Le peuple Juif et ses Saintes Écritures dans la Bible chrétienne

La Commission Biblique Pontificale a publié, en 2001, un traité intitulé Le peuple Juif et ses Saintes Écritures dans la Bible chrétienne (que je mets à disposition ici, source ici, édition papier ici). Le propos est intéressant, bien documenté, et fait état des différentes lectures opérées sur la Bible au fil des âges et des écoles – méthodes allégoriques, rabbiniques, historico-critiques, etc.

Le document vise à répondre à des questions délicates depuis la Shoah :

Deux problèmes principaux se posent: les chrétiens peuvent-ils, après tout ce qui est arrivé, avoir encore tranquillement la prétention d’être des héritiers légitimes de la Bible d’Israël ? Ont-ils le droit de continuer à proposer une interprétation chrétienne de cette Bible ou ne doivent-ils pas plutôt renoncer avec respect et humilité à une prétention qui, à la lumière de ce qui est arrivé, doit apparaître comme une usurpation? La deuxième question se rattache à la première: la façon dont le Nouveau Testament lui-même présente les Juifs et le peuple juif n’a-t-elle pas contribué à créer une hostilité contre le peuple juif, qui a fourni un appui à l’idéologie de ceux qui voulaient anéantir Israël ? La Commission s’est posé ces deux questions.

Au final, sans surprise, la Commission admet une lecture juive de la Bible hébraïque, mais considère que « les Juifs pourront tirer profit des recherches de l’exégèse chrétienne », essentiellement par une lecture christologique de « l’Ancien Testament ».

Les rubriques qui m’intéressent particulièrement sous les rubriques 9-18 (I, C – E), où il est question des méthodes de lecture, et de canon. Le document rappelle un fait qu’il me paraît utile de souligner : on trouve dans le NT une méthode qui ressemble parfois au pesher tel que pratiqué à Qumran (ainsi Romains 10.5-13 ou l’épître aux Hébreux ne sont pas sans rappeler 11QMelchisédeq pour la méthode de recours à l’Écriture). Sur cette méthode, cf. par ex. Guillemette – Brisebois 1987 : 22-25, Stark 2009, Garcia-Martinez 2009Horgan 1979Henze 2005JVL.

Par son caractère dogmatique et synthétique de la pensée catholique, cet opuscule constitue une bonne référence, à rapprocher d’un autre document paru en français en 1994, L’interprétation de la Bible dans l’Église (Cerf 2010) – et qui, lui, contient d’intéressantes sections consacrées au Magistère (qui interprète le sens de l’Écriture ?). Je profite de ce post pour citer quelques exemples :

La docilité à l’Esprit Saint produit et renforce une autre disposition, nécessaire pour la juste orientation de l’exégèse: la fidélité à l’Église. L’exégèse catholique ne nourrit pas l’illusion individualiste qui porte à croire que, en dehors de la communauté des croyants, on peut mieux comprendre les textes bibliques. C’est le contraire qui est vrai, car ces textes n’ont pas été donnés aux chercheurs individuels « pour la satisfaction de leur curiosité ou pour leur fournir des sujets d’étude et de recherche » (Divino afflante Spiritu, E. B. n. 566), ils ont été confiés à la communauté des croyants, à l’Église du Christ, pour nourrir la foi et guider la validité de l’interprétation. (pp.11-12)

​​C’est cette fameuse notion d’alma mater, de mère nourricière, qui nourrit ses brebis et détermine le sens authentique de l’Écriture – non parce qu’elle serait compétente scientifiquement (ce qu’elle n’exclut pas, et qui n’est pas à exclure), mais parce qu’elle est garante, dépositaire de son sens, par l’autorité que lui donne la tradition apostolique. Cela a fait bondir des générations de protestants. Mais tôt ou tard, n’importe quel mouvement s’organise, se hiérarchise, et s’invente des garants collectifs du sens en opposition à la liberté individuelle d’interprétation : au motif de l’unité de foi (appuyé plus ou moins par les textes bibliques). Voyez quel sort Calvin a réservé à Castellion pour mesurer avec quel appoint on passe de dénonciateur du Magistère… à tyran de la pensée unique.

Cette Interprétation est dans la lignée de Vatican II (P.-A. Martin dir., Vatican II, Les seize documents conciliaires, Fides, 1967, p.111) :

Car tout ce qui concerne la manière d’interpréter l’Ecriture est soumis en dernier lieu au jugement de l’Eglise, qui s’acquitte de l’ordre et du ministère divin de garder et d’interpréter la parole de Dieu.

