La petite histoire des grandes impostures scientifiques (Harpoutian, 2016)

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Ce livre est fascinant et divertissant. Fascinant parce qu’il met de l’ordre dans la longue lignée des impostures ou fraudes qui parcourent l’histoire des sciences, dont vous avez sûrement entendu parler çà et là, mais sans forcément connaître le contexte, ou les développements. Et divertissant parce que, bien que le sujet soit peu reluisant au fond, cette histoire des fraudes est parsemée de schémas, d’anecdotes et d’illustrations visant à recadrer les sujets dans un contexte plus large – en faisant au besoin un petit topo pour les non initiés – ce qui rend le propos non seulement facile à lire, mais addictif !

L’ouvrage se scinde en cinq grandes parties, les quatre premières étant thématiques (archéologie, biologie et médecine, génétique, physique, technologies innovantes) et une cinquième plus contemporaine (l’histoire en marche). Parmi les impostures les plus marquantes, celle de Haruko Obokata fait froid dans le dos en ce qu’elle illustre la spirale infernale du mensonge, de l’appétit de la gloire, et d’un talent gâché.

Si l’ouvrage se focalise sur les « sciences dures », ce qu’on y constate rejoint évidemment la situation des « sciences molles », dont les sciences bibliques pour leur plus grande partie, où j’aime à croire que la fantaisie donne encore plus libre cours à son expression. En cela, cet ouvrage intéressera aussi les personnes allergiques à la science…

C’est d’ailleurs spécialement dans l’introduction (pp.7-17) que le ton est donné. Qu’est-ce qui pousse un authentique scientifique à frauder ? A inventer des résultats, ou à les tordre selon des vues préalables ?

Pour le comprendre, il faut rappeler quelques éléments de contexte. Et c’est là où Harpoutian détaille par le menu ce que j’ai moi-même pu constater à bien des reprises…

1. L’innovation perverse de la bibliométrie (p.9)

Depuis le début des années 2000, une mesure dite « objective » tente d’estimer la qualité du travail d’un chercheur par sa production. Un peu comme à l’usine. Plus le chercheur publie – dans des revues à referee (peer review) bien sûr – plus il peut exister, et attirer ou fédérer des budgets. C’est le fameux publish or perishavec son « indice de Hirsh« , axiome qui n’a jamais été autant d’actualité : d’après une étude portant sur 2047 articles de recherche en biologie qui ont été rétractés entre 1940 et 2012, 67.4% des rétractations portaient sur un soupçon de fraude (43.4% fraude ; 14.2% article en double ; 9.8% plagiat). Ce qui fait dire à Harpoutian : « la bibliométrie du publish or perish est un véritable pousse-au-crime » (p.12). Certes la rétraction est rare (0.01% des articles). Le problème est qu’elle progresse de manière vertigineuse : son pourcentage a été multiplié par 10 entre 1975 et 2012 et par 3 sur la seule décennie 1995-2005 (p.13).

Un autre chercheur américain, Daniele Fanelli, a analysé en 2009 des sondages anonymes qui montrent que si moins de 2% des chercheurs reconnaissaient avoir manipulé, voire fabriqué des résultats, plus de 33% avouaient des manquements déontologiques. Et plus de 14% disaient avoir constaté que leurs collègues fraudaient gravement…

A ce stade, un frisson parcourt l’échine et on a envie d’en savoir plus : mais comment est-ce possible ? N’y a-t-il pas cette fameuse évaluation par les pairs ? Comment peut-on encore, de nos jours, fabriquer des résultats et mystifier son monde ? Pour avoir suivi ce sujet depuis des années, je reconnais que je ne me suis pas posé la question en ces termes, car j’ai déjà eu l’occasion d’aller de déconvenue en déconvenue. Mais si vous découvrez le sujet, vous n’allez pas être déçu(e) du voyage…

2. L’évaluation par les pairs : un garde-fou ?

« L’évaluation par les pairs reste comme la démocratie le pire système à l’exclusion de tous les autres » – Alain Fuchs, Président du CNRS (p.12)

Quand on a dit ça, tout est dit. Ce n’est pas à dire qu’il faille jeter le système aux orties : l’évaluation par les pairs est sans doute nécessaire. Cependant au vu des nombreuses failles laissant passer des inepties grotesques (y compris dans une revue aussi prestigieuse que Nature), on ne peut en faire une garantie absolue d’intégrité scientifique, et encore moins de « vérité ». Certaines initiatives tentent de pallier aux insuffisances du système : ainsi le blog PubPeer tente-t-il de démasquer les vilains petits canards. Initiative louable, mais dont le côté anonyme me dérange (la chasse aux sorcières elle-même est-elle toujours dénuée d’intérêt ?).

