22/09/2017

La Bible du Centenaire (NT, 1929)

La Bible du Centenaire n’est guère facile d’accès. Elle n’en est que d’autant plus intrigante. Elle devait paraître initialement pour 1918, à l’occasion du centenaire de la Société Biblique Protestante de Paris, fondée en 1818. Mais son élaboration a pris plus de temps que prévu. Commencée en 1911, elle n’a été achevée qu’en 1947. Ses objectifs étaient ambitieux : il s’agissait de tenir compte de tous les témoins du texte, produire une traduction n’occultant pas les aspérités du texte, le tout assorti de notes abondantes et d’introductions détaillées. Ce fut Alfred Lods qui fut en charge de l’Ancien Testament, et Henri Monnier du Nouveau.

Si l’entreprise était ambitieuse, et si elle a pris plus de temps que prévu, elle n’en a pas moins relevé le défi qui était le sien.

De sérieux efforts sont faits pour rendre en français les caractères spécifiques des écrivains bibliques, en particulier quand il s’agit de poésie. Des introductions substantielles, des notes historiques, géographiques, archéologiques, fournissent tous les éclairages que peut fournir la science biblique du moment. La Bible du Centenaire, si elle ne connaît pas une large audience, ouvre cependant des voies nouvelles en ce qui concerne la traduction et les annotations. Les Bibles qui paraîtront ultérieurement bénéficieront de cette entreprise exceptionnelle menée par des spécialistes protestants francophones. (Delforge 1991 : 275-276).

Ainsi s’exprime Frédéric Delforge sur cette version. Il ajoute qu’elle n’a jamais eu d’édition populaire, ce qu’explique par ailleurs Daniel Lortsch :

Cet immense ouvrage, fruit d’un labeur considérable mené par des hommes compétents, n’a guère eu de succès. Evidemment les quatre gros volumes sont mieux à leur place dans une bibliothèque spécialisée que dans les mains du lecteur moyen et ne sont pas à la portée d’une bourse modeste. On aurait pu en faire paraître une édition à plus petit format. En réalité l’ouvrage était probablement trop savant pour le lecteur moyen, et surtout il se heurtait à la méfiance des croyants évangéliques, en particulier à cause de ses notes souvent libérales. (…) Il faut ajouter cependant que les traductions ultérieures ont pu bénéficier de ce qu’il y avait de bon dans cette entreprise, qui ne se solde donc pas uniquement par un échec. (Lortsch et Nicole 1984 : 247-248)

Les vues parfois libérales exprimées dans les notes, et le format très onéreux, ont sans doute eu raison de cette entreprise considérable, « dans l’ensemble très fidèle » (Lortsch). Alfred Kuen précise que cette version « a servi de modèle à la Bible de Jérusalem et à la T.O.B. » et qu’elle est « malheureusement (…) devenue introuvable » (Kuen 1996 : 37). On trouve d’autres détails intéressants sur cette version dans l’ouvrage dirigé par Bogaerts, Les Bibles en français du Moyen Âge à nos jours (Brepols, 1997 : 184-185), notamment la liste des collaborateurs et les livres bibliques qui leur ont été confiés.

C’est bien en raison de l’édition populaire du Nouveau Testament seul, chez Payot en 1929, qu’une partie de cette entreprise a pu être connue du grand public.

J’ai en mains l’édition « maniable » du NT, qui est déjà un beau volume (270 x 180 mm), et je dois dire que, sans être tout feu tout flamme, en raison spécialement de quelques mots un peu vieillis çà et là, je suis très agréablement surpris par la haute tenue de la traduction, par ses tours généralement heureux y compris dans les portions difficiles, et bien sûr par ses notes précises, souvent amples, et qui justifient de manière sereine et argumentée les prises de position. Certaines d’ailleurs surprennent par leur audace.

