17/10/2013

Prendre le Nom en vain (Exode 20.7)

Le commandement est clair :

לֹא תִשָּׂא אֶת־שֵׁם־יְהוָה אֱלֹהֶיךָ לַשָּׁוְא

Tu ne prendras pas le nom de Jéhovah ton Dieu pour tromper

(Exode 20.7 ; cf. Lévitique 19.12, Deutéronome 5.11).

Le segment לשוא est traditionnellement traduit « en vain ». Mais c’est moins la fatuité de l’usage qu’un usage mensonger qui est condamné dans ce passage, et ailleurs dans la Bible. Le terme שוא désigne avant tout l’inconsistance, la vacuité – si bien qu’on pourrait presque traduire « dans le vent ». Mais certains de ses emplois laissent deviner un trait sémantique relevant de la tromperie, du mensonge : ainsi Deutéronome 5.20 (עֵד שָׁוְא = faux témoignage), Isaïe 59.4 (אֱמוּנָה s’oppose à תֹּהוּ et שָׁוְא), Lamentations 2.14 (שָׁוְא rapproché de מַדּוּחִים), etc. Cf. DHAB : 377CDCH : 450, HALOT : 1425.

Il n’est pas question ici de brosser le tableau des serments dans la Bible (voir par ex. GDB : 1558, DEB : 1193, WDE, EPE, VDB 3:1868-1872NIDB 4:309-312), mais de souligner simplement qu’ils étaient courants et qu’ils impliquaient parfois le nom divin יהוה (dans ce cas, ils n’étaient pas révocables).

Ce n’était donc pas l’usage du nom qui était proscrit. En Jérémie 4.2 on trouve même une des formules consacrées :

וְנִשְׁבַּעְתָּ חַי־יְהוָה בֶּאֱמֶת בְּמִשְׁפָּט וּבִצְדָקָה וְהִתְבָּרְכוּ בֹו גֹּויִם וּבֹו יִתְהַלָּלוּ׃

Si tu jures : ‘(Par la) vie de Jéhovah !‘ avec vérité, équité et justice,

alors les nations se béniront en lui, et en lui elles seront glorifiées.

En disant חי־יהוה suivi du vœu, on s’engageait par serment. Cette expression « Vie de Jéhovah » c’est-à-dire « Par la vie de Jéhovah » se rencontre encore aujourd’hui dans l’expression « Sur la tête de… ».

Dans le Talmud de Jérusalem, on trouve de nombreuses discussions autour du thème des vœux : ceux qui peuvent être annulés – et dans quelles circonstances particulières et minutieuses – , et ceux qui ne le peuvent pas.

Deux points méritent d’être signalés :

1) Le Talmud donne un exemple précis de ce qu’était « jurer en vain » : κύριε πολὺ βρέξαν – Schwab traduit ainsi : « par Dieu, il pleut beaucoup » (Talmud de Jérusalem, volume VIII, p. 180).

Le terme κύριε, vocatif de κύριος, signifie « Seigneur », « ô Seigneur » – et c’est le substitut habituel pour le tétragramme. On est plus dans l’exclamation que le vœu ou le serment, mais voici ce qui était prévu pour une telle  légèreté (ibid.) :

R. Hagaï dit au nom de R. Simon b. Lakish : si, en voyant tomber la pluie, quelqu’un s’écrie: κύριε πολὺ βρέξαν (par Dieu, il pleut beaucoup), il jure en vain, et devra subir la pénalité des coups.

2)  Il y avait un autre type de serment, qui est curieux. On le trouve toujours dans l’édition du Talmud de Jérusalem par Schwab (Talmud de Jérusalem, volume VIII, pp.240-241 – Nedarim XI, 1) :

Un homme se présenta à R. Yossé pour le prier d’annuler son vœu ; celui-ci s’enveloppa (en tenue d’office), s’assit et demanda au consultant comment il avait formulé le serment ? J’ai dit, fut-il répondu: « O Popi (par Dieu) d’Israël, je ne veux pas entrer dans ma maison. » R. Yossé lui dit alors : l’expression « O Popi d’Israël » est un vrai serment (valable), et désormais tu ne peux pas rentrer dans ta maison (le savant ne peut donc pas annuler les serments) ». ​Une note explique « Popi » ainsi : ‘C’est le mot ​ΠΙΠΙ, provenant de la lecture Jéhovah (lu à rebours), remarque L. Lévy, s.v., qui rappelle le procédé analogue d’Origène et de S. Jérôme. V. aussi Jos. Halévy, dans Revue des études juives, tome IX, p. 162′

D’après Gertoux (cf. p.16, ou ici p.77 en français), ce « O Popi » (mauvaise lecture de l’hébreu יפופי) est Moïse (Ipopi Apopi). L’hypothèse est audacieuse, et étayée par un certain nombre d’indices. D’autres pensent qu’il s’agit d’une mauvaise lecture du tétragramme, impliquant de ce fait un serment au nom de Dieu, plus habituel. Je n’ai pas trouvé ce terme יפופי dans le Talmud de Jérusalem. Des suggestions ?