Si le christianisme est en perte de vitesse dans le monde contemporain, on ne saurait blâmer les maisons d’édition, qui redoublent d’efforts et d’originalité pour proposer au public des synthèses de qualité, signées par les plus excellentes, ou à défaut éminentes, plumes. Je livre ici quelques réflexions sur des ouvrages, sortis plus ou moins récemment, touchant au monde de la Bible.
[1]. La Bible – Une encyclopédie contemporaine (Bayard, 2018) mérite une mention spéciale. Il s’agit d’une encyclopédie thématique abordant les origines, l’archéologie, les traductions et les découvertes concernant la Bible. Un nombre impressionnant de spécialistes a été mis à contribution, parmi lesquels : Aletti, Baslez, Bordreuil, Boyer, Briend, Briquel Chatonnet, Clivaz, Dorival, Dubois, Finkelstein, Grappe, Gibert, Hamidovic, Gounelle, Langlois, Macchi, Marguerat, Nodet, Paul, Perrot, Römer, Schniedewind, Vouga, Zumstein.
Vous remarquerez à la lecture de cette énumération que ces plumes interviennent régulièrement dans la revue le Monde de la Bible (dont le rédacteur en chef préface l’ouvrage), et cette encyclopédie est en quelque sorte un compendium (massif) de cette revue ; on y trouvera donc la même approche, la même philosophie, les mêmes hypothèses de travail. Les sujets abordés sont les suivants : I. La Bible face à l’archéologie, II. La Bible est-elle née à Babylone ?, III. La Bible est-elle née en Egypte ?, IV. A l’origine d’Israël, Abraham ou Moïse ?, V. Qui a écrit la Bible hébraïque, VI. La formation de la bible hébraïque, VII. Les manuscrits de la Bible, VIII. La Traduction – les langues de la Bible, IX. La Bible d’Alexandrie ou Septante, X. Les formations du canon de la Bible hébraïque, XI. Ce que Qumrân nous apprend, XII. Les auteurs des évangiles et des épîtres, XIII. La formation du canon du Nouveau Testament, XIV. Les évangiles apocryphes. L’ouvrage est introduit par T. Römer, et conclu par P. Gibert. Un glossaire (pp.524-529), une bibliographie (pp.530-533) et un index complètent l’ouvrage (pp.534-539).
On peut ne pas épouser toutes les vues exposées dans cette synthèse, mais force est de reconnaître qu’il s’agit d’un tour de force : concentrer dans un même ouvrage autant de questions fondamentales sur l’histoire du texte biblique, son canon, sa traduction, ses manuscrits et ses versions, en y exposant l’état actuel des connaissance (ou du consensus s’il y en a un). J’ai particulièrement apprécié les rubriques sur la Septante, sur la traduction, ou encore sur Flavius Josèphe ; mais pour tout dire tous les sujets sont intéressants, et la matière ne manque pas (528p.). Ce qui ne gâte rien, comme on peut s’en douter, c’est aussi la qualité de l’ouvrage et ses nombreuses et splendides illustrations. Assurément ce genre d’ouvrage est idéal pour enrichir sa connaissance de la Bible et de l’étude de la Bible, mais il sera assez difficile d’en faire un livre de chevet, l’ouvrage étant d’un format assez grand, et plutôt pesant… Quant à son prix, un peu élevé certes, il se justifie au vu de la richesse de son contenu, et la qualité de sa forme. J’ai vu qu’un autre volume Jésus – Une encyclopédie contemporaine l’avait précédé en 2017. Je ne l’ai pas encore eu dans les mains, mais j’imagine qu’il est tout à fait comparable, et je compte bien m’en assurer.
[2]. J. Doré et Ch. Pedotti dir., Jésus – L’encyclopédie (Albin Michel, 2017, 848p.) est une initiative comparable concernant ce qu’on sait de Jésus. J’ai longuement hésité à faire l’acquisition de ce volume, en me posant les questions : y aura-t-il du neuf, ou du moins des synthèses de qualité ? pour quel type de public ? tous les sujets se vaudront-ils ?
