05/10/2015

La fin du hasard (Bogdanov, 2013)

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« Dieu ne joue pas aux dés ! » Voici ce qu’avance Albert Einstein, pour qui la nature n’obéit pas au hasard. Face à lui, Niels Bohr, le fondateur de la physique de l’infiniment petit, convaincu du contraire. A ses yeux, l’insaisissable comportement des particules élémentaires se perd dans le flou du sort. Où en est-on aujourd’hui ? Plus que jamais, le débat fait rage. Pour certains, l’implacable principe d’incertitude ne peut être remis en cause : la matière – et tout ce qui existe – serait la proie de la fortune. Pour d’autres, la réalité repose sur des lois dont l’origine reste énigmatique. Les derniers progrès scientifiques ne montrent-ils pas que le feu du Big Bang ne s’est pas déclenché par hasard ? Finalement, qui croire ? Pour la première fois, nous sommes peut-être en mesure de trancher…

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire cet ouvrage des frères Bogdanov sur le hasard. Il faut dire que le sujet est fascinant : le hasard. Qu’est-ce que le hasard et existe-t-il ? Question scientifique, question religieuse ? Déterminisme, fatalité ? Libre-arbitre, prédestination ?

La simple évocation du mot déchaîne croyances et préjugés. Je m’y étais intéressé, très prosaïquement, lorsque je me suis penché sur la fonction informatique Randomize en Visual Basic. La question que je me posais était la suivante : comme générer informatiquement une suite aléatoire ? A vrai dire, je poursuivais un but fort modeste : générer un verset du jour ou une lecture recommandée à l’ouverture de mon logiciel – mais pas selon une liste ou un ordre prédéterminé. La question toutefois m’a conduit sur des terrains complexes et fascinants. Heureusement, de grands mathématiciens comme Per Martin-Löf se sont penchés sur le problème, et ont démontré qu’en fait aucun algorithme n’est capable de générer une suite parfaitement aléatoire (cf. Delahaye 2014). Et effectivement les fonctions natives des langages de programmation sont pseudo-aléatoires : comme j’ai pu le vérifier, certains versets revenaient plus que d’autres…

Pour ces raisons, lorsque j’ai vu l’ouvrage des Bogdanov, et son titre évocateur « la fin du hasard » avec ses dés présentant tous des faces à six points, j’ai saisi l’occasion d’en savoir davantage… Or l’ouvrage se dévore, et s’il n’est pas foncièrement novateur ou révolutionnaire, du moins il fait marcher quelques instants en compagnie des grands Einstein, Turing, Landau, Kolmogorov, Lorenz, von Neumann, Gamow, Friedmann, et d’autres encore. Plaisante compagnie.

On y fraie aussi avec des nombres transcendants, comme Pi, Omega de Chaitin…  Prenons Pi, que signifie ce chiffre ? Quel est son lien avec la réalité physique ? Pourquoi est-ce une propriété de l’Univers ? Est-ce que cela a un sens ?

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Évidemment, poser ce genre de question, c’est déjà s’exposer des critiques nauséabondes : créationnisme, intelligent design… Les Bogdanov sans doute ont-ils eu leur lot. Mais si l’on se penche honnêtement sur la question, il est indéniable que l’Univers répond à des règles parfaitement mesurables. Or si elles sont mesurables, elles sont prédictibles. Et si elles sont prédictibles, point de place pour le hasard. Les choses se compliquent lorsque l’on jette un œil sur le monde quantique, sur l’univers microscopique, l’infiniment petit. Là, les particules ne répondent plus à nos schémas mentaux. Et le hasard, ou du moins des informations à jamais inaccessibles, surgissent. Pour ne citer qu’un exemple des plus simples, tel photon se comporte tantôt comme une corpuscule, tantôt comme une onde… C’est déjà beaucoup demander à l’esprit humain que d’appréhender ce genre de concept. Mais il y a mieux (ou pire) : ce photon ne se « comporte » pas de la même manière selon qu’il est observé ou non…

Et là, on se dit que soit notre connaissance du photon est profondément déficiente, soit l’Univers est extrêmement complexe, et pour grande partie, à jamais accessible à nos sens.

C’est à ce type de considérations que les Bogdanov nous invitent, en lien spécialement avec l’origine de l’Univers. Comment est-il né ? Par une succession de hasards ? Mais les mathématiques et notre expérience du monde ne disent-elles pas au contraire que les phénomènes macroscopiques ne sont pas soumis au « hasard », mais à des lois précises ?

S’interroger sur le hasard, c’est remonter aux origines de l’Univers… et de la vie. Il n’y a certes pas de réponse simple, mais dépasser les préjugés que l’on peut avoir sur le « hasard », c’est déjà un pas de géant.