Le commandement est clair :
לֹא תִשָּׂא אֶת־שֵׁם־יְהוָה אֱלֹהֶיךָ לַשָּׁוְא
Tu ne prendras pas le nom de Jéhovah ton Dieu pour tromper
(Exode 20.7 ; cf. Lévitique 19.12, Deutéronome 5.11).
Le segment לשוא est traditionnellement traduit « en vain ». Mais c’est moins la fatuité de l’usage qu’un usage mensonger qui est condamné dans ce passage, et ailleurs dans la Bible. Le terme שוא désigne avant tout l’inconsistance, la vacuité – si bien qu’on pourrait presque traduire « dans le vent ». Mais certains de ses emplois laissent deviner un trait sémantique relevant de la tromperie, du mensonge : ainsi Deutéronome 5.20 (עֵד שָׁוְא = faux témoignage), Isaïe 59.4 (אֱמוּנָה s’oppose à תֹּהוּ et שָׁוְא), Lamentations 2.14 (שָׁוְא rapproché de מַדּוּחִים), etc. Cf. DHAB : 377, CDCH : 450, HALOT : 1425.
Il n’est pas question ici de brosser le tableau des serments dans la Bible (voir par ex. GDB : 1558, DEB : 1193, WDE, EPE, VDB 3:1868-1872, NIDB 4:309-312), mais de souligner simplement qu’ils étaient courants et qu’ils impliquaient parfois le nom divin יהוה (dans ce cas, ils n’étaient pas révocables).
Ce n’était donc pas l’usage du nom qui était proscrit. En Jérémie 4.2 on trouve même une des formules consacrées :
וְנִשְׁבַּעְתָּ חַי־יְהוָה בֶּאֱמֶת בְּמִשְׁפָּט וּבִצְדָקָה וְהִתְבָּרְכוּ בֹו גֹּויִם וּבֹו יִתְהַלָּלוּ׃
Si tu jures : ‘(Par la) vie de Jéhovah !‘ avec vérité, équité et justice,
alors les nations se béniront en lui, et en lui elles seront glorifiées.
En disant חי־יהוה suivi du vœu, on s’engageait par serment. Cette expression « Vie de Jéhovah » c’est-à-dire « Par la vie de Jéhovah » se rencontre encore aujourd’hui dans l’expression « Sur la tête de… ».
Dans le Talmud de Jérusalem, on trouve de nombreuses discussions autour du thème des vœux : ceux qui peuvent être annulés – et dans quelles circonstances particulières et minutieuses – , et ceux qui ne le peuvent pas.
Deux points méritent d’être signalés :
1) Le Talmud donne un exemple précis de ce qu’était « jurer en vain » : κύριε πολὺ βρέξαν – Schwab traduit ainsi : « par Dieu, il pleut beaucoup » (Talmud de Jérusalem, volume VIII, p. 180).
Le terme κύριε, vocatif de κύριος, signifie « Seigneur », « ô Seigneur » – et c’est le substitut habituel pour le tétragramme. On est plus dans l’exclamation que le vœu ou le serment, mais voici ce qui était prévu pour une telle légèreté (ibid.) :
R. Hagaï dit au nom de R. Simon b. Lakish : si, en voyant tomber la pluie, quelqu’un s’écrie: κύριε πολὺ βρέξαν (par Dieu, il pleut beaucoup), il jure en vain, et devra subir la pénalité des coups.
2) Il y avait un autre type de serment, qui est curieux. On le trouve toujours dans l’édition du Talmud de Jérusalem par Schwab (Talmud de Jérusalem, volume VIII, pp.240-241 – Nedarim XI, 1) :
Un homme se présenta à R. Yossé pour le prier d’annuler son vœu ; celui-ci s’enveloppa (en tenue d’office), s’assit et demanda au consultant comment il avait formulé le serment ? J’ai dit, fut-il répondu: « O Popi (par Dieu) d’Israël, je ne veux pas entrer dans ma maison. » R. Yossé lui dit alors : l’expression « O Popi d’Israël » est un vrai serment (valable), et désormais tu ne peux pas rentrer dans ta maison (le savant ne peut donc pas annuler les serments) ». Une note explique « Popi » ainsi : ‘C’est le mot ΠΙΠΙ, provenant de la lecture Jéhovah (lu à rebours), remarque L. Lévy, s.v., qui rappelle le procédé analogue d’Origène et de S. Jérôme. V. aussi Jos. Halévy, dans Revue des études juives, tome IX, p. 162′
D’après Gertoux (cf. p.16, ou ici p.77 en français), ce « O Popi » (mauvaise lecture de l’hébreu יפופי) est Moïse (Ipopi = Apopi). L’hypothèse est audacieuse, et étayée par un certain nombre d’indices. D’autres pensent qu’il s’agit d’une mauvaise lecture du tétragramme, impliquant de ce fait un serment au nom de Dieu, plus habituel. Je n’ai pas trouvé ce terme יפופי dans le Talmud de Jérusalem. Des suggestions ?
