1. Approche sémantique
Chercher le Christ dans l’Ancien Testament est un exercice difficile, pour lequel je n’ai guère d’appétence. Cependant, on m’interroge souvent sur le texte de Proverbes 8.22, dans lequel il est question de la Sagesse de Dieu, traditionnellement identifiée à Jésus par les chrétiens. Le débat n’est pas dépourvu d’agenda théologique, puisqu’il s’agit de savoir si Jésus est une créature ou non. A mon avis ce débat est vain. Pour au moins trois raisons : 1) en fait Jésus est fils de Dieu au sens fort, c’est un fils unique-engendré (μονογενής, cf. Jean 1.14, 18, 3.16, 3.18, 1 Jean 4.9 ; cf. Jean 5.17-19, Colossiens 1.15-17, Hébreux 1.10 ; cf. Hébreux 1.5). C’est précisément le fait que, contrairement au reste de la création (Jean 1.3, 10), il soit engendré, qui le rend unique en son genre. Il n’est pas à proprement parler une créature. Il est un premier-né (Colossiens 1.15), qui a été engendré : ὁ γεννηθεὶς ἐκ τοῦ θεοῦ (1 Jean 5.18). Peut-on raisonnablement parler de créature dans le cas d’un enfant ? Cela explique aussi pourquoi les Pharisiens ont voulu lapider Jésus lorsqu’il appela Dieu Mon Père : πατέρα ἴδιον ἔλεγεν τὸν θεὸν ἴσον εἁυτὸν ποιῶν τῷ θεῷ (Jean 5.18). Jésus n’entendait pas par-là une filiation par adoption (comme Hébreux 1.5 pourrait le suggérer), mais une filiation directe (puisqu’il déclare savoir ce que le Père est en train de faire, comme s’il avait précédemment été à ses côtés). Le parallèle avec Philippiens 2.6 vient alors à l’esprit : oui, bien qu’étant dans la forme de Dieu (ἐν μορφῇ θεοῦ), Jésus n’a pas cherché à recevoir les mêmes honneurs (τὸ εἶναι ἴσα θεῷ). Et cependant il partageait sa condition, voire sa nature puisqu’il se trouvait là où Dieu se trouvait (cp. Philippiens 3.21).
2) On recourt à l’analyse sémantique de קנה, qui signifie acheter (ex. Lévitique 25.20), posséder (ex. Esdras 1.3), acquérir (ex. Exode 15.16), et créer (ex. Genèse 4.1), cf. DHAB : 334. C’est le dernier sens créer qui fait débat. Pourtant, la Septante porte en ce passage κύριος ἔκτισέν με ἀρχὴν ὁδῶν αὐτοῦ εἰς ἔργα αὐτοῦ ; or κτίζω a un sens moins débattu, puisque de ses différents équivalents possibles (ברא, קנה, יצר, יסד, שׁכן, עמד), le terme ברא est de loin le plus fréquent. De fait, dans son dictionnaire de référence, Clines classe le texte de Proverbes 8.22 dans la rubrique 4a, « create, form » sans indiquer d’incertitude. Et de citer, outre Proverbes 8.22, les textes de Deutéronome 32.6 et Psaume 139.13 (CDCH : 396). D’ailleurs en Genèse 14.19 le participe prend la forme d’un substantif qui désigne le créateur : קֹנֵה שָׁמַיִם וָאָֽרֶץ, créateur du ciel et de la terre. Il est de fait inutile d’épiloguer sur les différents sens de קנה. Parfois, il signifie créer, c’est indéniable. La plupart du temps, cependant, il signifie acheter (63/85).
Mais « la plupart du temps » ou « parfois », cela ne fonde en rien une exégèse. Si un terme prend un sens une fois ou deux seulement, c’est suffisant. Or la tentation pourrait être de se ranger à l’avis du grand-nombre, ou à défaut à celui des personnes autorisées. Il faut toutefois souligner que dans l’exégèse de ce type de passage, où l’enjeu est important, s’empresser de recourir à des autorités est un jeu délicat, voire dangereux. Dans le cas d’une autorité lexicologique, les dictionnaires ne sont pas dépourvus, à l’occasion, de considérations partisanes. Ainsi, le dictionnaire intégré à Logos référence trois cas où קנה signifie créer, donner naissance : Deutéronome 32.6, Psaume 138.13, et Genèse 4.1. Mais vous constatez que Proverbes 8.22 est classé sous l’entrée posséder/acquérir, « to possess », aux côtés de Genèse 14.19 et Genèse 14.22. Avec cela, vous n’êtes de ce fait guère avancés : vous avez à faire à une proposition. Si vous vous intéressez à la manière de traduire exactement « créer » en hébreu et en grec, vous vous apercevez alors d’un petit détail qu’il ne faut pas négliger.