Au commencement était le Verbe. Le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était un être divin. (Jean 1.1)

D’aucuns jugeront la traduction « libérale », pour ma part je la trouve simplement honnête et exacte, pour des raisons dont je me suis déjà expliqué (12, et 3). On notera au passage qu’en 1.18 la leçon ὁ μονογενὴς υἱὸς est préférée à l’assez douteuse ὁ μονογενὴς θεὸς.

Depuis les jours de Jean-Baptiste jusqu’à maintenant, le Royaume des cieux est pris par violence, et les violents s’en emparent. (Matthieu 11.12)

Là-encore la traduction est précise, et n’introduit pas de parti-pris. La note g précise par contre que le locus est obscur, et que trois explications peuvent être avancées. Je trouve cette note d’une concision et d’une efficacité remarquables. La dernière explication, peut-être celle plus spécialement préférée par les traducteurs, est celle qui me paraît plus clairement étayée dans le contexte immédiat de Matthieu (mais sens différent chez Luc ; cf. 1, 2, 3).

Vous aurez peut-être remarqué les lettres « P » et « S » en marge : il s’agit d’un système commode indiquant par M, les passages qui se trouvent aussi dans Marc, P, qu’il est particulier à l’évangile en cours, et S qu’il appartient à une source commune à Matthieu et à Luc. D’autres notes indiquent les citations de l’AT (avec la lettre G si la citation est conforme à la Septante contre le texte massorétique).

(…) les patriarches, et dont Christ est issu, selon l’ordre naturel. Que le Dieu qui est au-dessus de toutes choses soit à jamais béni ! Amen. (Romains 9.5)

Les doxologies pauliniennes ne sauraient être invoquées pour étayer le moindre soupçon trinitaire. Chez Paul, la gloire du Père est toujours prééminente, et Jésus en est le dispensateur ou l’intermédiaire de prédilection. Certes Paul n’hésite pas à faire du Christ un être divin auquel est confié le nom au-dessus de tout nom (Philippiens 2.6,9) mais c’est à la gloire de Dieu, le Père (Philippiens 2.11). Cette « gloire du Père » est récurrente sous « sa » plume (ex. Romains 6.4, Éphésiens 1.17, Philippiens 4.20 ; Romains 4.20, 15.7, 16.27, 1 Corinthiens 10.31, 2 Corinthiens 4.15, Philippiens 1.11, 2.11, 1 Timothée 1.17). A mon sens, défendre que Christ est « Dieu au-dessus de toutes choses » est une aberration. Une lecture même rapide des passages précités, à la lumière de 1 Corinthiens 15.27-28, devrait suffire à s’en convaincre.

Ici donc Goguel et Monnier ne sont donc pas si subversifs ou libéraux qu’on pourrait croire. Ils rendent compte du texte, en essayant de ne pas trahir le sens, du moins le sens tel qu’ils le comprennent. C’est une illusion de penser qu’il y aurait d’un côté, le parti-pris, et de l’autre, une pure objectivité. Pour traduire, il faut déjà comprendre le texte. Cette compréhension passe par une nécessaire interprétation. Et cette interprétation passe dans la reformulation finale dans la langue cible (ex. Kuen 1996 : 81-82).

Lui qui avait une forme divine, il n’a pas considéré l’égalité avec Dieu comme une proie à saisir. (Philippiens 2.6)

Pour avoir travaillé plusieurs années sur ce verset (Fontaine 2010), je sais combien son interprétation, et donc sa traduction, est délicate. Mais quand c’est difficile, il faut rester dans son bon sens, examiner le contexte parénétique immédiat, la nature du morceau, sa provenance éventuelle, son substrat réel ou fantasmé. Deux interprétations diamétralement opposées s’opposent, qui ont toutes deux de bons arguments. D’un côté Christ qui ne se prévaut pas de son égalité avec Dieu. Il faut alors expliquer la nature de sa kénose, et son exaltation. Et là, mieux vaut ne pas être un idiôtês (cf. Actes 4.13) ! De l’autre côté, Christ, « en forme de Dieu » car il partageait sa condition et même sa nature, n’a pas cherché à s’accaparer l’égalité (de traitement, d’honneur) avec Dieu, et s’est humblement anéanti sans chercher de gloriole… A l’examen, les justifications sémantique (une expression idiomatique inexistante) et théologique (en fait Christ, ne se départit de sa nature nature divine… dans sa nature humaine) de la première hypothèse sont aussi suspectes que déficientes. Il faut lire le texte dans son sens le plus obvie. Pour ces raisons, je trouve particulièrement réussie la note f, qui résume en quelques phrases ce très vaste sujet… et ce avec une déconcertante sérénité.