Avez-vous lu l’essai de Nehemia Gordon sur la question ?
Il est trouvable facilement en pdf.
Hop :
karaite-korner.org/yhwh_1.pdf
(il y a aussi karaite-korner.org/yhwh_2.pdf (que ce cher Gertoux cite d’ailleurs).
sinon concernant PIPI, c’est pas והוה recopié basiquement en grec p-i-p-i ?
Appeler Dieu en invoquant l’urine, ça se ne fait pas…
(blague indigne que j’ai toujours voulu faire; c’est mon côté potache)
M.
On y a tous pensé. Je vous pardonne bien ça. 😀
J’avais lu un article à propos du fait que le tetragramme aurait un peu évolué au fil du temps.
De יהוה à l’époque puis יהיה pour le lien entre הוה et היה, puis והוה et donc en grec de ΠΙΠΙ.
Sans oublier le message avec le double ZZ
Bon, ça c’est fait alors. 🙂
Oui je connais les travaux de N. Gordon. Voir aussi son enthousiasme par ici : http://www.youtube.com/watch?v=lQGgEzG6pBc
PIPI peut être la transcription de WHWH avec méprise sur le Y initial
OU BIEN
PIPI peut être la transcription de YHYH (avec méprise sur les YOD qu’il est facile de confondre avec le wav, d’où le iota grec).
Cf. Devreesse, Introduction à l’étude des manuscrits grecs (1954, pp.110-111). Voir aussi mon P52 p.25 et l’Annexe 9 avec un exemple.
Justement. Le double yod ZZ vient sûrement de la Mishnah (YY)… Et pour YHYH on possède des fragments d’Aquila retrouvés aux Caire où le tétragramme se lit ainsi en paléo-hébreu. Ainsi, PIPI n’est pas forcément la transcription basique de YHWH, mais peut être aussi un témoignage du fait qu’on appelait Dieu… Yeya (voir aussi Annexe 8 de mon P52)
Les noms évoluent, à combien plus forte raison dans une langue comme l’hébreu où les noms ont un sens très forts.
Avec un vocabulaire qui évolue, parfois même l’orthographe, logique que les noms changent un peu.
Enfin, je pense que Dieu sait quand on parle de lui, ouvrir son alliance avec l’humanité, donner le don des langues pour internationaliser son peuple. Il savait bien que יהוה allait sonner bizarre dans d’autres langues, hein… Et en français que ce soir Yahvé ou Jéhovah, je suis sûr qu’il est satisfait.
Je trouve amusant combien certains de mes posts conduisent à s’interroger sur la vocalisation du nom, quand le sujet n’est pas du tout la vocalisation (hier, Retrancher de l’Ecriture, via un commentaire Facebook), aujourd’hui par votre commentaire.
Vocalisation, et usage, c’est différent.
Quant à la forme Yahvé, je ne suis pas d’accord. C’est une forme d’origine samaritaine, à deux syllabes, qui ne fait pas assonance avec les autres noms théophores. C’est une forme étymologisante (on essaie de coller à un nom propre l’étymologie *biblique* mais non scientifique présentée en Exode 3.15).
Par ailleurs, vous le savez sûrement, aucun nom théophore ne commence par YAH, mais toujours par Yo(u) ou YeHo(u).
cf. mon ouvrage de 2007 p.39
Et en finale, on n’a jamais -eH (de YaHWeH) mais toujours (-aH ou -aHou).
Donc, je pense que Yahweh ou Yahvé est une forme impossible. Et donc à rejeter.