L’ouvrage n’est pas aussi spectaculaire que [1] en termes d’illustrations, de mise en page ou de qualité du papier, mais il le compense en étant plus massif, et plus dense au niveau contenu. Là-encore, la brochette de spécialistes est loin d’être anodine (parmi lesquels : Baslez, Burnet, Cline, Devilliers, Dupont-Roc, Focant, Gibert, Hadas-Lebel, Jaffé, Lémonon, Marchadour, Marguerat, Pelletier, Quesnel, Salles,Tassin, Zumstein ; cf. pp.799-806), et cela se ressent dans la tenue des contributions : chaque chapitre permet de tirer la « substantifique moelle » d’un sujet.
Ce n’est pas aussi passionnant qu’un ouvrage plus généraliste et mieux illustré comme [1], mais pour ceux qui veulent faire le point sur le Jésus historique et théologique (sans se plonger dans Meier par exemple), c’est idéal. La Bible y est abondamment citée, et la bibliographie, conséquente. Moins passionnant, mais quand même. Certains chapitres ou encadrés sont extrêmement alléchants, puisqu’ils posent des questions simples et courantes, en y portant des réponses claires et nuancées ; par exemple : Les Juifs croyaient-ils en la résurrection ? (p.49) / que signifie le nom de Jésus ? (p.133) / La datation de la naissance de Jésus (p.135) / Jésus était-il marié ? (p.155) / Jésus, Jean-Baptiste et Qumrân : y a-t-il un lien ? (p.179) / Pourquoi Jean parle-t-il de signes (p.302) / Jésus a-t-il annoncé la fin du monde ? (p.398) / L’ironie johannique (p.450) / Que dit vraiment Jésus du divorce ? (p.451) / Les Juifs attendaient-ils le Messie ? (p.488) / Comment fonctionnait le Temple de Jérusalem ? (p.569) / Jésus avait-il prévu sa mort ? (p.632) / Quel blasphème ? (p.663) / Jésus est-il le Serviteur souffrant des Écritures ? (p.680) / Jésus est-il mort le 7 avril 30 ? (p.685) / Les usages funéraires des juifs dans la Jérusalem du Ier siècle (p.708) / Que signifie la « parousie » du Fils de l’homme ? (p.752) / Jésus était-il le Verbe de Dieu ? (p.753). J’ai particulièrement apprécié les articles de Dupont-Roc, Hadas-Lebel, Baslez, ou Jaffé, et j’en oublie sûrement.
Il ne faut sans doute pas rechercher dans ce type d’ouvrages un condensé de savoir (définitif), mais une mine de sujets de réflexion, et un point de départ pour ses propres investigations. L’ouvrage est scindé en trois parties ou « livres » (subdivisés eux-mêmes en trois ou quatre sections) : I. Commencements (pp.31-204), II. La vie publique (pp.205-528), et III. Passion et résurrection (pp.529-766). Une chronologie commode (mais discutable) est proposée en p.771, et suivie notamment d’un glossaire (pp.773-783), d’un bibliographie (intéressante et classé selon les chapitres de l’ouvrage, pp.785-796), et de deux encarts de présentation des auteurs (pp.799-810).