Les choix sont limités. Il y a évidemment des périphrases ou des manières contournées pour le dire, mais le constat est sans appel : pour dire créer en hébreu, les trois principaux lemmes sont עשה ברא et קנה. Et en grec, ποιέω et κτίζω. Or on trouve deux de ces lemmes d’une part dans le texte massorétique, d’autre part dans la Septante. En Proverbes 8.22, le sens créer n’est donc pas forcé, il est plutôt naturel. A l’inverse, le sens de posséder la Sagesse est un peu absurde. Ce n’est pas que ce ne soit pas un des sens possibles de קנה. C’est plutôt une affaire de bon sens : tout le sujet de la péricope – Proverbes 8.12-31 – est de présenter une Sagesse personnifiée, qui parle à la première personne (cf. Proverbes 8.12, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 22, 23, 24, 25, 27, 30, 31). Dieu n’a pas acquis la Sagesse, ni ne l’a possédée – ne la possédait-il pas déjà, la sagesse ? – mais il l’a formée ou créée. Car cette Sagesse n’est pas une qualité qu’on peut acquérir, mais un individu.
3) Il est donc une troisième raison pour laquelle le débat est vain. C’est qu’au-delà de l’analyse purement lexicologique, le texte dans son ensemble est si précis qu’on ne peut que soupçonner les débats de mauvaise foi. Or la mauvaise foi ne saurait être ni raisonnée, ni convaincue.
2. Approche contextuelle
C’est sans doute un lieu commun de rappeler que les écrits poétiques bibliques, dont Proverbes, sont caractérisés par des tournures stylistiques dont la plus célèbre est le parallelismus membrorum. Comme le rappelle É. Dhorme, si on « le retrouve chez les Babyloniens, les Assyriens, les Syriens, les Arabes », ce procédé est toutefois « à la base de tout poème hébraïque, qu’il soit prophétique, psalmodique, didactique, lyrique » (La poésie hébraïque, Grasset, 1931, p.75, cf. pp.80 -86; je souligne). C’est la base. Ces parallélismes peuvent être synonymiques, antithétiques ou plus rarement synthétiques. Or, il suffit de considérer Proverbes 8.21-31 pour percevoir un leitmotiv patent : les quatre premiers verbes s’appellent l’un l’autre et se répondent par le sens. Deux mouvements structurent l’œuvre créatrice : 1) vv.21-26 décrivent les temps immémoriaux qui virent naître la Sagesse, première des voies divines avant une série d’autres. 2) quant aux vv.27-31, ils décrivent la création collaborative de la Terre, voire de l’Univers comme l’être humain les connait. C’est un temps moins « immémorial » qui remonte au « commencement » auquel Genèse 1.1 se réfère. Ce qui autorise une telle analyse, ce sont l’ensemble des mots employés dans le premier mouvement, qui indiquent qu’en ce temps-là la création telle que l’humain la perçoit n’était pas initiée : v. 22, קֶ֖דֶם מִפְעָלָ֣יו מֵאָֽז, avant ses œuvres de jadis ; puis la succession des …מ, et un certain nombre de constructions typiques exprimant l’antériorité : מֵ֭עוֹלָם, מֵרֹ֗אשׁ, מִקַּדְמֵי, לִפְנֵ֖י aux côtés d’affirmations niant l’existence בְּאֵין, בְּאֵ֥ין, בְּטֶ֣רֶם. Les quatre verbes קָנָנִי, נִסַּכְתִּי, חוֹלָלְתִּי, חוֹלָֽלְתִּי sont tous au qatal et, dans le contexte, pointent vers le passé (cf. Davidson, Syntax §145 d). En français il est judicieux de restituer cette construction par les Avant… avant… quand… par contraste aux lorsque. D’un côté il est question d’un temps indéterminé, ancien, et de l’autre d’un temps ancien, déterminé par le « commencement » de la création.
