Que signifie l’expression πρὸ χρόνων αἰωνίων ? (2 Timothée 1.9, etc.)
La combinaison des termes χρόνος et αἰώνιος figure dans trois versets : Romains 16.25 (χρόνοις αἰωνίοις), 2 Timothée 1.9 (πρὸ χρόνων αἰωνίων) et Tite 1.2 (πρὸ χρόνων αἰωνίων), et nulle part dans la Septante, les Pères apostoliques, les Pseudépigraphes grecs, Josèphe ou Philon (→ TxtC, BP). S’il n’est pas besoin de s’étendre sur le sens de χρόνος, temps, durée au sens large, l’adjectif αἰώνιος est plus délicat à cerner : durable, perpétuel, éternel (Magnien-Lacroix : 46, Bailly : 54 + séculaire). Cet adjectif figure 70 fois dans le NT, et correspond à l’hébreu עוֹלָם. C’est un synonyme de ἀΐδιος (cf. AMGL : 15-16), et en un sens de ἀρχαῖος (cf. GELS : 19). Il entre souvent en composition pour marquer une durée éternelle (εἰς τὸν αἰῶνα x27, εἰς τοὺς αἰῶνας x7, εἰς τοὺς αἰῶνας τῶν αἰώνων x20), la présente époque, souvent dans un sens négatif (ὁ νῦν αἰών x3, ὀ οὖτος αἰών x31) ou encore l’époque à venir (ὀ αἰών ὁ ἑπέρχομενος x1, ὁ αἰών ὁ ἐρχόμενος x1, ὁ αἰών τῶν μέλλων x3 ; cf. ECGNT : 30-31). L’idée d’éternité, très présente, fonctionne aussi à rebours : les expressions ἐκ τοῦ αἰῶνος, ἀπὸ τῶν αἰώνων, πρὸ παντὸς τοῦ αἰῶνος, πρὸ χρόνων αἰωνίων, χρόνοις αἰωνίοις (cf. LN 67.133) signifient depuis/avant les temps éternels, c’est-à-dire de toute éternité, depuis toujours – mais en un sens imprécis, « en dehors du temps » (Pigeon : 219-220 s.v. éternel), « the word depicts that of which the horizon is not in view » (MM : 16), « without beginning » (Thayer : 20), « before time was, from eternity » (CWSD-NT : 166). Dans la Septante, l’expression la plus proche est ἀπὸ τοῦ αἰῶνός (= TM מֵעֹולָם), cf. LXX Psaume 24.6 (TM 25.6). Pour signifier une origine « de toute éternité », et durant « à jamais », on emploie volontiers une tournure redondante, ex. ἀπὸ τοῦ αἰῶνος εἰς τὸν αἰῶνα (Siracide 39.20), ou mieux : ἀπὸ τοῦ αἰῶνος καὶ ἕως τοῦ αἰῶνος (x6 : 1 Chroniques 16.36, 29.10, Néhémie 9.5, Psaume 102.17, 105.48, Daniel/Théodotion 2.20), ce qui correspond au TM מִן־הָעֹולָם וְעַד הָעֹלָם – i.e. depuis toujours et à jamais.
Sur Tite 1.2, le P. C. Spicq explique dans son commentaire Saint Paul – Les Épîtres Pastorales (Paris, Gabalda, 1947, p.221 ; je souligne) :
(…) mais promesse faite πρὸ χρόνων αἰωνίων (cf. II Tim. I, 9 ; Éph. I,4), avant les temps éternels, ce que l’on peut rendre : qui existerait depuis toujours dans les desseins de Dieu, bien avant qu’elle n’ait été exprimée (II Tim. I, 9 ; les Pères grecs, saint Augustin, saint Jérôme, saint Thomas, Estius, Bernard Padovani, Jeremias); mais la formule signifie simplement des temps indéfinis, une grande antiquité et vise donc ici les origines de l’humanité (cf. Gen. III, 15 ; Lc. I, 70).
Commentant les deux emplois de αἰώνιος en Romains 16.25,26, le P. M.-J. Lagrange fait ces remarques (Saint Paul – Épître aux Romains, Paris, Galbalda, 1922, p.378) :
De même dans Tite I, 2, la vie éternelle était promise πρὸ χρόνων αἰωνίων, tout en n’étant révélée que par la prédication dont Paul est l’organe. (…) χρόνοις αἰωνίοις ne signifie pas ici [i.e. Romains 16.25] comme πρὸ χρόνων αἰωνίων dans Tit. I,2, les longs temps de l’histoire qui ont précédé l’Incarnation, mais l’éternité de Dieu, comme πρὸ τῶν αἰώνων de I Cor. II, 7, et πρὸ χρόνων αἰωνίων de II Tim. II, 9 [sic, legenda : I,9) et ἀπὸ τῶν αἰώνων de Eph. III, 9.