[3]. Théo Truschel, La Bible et l’archéologie (Faton, 2010, 330p.) : assez différent de [1] ou [2], le beau volume de Truschel n’est pas une oeuvre scientifique, mais documentaire, et dans une perspective croyante. C’est donc beaucoup plus édifiant, et le mérite évident de l’ouvrage est d’être très richement illustré (c’est absolument sublime), dense, assez systématique, et facilement lisible. Son grand format et son poids interdiront une lecture « de repos », mais c’est un moindre mal compte tenu de la qualité impressionnante de l’ensemble. Des origines à la période néo-testamentaire, tout est passé au crible : le récit biblique se déroule, et chaque découverte archéologique afférente est présentée et abondamment illustrée. L’ouvrage pourrait faire penser à celui de Villeneuve (présenté ici), mais il le surclasse à tous les niveaux. Bref, si vous souhaitez faire un tour d’horizon sur la Bible et les découvertes archéologiques, c’est un ouvrage incontournable qui a le mérite de pouvoir se lire de bout en bout très facilement. L’ouvrage gagnerait évidemment à avoir de régulières éditions, pour la prise en compte des dernières découvertes. Pour ceux qui souhaiteraient prolonger la lecture, le site de l’auteur est d’excellente facture : https://www.archeobiblion.fr/
[4] A. Negev et S. Gibson, Dictionnaire archéologique de la Bible (Hazan, 2006, 624p.) : pour vous muscler les biceps et les neurones, assurément cet énorme et pesant volume fera parfaitement l’affaire. Il s’agit cette fois-ci réellement d’un dictionnaire ; il n’est donc pas question de lecture de bout en bout. Comme l’indique sa préface, l’ouvrage est dû pour l’essentiel à « d’éminents archéologues israéliens » (cf. pp.5-6), et « présente, dans l’ordre alphabétique, l’ensemble des sites qui sont mentionnés dans la Bible, et qui ont été localisés sur une carte et ont fait l’objet d’une investigation par les archéologues » (p.7).
La lecture est plus aride que dans les précédents ouvrages, puisqu’il s’agit en quelque sorte de données brutes destinées aux spécialistes. Ce volume intéressera donc surtout les lecteurs de la Bible désireux d’arpenter le texte et son contexte avec précision. La spécificité de ce travail consiste en la concision relative de ses articles (rarement plus d’une page), sa haute tenue scientifique, sa quasi exhaustivité (jusqu’à 2006) son abondante illustration (peu spectaculaire et très pragmatique). Quand c’est nécessaire, les articles sont très utilement découpés par périodes. Certaines rubriques plus généralistes permettent aussi de faire un tour d’horizon d’un sujet, comme (et ce n’est là qu’un mince échantillon) : Agriculture et élevage (pp.22-29) / Apocryphes et pseudépigraphes (p.50) / Armes et art de la guerre (pp.59-63) / Astronomie (p.76) / Bains (pp.81-83) / Calendrier et unités temporelles (pp.115-117) / Commerce (pp.135-136) / Construction (Matériaux et techniques) pp.137-139) / Culte juif (lieux et objets) pp.142-146 / Divination (pp.157-161) / Eau (collecte et adduction) pp.171-175) / Ecriture (pp.176-177) / Esclavage et travail (pp.197-199) / Habitat (pp.235-241) / Inscriptions (pp.268-275) / Monnaies (pp.364-367) / Musique (instruments de) pp.372-374) / Navires et navigation (pp.385-387) / « Voyage et transport » (pp.585-589) etc. Pour une édition simplifiée (sans illustration ou presque, de taille beaucoup plus modeste et plus ancien/moins complet ; cependant bon nombre d’articles sont identiques), le Dictionnaire archéologique de la Bible (Hazan 1970 ; A. Negev dir.) peut aussi rendre de bons services.
[5] W. Corswant, Dictionnaire d’archéologie biblique (Delachaux et Niestlé, 1959, 324p) : belle surprise que ce dictionnaire d’archéologie biblique (revu et illustré par E. Urech, et préfacé par A. Parrot). Plaisantes illustrations, extrême variété des entrées, citations bibliques systématiques, c’est encore un ouvrage qui ne se lit guère de bout en bout, mais qui se parcourt avec passion. L’ouvrage commence par une section listant les principales rubriques par domaines : I. La vie profane, II. La vie religieuse. La première section comprend ce type d’articles : famille / mariage / femme / enfants / esclaves / amis et hôtes / mort et funérailles / habitation / vêtements et soins du corps / alimentation / chasse et pêche / élève du bétail / agriculture / vignes, vergers et jardins / métiers / commerce / divisions du temps / mesures de longueur, de capacité et de poids / monnaies / astronomie, cosmographie etc / médecine ; etc. On le voit, c’est un peu un ouvrage de type « us et coutume » (cf. celui de Yamauchi & Wilson) qui fait d’ailleurs plus penser à un dictionnaire biblique thématique qu’à un dictionnaire d’archéologie à proprement parler. En raison de la richesse de ses sujets, et la qualité de ses informations, l’ouvrage vaut assurément d’être consulté régulièrement.