Ainsi le mouvement progresse à partir du v.27. Le verbe est sous-entendu, mais il n’est plus question d’avoir été formée jadis. A ce moment-là, la Sagesse était là : שָׁם אָנִי, j’étais là. Après avoir été formée et tissée, la Sagesse à son tour tisse et forme, comme habile architecte : וָֽאֶהְיֶה אֶצְלוֹ אָמוֹן , j’étais architecte à ses côtés (v.30).
Si l’on revient désormais aux verbes employés aux vv. 22-25, force est de constater qu’ils s’appellent par le sens : créer/former, être tissé / être formé, et être enfanté. En fait, ces versets sont tout simplement des membres parallèles. Cela devient évident quand on traduit littéralement :
v. 22: יְֽהוָה קָנָנִי רֵאשִׁית דַּרְכּוֹ , Jéhovah m’a formée commencement de sa voie
v.23 נִסַּכְתִּי מֵרֹאשׁ מִקַּדְמֵי אָֽרֶץ, j’ai été tissée avant le commencement, avant les origines de la terre
Le verset 23 reformule le verset 22 en progressant légèrement : la Sagesse fut première « œuvre » de Dieu ; cette Sagesse fut formée avant les autres « œuvres » antiques. Incidemment, cela répond à la question : mais qu’est-ce que la voie de Dieu (דַּרְכּוֹ, son chemin ; au singulier) ? Ni plus ni moins que son œuvre, sa création (cf. v.22 קֶדֶם מִפְעָלָיו מֵאָֽז, avant ses œuvres de jadis ; œuvres ou actions ; cf. infra les citations de la Septante par Philon). Ce verset ne va pas sans rappeler Job 40.19, où il question de Behémot qui serait, lui-aussi, הוּא רֵאשִׁית דַּרְכֵי אֵל , commencement des voies de Dieu. Pour de bonnes raisons, il faut peut-être voir, dans les deux cas, la figure du Christ (cf. Behémoth et Léviathan (Job 40.15, 41.1) ?).
v.24 : בְּאֵין תְּהֹמוֹת חוֹלָלְתִּי, quand il n’y avait point d’abîmes, j’ai été enfantée.
Si vous êtes attentif(ve), vous remarquez les affinités lexicales avec la création décrite dans la Genèse : רֵאשִׁית, תְּהֹמוֹת, אָֽרֶץ, מָֽיִם. Le rédacteur des Proverbes entendait clairement désigner une période indéterminée précédant la « création du ciel et de la terre ». Sans doute avait-il à l’esprit ce fameux : נַֽעֲשֶׂה אָדָם בְּצַלְמֵנוּ , faisons l’homme à notre image (Genèse 1.26)
3. Réception et perspectives
Le passage de Proverbes 8.12-31, et spécialement vv.22-31, propose une nouvelle lecture de la Genèse : il introduit un second personnage, la Sagesse. Cette sagesse n’est pas un concept ni une qualité, il s’agit d’une personne qui était présente aux côtés de Jéhovah. Le simple segment וָֽאֶהְיֶה אֶצְלוֹ אָמוֹן (Proverbes 8.30 ; cf. Proverbes 3.19) ne va pas sans rappeler de nombreux passages du Nouveau Testament, comme Jean 1.1 ὁ λόγος ἦν πρὸς τὸν θεόν, le Logos était auprès de Dieu, ou Jean 1.3 : πάντα διʹ αὐτοῦ ἐγένετο, tout advint par son entremise.
Ce passage a d’ailleurs eu une belle fortune littéraire, les plus connues étant Siracide 24.1-22 et Sagesse 7.22-26. Nous ne citerons que quelques autres cas. Par exemple, certains voient dans le texte de 1 Corinthiens 1.30 une claire allusion aux Proverbes, lorsqu’il est dit de Jésus, ἐγενήθη σοφιά ἡμῖν ἀπὸ θεοῦ, il a été fait sagesse pour nous de par Dieu. Mais ce type d’allusions est difficile à caractériser, et la prudence devrait s’imposer (voir sur ce point Romerowski 2011 : 235, qui pense en outre que la Sagesse serait une figure de style, une métaphore).