Une fois rappelés les fondamentaux, Harpoutian qualifie la typlogie de l’imposture (p.16-17) :

  • L’erreur : ce n’est pas une imposture, encore faut-il savoir reconnaître son erreur si l’on en a l’opportunité. Ainsi, « l’erreur obstinée est constitutive de l’imposture ». En la matière, Harpoutian cite des exemples navrants au fil de son ouvrage, et l’on soupire : que d’orgueil, que d’orgueil ! Ainsi Blondot et son rayon N
  • Le plagiat : très répandue, cette imposture consiste à reprendre les conclusions d’une personne en partie ou en intégralité, sans citer de source. L’imposteur peut d’ailleurs réellement contribuer à son sujet. En l’occurrence, le défaut d’honnêteté intellectuelle constitue l’imposture. Pasteur et Einstein sont cités… Pour Einstein, cela paraît surprenant si l’on ne connaît pas les travaux de Poincaré et de Lorentz.
  • La mystification : il s’agit d’une fraude délibérée, dont la motivation est souvent la gloriole… Ainsi Haruko Obokata ; ou encore la machine à rajeunir de Otto Overbeck ; ou encore des dictateurs du Honduras qui inventent de toutes pièces à leur pays une histoire maya pour le tourisme…
  • Le canular : moins grave, ce dernier cas vise surtout à ridiculiser le système pour en démontrer les failles. Ainsi la célèbre étude de Alan Sokal pompeusement intitulée « Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformatrice de la gravitation quantique« , titre qui pourrait faire sourire par son jargon outrancier, et dont le contenu est un canular visant à déterminer si une revue publierait un article absurde, dont le contenu « flatterait les préconceptions idéologiques des rédacteurs » (source)… Pari réussi et belle polémique à la clé (et belle promotion aussi pour son ouvrage sur les impostures intellectuelles) !

A lire la revue des imposteurs, on se rend compte qu’il n’est pas que le fait de farceurs, mais aussi et surtout d’authentiques scientifiques qui se laissent piéger par leur envie de briller, ou encore d’élaborer des théories trop belles pour être vraies. Tout au long de la lecture, une question me tenaillait : Harpoutian allait-il parler des Bogdanov ? J’ai pour ces deux scientifiques la plus grande estime, et je suis de ceux qui pensent qu’ils ont fait l’objet d’une kabbale inique et ignoble. J’ai lu pratiquement tous leurs ouvrages de vulgarisation, et aussi deux études indépendantes, et pour autant que je puisse en juger, tant par ce que j’ai lu que par ce que je sais du système (et que Harpoutian ne fait que confirmer et illustrer), ma conclusion est que les Bogdanov ont fait l’objet d’une jalousie de la plus vile espèce.

Mais non, Harpoutian n’en dit mot, du moins dans ses exemples d’imposteurs, et donc je souffle. Bravo Harpoutian, tu n’as pas cédé à la facilité et à la vilenie. Il s’en explique en Postface (pp.209-213) :  ce sont des amis. Encore bravo. Ce qui pourrait te faire soupçonner voire discréditer par certains te rend encore plus sympathique à mes yeux ! Pas étonnant que Harpoutian se soit intéressé au sujet de l’imposture intellectuelle : le cas Bogdanov interroge en effet sérieusement la probité de certains scientifiques, et pas dans le sens que les médias ont trop souvent véhiculé. Messes basses, rapport anonyme, mails incisifs (dont certains rétractés tant ils étaient absurdes), kabbale médiatique… les deux jumeaux ont subi un flot de mensonges, de calomnies, de méchanceté. Pour bien comprendre leur cas, il faut non seulement, je pense, avoir une bonne connaissance générale du milieu académique, des sujets qu’ils adressent, mais aussi ne pas élever les scientifiques en chaire au statut d’idoles dont le propos serait incontestable : certains de ces pontes peuvent être malhonnêtes ou mal intentionnés, par excès d’orgueil – orgueil qui, je le rappelle, est une constante de l’Univers !

Sur les Bogdanov je signale deux études à ne pas manquer :

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Les deux ouvrages valent largement leur lecture, mais s’il en est un à conseiller particulièrement, c’est celui de Gonzalez-Mestres. Comme celui de Motl, les grandes lignes des travaux des Bogdanov sont rappelées (parfois de manière technique), et replacées dans le contexte plus large de l’histoire des sciences et des préoccupations contemporaines, mais Gonzalez-Mestres fournit de plus des éclairages plus importants sur le parcours des Bogdanov, et livre des documents de première main pour se faire sa propre opinion. C’est édifiant, et cela prouve, si besoin était, qu’encore au XXIe siècle on pourrait bien élever des bûchers pour « hérétiques » si cela était permis…

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