[6] A. Anderson & W. Widder, Textual criticism of the Bible (Lexham Press, 2018, 264p.) : il n’y a pas suffisamment d’ouvrage sur la critique textuelle de la Bible, à plus forte raison quand il s’agit de traiter l’Ancien Testament comme le Nouveau, pour se permettre de négliger la moindre parution. Celle-ci est intéressante parce qu’elle propose une introduction globale à ce sujet difficile, et que sa documentation est récente. Mais on n’y trouvera pas d’exemples bien nouveaux, ni d’originalité particulière. L’ouvrage en tout cas comprend de nombreux schémas, tableaux récapitulatifs, photographies de manuscrits (en noir et blanc), qui indiquent qu’il a été conçu dans une perspective hautement pédagogique, avec pour support de prédilection, le digital (il se marie dans ce cas fort bien avec le logiciel Logos). La pratique de la critique textuelle est abondamment commentée, documentée et guidée. C’est en somme un ouvrage incontournable, au contenu très riche, même si j’avoue avoir été un peu déçu en première lecture (nihil novi sub sole…).
L’avantage de cet ouvrage est vraiment d’être complet (manuscrits, versions, recensions, pratique et hypothèses de la critique textuelle, projets en cours : tout est expliqué en détail) et récent (une bibliographie commentée accompagne chaque chapitre). En première lecture, c’est idéal pour se familiariser avec le sujet. En lecture complémentaire, il faut faire preuve de patience, et profiter, pour les points moins clairs, du côté pédagogique, et pour les nouveautés, des références et des schémas. Côté inconvénient, l’ouvrage est imprimé sur du papier recyclé assez jauni, ce qui n’est pas toujours agréable. L’ouvrage est un peu comparable à celui de Wegner (excellent et incontournable ; voir d’autres références ici), et le complète utilement (sans toutefois le surclasser).
[7] S. Wüthrich, Mémoriser le grec du Nouveau Testament (Bibli’O, 2018, 64p) : ce petit opuscule propose de vous faire apprendre 25% du vocabulaire grec du NT, par ordre décroissant de fréquence, avec quelques aides mnémotechniques. En tout le lecteur et apprenant assidu aura mémorisé un quart des vocables du NT, soit 1400 mots (cf. p.3). Pour la forme, l’ouvrage est plaisant : la police grecque utilisée, et la taille choisie, sont agréables ; la concision et la justesse des définitions sont convenables ; deux aides à la mémorisation sont proposées : 1) ponctuellement, des mots de même racine (ex. vocable principal φωνή, -ῆς, ἡ → φωνέω, προσφωνέω), et 2) la mention d’un terme français dérivé du grec (ex. phonétique). Pour le fond, c’est un peu décevant comme tout ce qui existe en termes d’accompagnement à l’acquisition du vocabulaire : 1) les vocables sont listés en fonction de leur fréquence, et les découpages entre différentes étendues de fréquences sont arbitraires, 2) l’objectif reste passablement modeste (1/4 du vocabulaire !), 3) les mots français donnés à titre mnémotechnique ne sont pas expliqués (on rate alors une belle occasion de sortir l’apprenant de sa torpeur passive), 4) les mots ne sont pas illustrés (ni par un verset, ni par un visuel) et se suivent sans se ressembler, 5) il n’y a pas non plus renvois à des synonymes ou antonymes. En bref, le recours à la fréquence exclut le recours aux domaines sémantiques, aux associations de mots, et de ce fait, à la participation active de l’apprenant. C’est dommage. A décharge, ce petit opuscule, s’il est utilisé d’une manière rigoureuse et encadrée, peut rendre quelques bons services au débutant. → Pour une approche plus scientifique de l’apprentissage du vocabulaire de grec ou d’hébreu biblique, voir par exemple la thèse de J. P. Thompson, Learning Biblical Hebrew Vocabulary – Insights from Second Language Vocabulary Acquisition (2011).