(…) Ce fut à Antioche que les disciples furent pour la première fois appelés chrétiens. (Actes 11.26)

Dans ce verset encore, la traduction est sobre, et la note donne les détails utiles à son intelligence, en rappelant que ce n’est pas une providence divine (TMN et quelques autres) qui est à l’origine de ce nom de « chrétiens », mais un « sobriquet ironique » (cf. Fontaine 2007 : 215-216).

Vous l’aurez compris, les notes ne sont pas le moindre des mérites de cette version, et j’ajouterais que les introductions ne dépareillent pas non plus l’ensemble. La présentation elle-même fait sens : ainsi le pericope adulterae est-il relégué, à part, après l’évangile de Jean (p.176) et le chapitre 8 de Jean commence ainsi plus naturellement par le « verset 12 ». Ou bien le chapitre 21 est clairement signalé pour ce qu’il est, un « appendice » (p.174). Ou encore la finale de Marc est-elle restituée aussi abruptement que telle qu’elle est dans la plupart des manuscrits.

Ces quelques exemples ne font sans doute pas pleine justice à cette version. Elle est savante par ses notes, et précise dans son texte. Peut-être un peu plus « exigeante » que la moyenne : son côté « libéral » interpelle sans doute davantage le lecteur en lui évitant de s’assoupir dans la routine. Le lecteur peut alors éprouver ce en quoi il croit, comme le préconise 1 Corinthiens 13.5 : Ἑαυτοὺς πειράζετε εἰ ἐστὲ ἐν τῇ πίστει, εἁυτοὺς δοκιμάζετε.

Je me désespère de mettre la main sur les volumes de l’AT. Introuvables, a prévenu Kuen. Bon, si on met la main à la poche, il y a moyen en fait. Plutôt qu’introuvable, je dirais plutôt inaccessible. Hélas !


Je profite de l’occasion pour signaler une nouvelle version de Bible Parser, la v.738.

La principale nouveauté concerne une nouvelle rubrique « Mots apparentés » dans les Dictionnaires linguistiques grec et hébreu.

  

L’outil permet de repérer des synonymes complémentaires.Il permet de surcroît de lancer directement une recherche dans les Références françaises et anglaises.

Cela n’a l’air de rien, mais je suis persuadé que cela vous permettra non seulement d’utiliser davantage ces deux précieux outils, mais aussi bien plus facilement.

Pour l’anglais, il vous épargne pour le coup la traduction, et vous suggère souvent plusieurs termes.

  

 

Ces mots apparentés sont disponibles pour les deux langues. Pour le grec toutefois, un encart supplémentaire est généré, puisque Bible Parser dispose du WoodhouseEnglish – Greek Dictionary – A Vocabuly of the Attic Language (1910). Il consulte donc directement le mot anglais approprié. Si plusieurs sont possibles, ils sont tous restitués. Et là vous pourrez découvrir d’autres synonymes, ou comprendre l’écart de sens entre le vocabulaire attique et celui de la koinè.

 

Au menu de la version 738, des bugs corrigés bien sûr (navigation et audio surtout), de nouveaux commentaires, de nouveaux visuels, de nouveaux ouvrages dans la Bibliothèque, et une légère amélioration des Introductions dans Exégèse.

Autre petit gadget, mais qui crée du lien entre les passages, la gestion des personnages a été améliorée : Bible Parser reconnaît de nombreux personnages, et sait dissocier les homonymes les plus notoires.