Mieux vaut appeler Dieu par son vrai nom. Après, que ce nom évolue d’une langue à une autre, c’est bien naturel. Mais je rejette les inepties sous prétexte qu’elles sont la communis opinio.
Vous avez mal interprété mes propos.
Le but ne concernait pas la vocalisaiton, à la base, mais la modification du YHWH vers YHYH.
Yahvé ne servait que d’exemple, et je suis d’accord avec vous sur le fait que c’est une lecture complètement erronée.
Toujours est-il que Dieu préfère sans doute voir Yahvé que le mot passe-partout Seigneur (surtout que ça doit lui rappeler un peu Baal, concurrent tenace dans le coeur des hébreux qui ont si souvent fait plus que flirter avec l’idolatrie).
Vraiment désolé si je me suis un peu emporté. J’ai bien compris la teneur de votre propos : qu’importe si on emploie un nom propre, après tout ?
Vous avez raison de rapprocher Seigneur de Baal…
Moi cela me fait penser à Jérémie 23:27 :
Ils imaginent faire oublier mon nom à mon peuple par leurs rêves, qu’ils se racontent l’un à l’autre, tout comme leurs ancêtres ont oublié mon nom pour Baal.
Baal signifie maître, mari, possesseur, et… seigneur. Donc on pourrait presque traduire par : ont oublié mon nom pour Seigneur.
Cocasse.
Précisément. C’est exactement ce verset.
Rien que prophétiquement, c’est assez fort.
Me vient une interrogation par rapport à Exode 3:14 dans la septante… ego eimi ho on.
Peut-on rapprocher le « ho on » avec YHYH ?
Bonsoir,
Où peut-on trouver d’autres translittérations de ces noms théophores comme Jérémie en YirmeYahou? En avez vous une liste ?
Cordialement
Bonsoir,
Voyez ici : http://en.wikipedia.org/wiki/Theophoric_name#Table_of_theophoric_names_with_.22Yeho.22_and_.22Yo.22_prefixes
ou ici : http://seekjehovah.org/2012/11/theophoric-names/
On en trouve également une liste complète dans l’ouvrage de Gérard Gertoux, Un historique du nom divin (L’Harmattan, 1999, pp.46-51).
Bonjour,
Je suis Éric et travaille pour le Top Chrétien. Je suis tombé sur votre site et notamment cet article qui mentionne exode 20. Je vous remercie pour en avoir parlé à vos lecteurs. Si vous souhaitez leur apporter la possibilité de lire le livre de l’Exode en entier dans la version de leur choix, vous pouvez rajouter un lien vers https://topbible.topchretien.com/exode.20.2/OST/
D’ailleurs un module wordpress est en cours de développement pour aider les webmasters à insérer facilement des références bibliques. N’hésitez pas à me contacter si vous êtes intéressés.
Dans l’attente de vous lire,
Bien fraternellement.
++
Éric
Bonjour Éric,
Merci pour votre message.
En effet ce module wordpress est intéressant.
Bien fraternellement
Didier
Bonjour Didier,
Si vous êtes toujours intéressé par le module WordPress, pourriez vous m’envoyer votre adresse mail à ecnoubissi@zeemedia.fr?
Bien fraternellement
Le Tétragramme: יהוה est le théonyme de la divinité d’Israël; il apparaît près de 7000 fois dans la Bible hébraïque.
Il résulterait de יהיה [IAH-IAH], un redoublement de יה [IAH] mais avec la permutation du second י (iod) en ו (vav).
Quant יה [IAH], qu’on s’est trop hâté de considérer comme l’abréviation du Tétragramme, c’est le nom qui est à la base du
nom de IAÔ [IAω], la divinité de Moïse selon l’historien Diodore (1er siècle avant notre ère), lequel reparaît plus d’une fois
sous la forme: IAH-Ô (signifiant: « Le Grand IAH ») dans le papyrus de Leyde.
יהיה [IAHIAH] signifie: « IL SERA » en hébreu biblique. Et comme le Tétragramme est un redoublement de יה [IAH], mais
avec la permutation du second י (iod) en ו (vav), il devrait donc également signifier: « IL SERA » [יהיה]. Or c’est bien la
signification de יהוא (IAHOU’), équivalent à יהוה (IAHOUH), que donne Eccclésiaste 11, 3: יהוא = IL SERA.