverte authentique de la Parole de Dieu.

    Prof. Goldman

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