Dans la même perspective, certains juifs de la période hellénistique identifiaient clairement la Sagesse comme une création divine (II/III AD, cf. OTP 2 : 682, SynPryrs 5.3 ; sur ce passage, il faut bien sûr composer avec les interpolations chrétiennes) :
Le texte de Philon ne manque pas non plus d’intérêt, puisqu’il cite Proverbes 8.22-23 ainsi (De ebrietate §31):
ὁ θεὸς ἐκτήσατό με πρωτίστην τῶν ἑαυτοῦ ἔργων, καὶ πρὸ τοῦ αἰῶνος ἐθεμελίωσέ με
quand on lit dans la Septante:
22 κύριος ἔκτισέν με ἀρχὴν ὁδῶν αὐτοῦ εἰς ἔργα αὐτοῦ 23 πρὸ τοῦ αἰῶνος ἐθεμελίωσέν με ἐν ἀρχῇ
La différence entre πρωτίστην τῶν ἑαυτοῦ ἔργων et « l’original » ἀρχὴν ὁδῶν αὐτοῦ εἰς ἔργα αὐτοῦ est sensible : d’un côté, la Sagesse est première des œuvres de Dieu, de l’autre, la Sagesse est première des voies de Dieu en vue de son œuvre… Nuance ! On serait donc tenté de voir en ce passage de la Septante une interpolation chrétienne tant elle se prête au débat christologique. Quoi qu’il en soit, Philon ne laisse planer aucun doute sur sa compréhension, puisqu’il ajoute aussitôt ἦν γὰρ ἀναγκαῖον τῆς μητρὸς καὶ τιθήνης τῶν ὅλων πάνθʼ ὅσα εἰς γένεσιν ἦλθεν εἶναι νεώτερα, « For it was necessary that all the things which came under the head of the creation must be younger than the mother and nurse of the whole universe. » (Yonge).
Vers la même époque, on trouve une compréhension similaire dans les Odes de Salomon 7.8-9 (cf. 41.9), une œuvre sans doute judéo-chrétienne (c.100 AD, OTP 2 : 726-727), puisqu’on lit (OTP 2 : 740) :
8 He who created wisdom
is wiser than his works.
9 And he who created me when yet I was not
knew what I would do when I came into being.
Un peu plus tard les rabbins emploient notre passage pour désigner les « sept choses créées par Dieu avant la création du monde », dont le première est la Torah, et l’argument, une référence à Proverbes 8.22 (b. Pesah. 4:4c, I.5.E, b. Ned. 4:4a, I.3.D). Mais la compréhension du verbe qanah oscille entre créer, comme on l’a vu, et posséder/acquérir (Pirkē Aboth 6.11, b. Pesah. 8:1, I.9.E, b. Qidd. 1:7, II.29.G, Shirata, 35:5:7.E). Il est évident que les différents sens possibles du verbe servent les besoins de circonstance, voire qu’on appuie, de bonne foi, sur telle ou telle nuance d’un terme peu technique, dont au vrai les différents emplois ne s’excluent pas (créer, posséder, acquérir ; cf. infra notre conclusion).
Ces différentes interprétations ne doivent cependant pas occulter l’essentiel, le sens – et le sens en contexte. Certes, on peut s’obstiner à traduire qanah par posséder/acquérir parce que tel est souvent son sens. Et après ? En quel sens Jéhovah aurait-il possédé ou acquis une Sagesse (à savoir l’individu ainsi nommé) ? N’est-il pas clairement question de création d’un bout à l’autre de la péricope ?
