18/10/2013

Le peuple Juif et ses Saintes Écritures dans la Bible chrétienne

La Commission Biblique Pontificale a publié, en 2001, un traité intitulé Le peuple Juif et ses Saintes Écritures dans la Bible chrétienne (que je mets à disposition ici, source ici, édition papier ici). Le propos est intéressant, bien documenté, et fait état des différentes lectures opérées sur la Bible au fil des âges et des écoles – méthodes allégoriques, rabbiniques, historico-critiques, etc.

Le document vise à répondre à des questions délicates depuis la Shoah :

Deux problèmes principaux se posent: les chrétiens peuvent-ils, après tout ce qui est arrivé, avoir encore tranquillement la prétention d’être des héritiers légitimes de la Bible d’Israël ? Ont-ils le droit de continuer à proposer une interprétation chrétienne de cette Bible ou ne doivent-ils pas plutôt renoncer avec respect et humilité à une prétention qui, à la lumière de ce qui est arrivé, doit apparaître comme une usurpation? La deuxième question se rattache à la première: la façon dont le Nouveau Testament lui-même présente les Juifs et le peuple juif n’a-t-elle pas contribué à créer une hostilité contre le peuple juif, qui a fourni un appui à l’idéologie de ceux qui voulaient anéantir Israël ? La Commission s’est posé ces deux questions.

Au final, sans surprise, la Commission admet une lecture juive de la Bible hébraïque, mais considère que « les Juifs pourront tirer profit des recherches de l’exégèse chrétienne », essentiellement par une lecture christologique de « l’Ancien Testament ».

Les rubriques qui m’intéressent particulièrement sous les rubriques 9-18 (I, C – E), où il est question des méthodes de lecture, et de canon. Le document rappelle un fait qu’il me paraît utile de souligner : on trouve dans le NT une méthode qui ressemble parfois au pesher tel que pratiqué à Qumran (ainsi Romains 10.5-13 ou l’épître aux Hébreux ne sont pas sans rappeler 11QMelchisédeq pour la méthode de recours à l’Écriture). Sur cette méthode, cf. par ex. Guillemette – Brisebois 1987 : 22-25, Stark 2009, Garcia-Martinez 2009Horgan 1979Henze 2005JVL.

Par son caractère dogmatique et synthétique de la pensée catholique, cet opuscule constitue une bonne référence, à rapprocher d’un autre document paru en français en 1994, L’interprétation de la Bible dans l’Église (Cerf 2010) – et qui, lui, contient d’intéressantes sections consacrées au Magistère (qui interprète le sens de l’Écriture ?). Je profite de ce post pour citer quelques exemples :

La docilité à l’Esprit Saint produit et renforce une autre disposition, nécessaire pour la juste orientation de l’exégèse: la fidélité à l’Église. L’exégèse catholique ne nourrit pas l’illusion individualiste qui porte à croire que, en dehors de la communauté des croyants, on peut mieux comprendre les textes bibliques. C’est le contraire qui est vrai, car ces textes n’ont pas été donnés aux chercheurs individuels « pour la satisfaction de leur curiosité ou pour leur fournir des sujets d’étude et de recherche » (Divino afflante Spiritu, E. B. n. 566), ils ont été confiés à la communauté des croyants, à l’Église du Christ, pour nourrir la foi et guider la validité de l’interprétation. (pp.11-12)

​​C’est cette fameuse notion d’alma mater, de mère nourricière, qui nourrit ses brebis et détermine le sens authentique de l’Écriture – non parce qu’elle serait compétente scientifiquement (ce qu’elle n’exclut pas, et qui n’est pas à exclure), mais parce qu’elle est garante, dépositaire de son sens, par l’autorité que lui donne la tradition apostolique. Cela a fait bondir des générations de protestants. Mais tôt ou tard, n’importe quel mouvement s’organise, se hiérarchise, et s’invente des garants collectifs du sens en opposition à la liberté individuelle d’interprétation : au motif de l’unité de foi (appuyé plus ou moins par les textes bibliques). Voyez quel sort Calvin a réservé à Castellion pour mesurer avec quel appoint on passe de dénonciateur du Magistère… à tyran de la pensée unique.

Cette Interprétation est dans la lignée de Vatican II (P.-A. Martin dir., Vatican II, Les seize documents conciliaires, Fides, 1967, p.111) :

Car tout ce qui concerne la manière d’interpréter l’Ecriture est soumis en dernier lieu au jugement de l’Eglise, qui s’acquitte de l’ordre et du ministère divin de garder et d’interpréter la parole de Dieu.

Vatican II qui était lui-même dans la lignée du Concile de Trente :

« Personne, se confiant en son propre jugement, n’ait l’audace de tirer l’Ecriture Sainte à son sens particulier, ni de luy donner des interprétations, ou contraires à celles que luy donne & luy a donné la sainte Mere Eglise, à qui il appartient de juger du véritable sens & de la véritable interprétation des saintes Ecritures ; ou opposées au sentiment unanime des Peres, encore que ces interprétations ne deussent jamais estre mises en lumiere : Les contrevenans seront déclarez par les Ordinaires, & soumis aux peines portées par le Droit. » (Quatrième session, Décret touchant l’Edition et l’Usage des Livres Sacrés)