La nuance introduite par Lagrange est si contestable qu’il la pondère dans la foulée (je souligne) :
Mais à supposer que χρόνοις αἰωνίοις indique aussi les temps écoulés depuis la création du monde, tout ce temps, jusqu’à l’Incarnation, peut être regardé comme un temps de silence, comparé à la manifestation de l’Incarnation.
Et nous y sommes : πρὸ χρόνων αἰωνίων = χρόνοις αἰωνίοις = πρὸ καταβολῆς κόσμου.
C’est Éphésiens 1.4 qui donne la clé : καθὼς ἐξελέξατο ἡμᾶς ἐν αὐτῷ πρὸ καταβολῆς κόσμου εἶναι ἡμᾶς ἁγίους καὶ ἀμώμους κατενώπιον αὐτοῦ ἐν ἀγάπῃ (C’est ainsi qu’Il nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour – BJ). Mais il ne faut pas entendre πρὸ καταβολῆς κόσμου stricto sensu « avant la fondation du monde », mais : depuis toujours. Dès que le dessein de Dieu a été conçu pour l’humanité, il en a été ainsi. Mais ce « dès » n’est pas défini dans le temps : la grâce de Dieu n’a pas de début ni de fin.
Astuces : dans Bible Parser, pour obtenir tous les versets où n’importe quelle forme de χρόνος précède immédiatement n’importe quelle forme de αἰώνιος, deux solutions :
* Formuler une requête : saisissez ** dans la Barre de Lancement Rapide pour basculer en mode Requête (ou faites Ctrl + R pour accéder à l’outil), et tapez la requête suivante : xronoj@*!aiwnioj@*
* Recherche combinée (Verse Parser) : ouvrez l’outil depuis le menu Outils, effacez les listes. Ajoutez les deux mots. Sélectionnez le principal dans la rubrique de gauche, et le secondaire dans la rubrique de droite (cochez ou non l’option LXX) puis lancez la recherche (détail ci-dessous).
* Consulter les Commentaires et autres manuels de référence peut s’avérer très long, quand la solution vous pend peut-être au nez. Ne négligez pas l’intertextualité. Souvent une expression obscure s’éclairera dans un autre verset où la même idée est développée et où une expression synonyme est préférée. C’est le cas de 2 Timothée 1.9 || Éphésiens 1.4. La rubrique Voir aussi (qui est en fait TSK, Treasury of Scriptural Knowledge) vous permet de le voir tout de suite : un simple clic ouvre un popup avec le verset en français.
Sur le site TextCritical.net vous pouvez également rechercher des expressions, de manière lemmatique (en betacode ou Unicode). Saisissez les mots, cochez « Search related Greek forms », pour avoir accès à un important corpus (LXX, NT, Josèphe, et de très nombreux auteurs grecs classiques).
Si l’adjectif αἰώνιος peut prendre le sens de durable, il semble préférable de la traduire dans ce sens restreint.
Mais est-il question « de temps durables » (indéfinis) ou « des temps durables » (défini) ? L’auteur fait-il référence à une période de temps précise (le temps écoulé depuis le commencement de la création ?) ou veut-il simpement dire « depuis longtemps » (depuis de long temps) ?
Sauf mention explicite déductible du contexte, je pense que πρὸ χρόνων αἰωνίων / χρόνοις αἰωνίοις peut se rendre en français idiomatique par « aux temps jadis » (durée ancienne, longue et indéfinie).
Quand je dis que l’idée d’éternité est présente dans l’adjectif αἰώνιος, c’est exact mais il faut rappeler le point suivant : l’αἰών c’est une longue période de temps indéterminée (cf. Bailly : 53-54).
Il ne faut donc pas penser à des temps éternels, (car on introduirait une information trop précise : les temps éternels sont… infiniment longs) mais à des temps antiques, de lointains temps antiques.
En revanche quand Jésus fait référence à une période précise, « avant la fondation du monde » (πρὸ καταβολῆς κόσμου, Jean 17.24) ou « avant que le monde ne soit » (πρὸ τοῦ τὸν κόσμον εἶναι, Jean 17.5), on s’écarte de la définition donnée ci-dessus, car le contexte impose un cadre : lorsque Jésus était auprès du Père (παρὰ σοί), avant l’acte créateur. Mais c’est encore une période de temps longue et indéterminée, imprécise. Dans les autres cas qui concernent les élus, et à défaut de cadre précis, il ne faut vraiment pas chercher à donner un sens précis à πρὸ χρόνων αἰωνίων.