Comme je le précisais en exergue, l’analyse de ce passage est empêtrée dans le débat trinitaire. Ainsi s’exprimait Hilaire de Poitiers (IV AD, De Trinitate 1.34-36):
We proclaim in answer, on the evidence of Apostles and Evangelists, that the Father is eternal and the Son eternal, and demonstrate that the Son is God of all with an absolute, not a limited, pre-existence; that these bold assaults of their blasphemous logic—He was born out of nothing, and He was not before He was born—are powerless against Him; that His eternity is consistent with sonship, and His sonship with eternity; that there was in Him no unique exemption from birth but a birth from everlasting, for, while birth implies a Father, Divinity is inseparable from eternity. 35. Ignorance of prophetic diction and unskilfulness in interpreting Scripture has led them into a perversion of the point and meaning of the passage, The Lord created Me for a beginning of His ways for His works. They labour to establish from it that Christ is created, rather than born, as God, and hence partakes the nature of created beings, though He excel them in the manner of His creation, and has no glory of Divine birth but only the powers of a transcendent creature. We in reply, without importing any new considerations or preconceived opinions, will make this very passage of Wisdom display its own true meaning and object. We will show that the fact that He was created for the beginning of the ways of God and for His works, cannot be twisted into evidence concerning the Divine and eternal birth, because creation for these purposes and birth from everlasting are two entirely different things. Where birth is meant, there birth, and nothing but birth, is spoken of; where creation is mentioned, the cause of that creation is first named. There is a Wisdom born before all things, and again there is a wisdom created for particular purposes; the Wisdom which is from everlasting is one, the wisdom which has come into existence during the lapse of time is another. 36. Having thus concluded that we must reject the word ‘creation’ from our confession of faith in God the Only-begotten, we proceed to lay down the teachings of reason and of piety concerning the Holy Spirit, that the reader, whose convictions have been established by patient and earnest study of the preceding books, may be provided with a complete presentation of the faith. – Hilary of Poitiers. (1899). On the Trinity. In P. Schaff & H. Wace (Éd.), E. W. Watson, E. N. Bennett, S. C. Gayford, & W. Sanday (Trad.), St. Hilary of Poitiers, John of Damascus (Vol. 9a, p. 50). New York: Christian Literature Company.
Au-delà de la virulence du propos, on remarque que le texte, cité à deux reprises, était un point important des démonstrations ariennes, voulant faire du Christ une créature. Or, aux yeux d’Hilaire, c’est contraire à l’éternité de Dieu, et à son idée de la divinité. Le Christ étant Dieu, il ne saurait être créé. De même sa nature de Fils ne supposerait pas un point de départ, mais serait éternelle et sans commencement. Ces sortes d’amphibologies sont, à mes yeux, à récuser absolument. La clarté du texte, comme nous l’avons vu, plaide pour elle-même. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de traduire קנה par créer même si c’est plus ou moins ce sens qui est adopté, car la succession de synonymes קנה, נסק, היל plaide précisément pour de la nuance voire de l’imprécision. Considérez cet exemple :
Le contexte précise, explicite et façonne un sens particulier.
Que fait le contexte ? Il précise ? Il explicite ? Il façonne ? En fait, c’est évident, il fait tout à la fois : il faut pouvoir capter le sens et l’essence plutôt que rester le nez sur le texte. De même, je pense qu’il n’est pas nécessaire de se cramponner à קנה en dehors des deux autres verbes. Ce sont ces deux autres verbes qui apportent des nuances, pour une compréhension unique et globale : avant les siècles, Jéhovah a acquis une sagesse parce qu’il l’a enfantée. L’a-t-il créée ? Après mûre réflexion, j’opinerais plutôt pour traduire קנה par « former » pour conserver une polysémie peut-être voulue par licence poétique. Je rappelle qu’évidemment un mot ne prend qu’un seul sens par contexte. Dans le cas de la poésie cependant, et comme nous avons à faire d’un côté à de la création d’un bout à l’autre de la péricope, et de l’autre côté, à un terme qui désigne l’acte créateur, mais aussi l’acquisition – les deux notions ne s’opposant pas formellement, si l’on s’entend bien – le mieux est de rester évasif, tout en préservant le sens issu de notre exégèse, à savoir créer : le verbe former me paraît adéquat. Il a ce pouvoir évocateur (image de Dieu / forme de Dieu) qui ne dépareille pas le contexte ; comme קנה, il ne signifie pas d’abord créer (ברא, עשה), mais ne l’exclut pas.
Jéhovah a formé, tissé et enfanté la Sagesse. L’a-t-il créée ? La poésie n’est pas de la biologie, ni de la théologie. Je rejoindrais pourtant Hilaire sur un point : dans le cas de la Sagesse, il vaut mieux parler de naissance que de création.
Pour aller plus loin : Articles Vawter 1980, Lenzi 2006, Weeks 2006, de Savignac 1962, de Savignac 1954, Bauer 1958, Monographie, Balint Karoly 2012