Vatican II qui était lui-même dans la lignée du Concile de Trente :

« Personne, se confiant en son propre jugement, n’ait l’audace de tirer l’Ecriture Sainte à son sens particulier, ni de luy donner des interprétations, ou contraires à celles que luy donne & luy a donné la sainte Mere Eglise, à qui il appartient de juger du véritable sens & de la véritable interprétation des saintes Ecritures ; ou opposées au sentiment unanime des Peres, encore que ces interprétations ne deussent jamais estre mises en lumiere : Les contrevenans seront déclarez par les Ordinaires, & soumis aux peines portées par le Droit. » (Quatrième session, Décret touchant l’Edition et l’Usage des Livres Sacrés)

7 réactions sur “ Le peuple Juif et ses Saintes Écritures dans la Bible chrétienne ”

  1. Marian Réponse

    Le christianisme est une religion originale. En effet, la notion de magistère ne se trouve absolument nulle part dans les Ecritures. C’est même plutôt le contraire… cf. Les phrases de Jésus « On vous a dit que…. mais MOI je dis que … » (lui qui n’avait aucune autorité reconnue, aucun magistère). Bref, le dogmatisme, c’est imposer un cadre au profit d’un pouvoir politique avant tout. Il consiste à faire d’une autorité spirituelle un pouvoir temporel. Ce qui est du point de vue des Ecritures, hérétique, et du point de vue de la Tradition guénonienne, moderniste et décadent.

    A bon entendeur !

  2. Shonin Réponse

    J’ai du mal à suivre la problématique de cet article. Vous partez des juifs pour passer à une réflexion sur la pensée unique et l’interprétation de la Bible.

    «  »opposition à la liberté individuelle d’interprétation : au motif de l’unité de foi (appuyé plus ou moins par les textes bibliques) » »
    L’unité de la foi n’est elle pas un argument pertinent, justement pour le christianisme qui a tant souffert des syncrétismes et des théories personnelles en dépit du message biblique ?
    Dans la Bible même on dit de faire attention à ça.

    • areopage Auteur ArticleRéponse

      Il n’y a pas de problématique : je fais état de deux lectures qui n’ont pas le même sujet, mais la même provenance (Commission Biblique Pontificale). Et même s’il y avait une problématique, je m’autoriserais volontiers des digressions. 🙂

      Je n’entends pas entrer (une fois de plus) dans le débat sur l’unité de foi dictée par un Magistère, au détriment parfois de la vérité. Vous êtes maintenant bien placé pour savoir que l’unité suppose parfois de fermer les yeux sur la fausseté ou l’inexactitude (petit exemple, mais rappelez ce que Jésus a dit des détails : http://areopage.net/blog/2013/10/11/matthieu-10-32-revision-bienvenue-dans-la-tmn-nwt-2013/) Vous aviez fait, en quelque sorte, l’apologie de la traduction de ce verset par la TMN 1984. Je vous avais dit et maintenu qu’il s’agissait d’un contresens. C’était bien un contresens (et je n’avais pas besoin de la NWT 2013 pour le confirmer).

      Donc la question est : faut-il préférer l’unité à la vérité ? et attendre que Dieu pourvoie, rectifie le tir ? ou bien être plus royaliste que le roi, et réclamer la perfection, le tout tout de suite ? ou alors une espèce de modération, de voie moyenne bancale entre les deux ?

      C’est un débat fondamental, et l’un des rares sujets où je commence à refuser le dialogue : c’est que j’ai remarqué que chacun campe sur ses positions, nonobstant les arguments. L’idée même d’un débat est un non-sens si l’on se place du point de vue de l’autorité qui dicte le sens. Car si l’on défie l’autorité en question, on se constitue soi-même nouvelle autorité (et de quel droit, de quelle « tradition » ?). Donc, et si l’on veut persuader autrui de cette nouvelle vérité, on ne fait guère mieux que l’autorité précédente. Enfin, grosso modo.

      Mais je pense qu’il faut avant tout cultiver son jardin.
      J’ai mon côté potache aussi.

      • Shonin Réponse

        Je n’ai rien à redire à votre post.
        Quoi que le terme d’apologie de la TMN pour mes commentaire est un peu fort, je ne faisais qu’humblement soulever des questions… je n’ai pas votre niveau pour pouvoir prétendre à faire une vraie apologie. D’ailleurs, j’ai bien conclu que « reconnaître » était correct pour moi, hé. 🙂

        Enfin bon, je suis à 100% d’accord avec votre dernier paragraphe (non, pas « potache », celui d’avant, ok 😀 ). Occupons nous de notre course en tachant déjà d’être un bon chrétien. Cette histoire d’autorité, de toute façon à la fin, on passera tous devant l’Autorité Suprême.

        Hop ! Idée d’article(s), alors que je discutais avec mon boss sur des expressions latines, grecques, françaises et arabes… il m’est venu une petite idée à ce sujet.
        La Bible contient beaucoup d’expressions utilisée dans la vie de tous les jours. Vous parliez à l’instant de hay-yehowah, c’était intéressant. On a parlé aussi de me genoito.

        Si un jour vous faites des petits articles sur l’hébreu ou le grec, vous pourriez présenter des expressions de ce genre ?

        Merci

        Ps : Vous nous faites là plusieurs articles en moins de 24h ou je rêve ? Super !

  3. fifa Réponse

    Merci pour avoir posté ce texte de la Commission. Car j’ai du mal à trouver une bonne traduction. Merci

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