06/05/2018

Paul, Apôtre du Christ

Ce n’est pas tous les jours que la Bible est portée sur grand-écran, mais quand c’est le cas les attentes sont toujours grandes. Les dernières tentatives, comme Noé ou Exodus, ont laissé un goût bien amer. Il est donc naturel d’être méfiant. En la matière ma méthode consiste à ne pas m’attendre à ce que l’évangile soit fidèlement porté à l’écran. Ainsi je ne suis jamais déçu, ou au contraire, agréablement surpris. C’est d’autant plus nécessaire quand un long-métrage s’attaque à une période sur laquelle le récit biblique est silencieux ou évasif, car on peut alors laisser libre-court à l’imagination, ou (pire) invoquer largement des récits apocryphes qui n’ont pas manqué de combler les « lacunes ».

Il en est ainsi pour le film de Andrew Hyatt qui vient de sortir. La trame se situe en dehors du récit biblique : Paul emprisonné à Rome sur ordre de Néron, en attente de sa sentence. Luc, le médecin, vient à ses côtés pour collecter le récit de ses actes.

Un tel scénario comble donc notamment le silence des derniers versets des Actes (28.30-31, BJ):

Paul demeura deux ans entiers dans un appartement qu’il avait loué, et il recevait tous ceux qui venaient le voir. Il prêchait le royaume de Dieu, et enseignait ce qui regarde le Seigneur Jésus-Christ avec toute liberté et sans aucun empêchement.

Cette résidence était surveillée. Il est probable qu’il a ensuite été libéré (vers 63), puis qu’il a visité l’Espagne ainsi que la région égéenne (GDB 1215), avant d’être de nouveau arrêté sur ordre de Néron, après l’incendie de Rome (Tacite, Annales XV, 44, cf. Grimal 1993 : 395-396). C’est dans ce contexte qu’il faut sans doute comprendre 2Ti 4.6-22, qui fait allusion à ce deuxième emprisonnement, cette fois-ci avec une perspective d’acquittement bien mince, et des conditions de détention beaucoup plus rigoureuses (cf. v. 6-7, 18).

Le film élabore donc son scénario autour de Paul emprisonné, attendant la fin, période durant laquelle seul Luc est à ses côtés (cf. 2Ti 4.11). Mais puisque ni les Actes ni les épîtres n’indiquent les circonstances du martyre de Paul, d’autres sources sont alors invoquées, et sans doute peut-être les Actes de Paul (XIV-XVI, cf. Pléiade, Écrits apocryphes chrétiens, I : 1172-1177 ; pour la condamnation par Néron, et la sentence de décapitation), les Actes de Pierre (VI, pour le voyage en Espagne ; cf. Pléiade, Écrits apocryphes chrétiens, I : 1063) ou encore 1 Clément 5.5-6 et Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique II,25,5-7 et III,1,3, cf. Bardy 2003 ; pour le lieu de la décapitation, sur la voie d’Ostie, ainsi que d’autres détails).

Quand ces événements ont-il eu lieu ? Sur la datation, les spécialistes hésitent entre 64, suite à l’incendie de Rome (thèse du film ; cf. ABD 5 : 191), 65 (DPL 687) ou 67-68 (cf. GDB 1215, ZEB 4:732Baslez 1991 : 291). En l’occurrence il semble que la tradition, apocryphe comme patristique, soit digne de confiance : c’est en effet à Rome, au début des années 60, qu’il faut situer le martyre de Paul ; peut-être à la suite du fameux incendie, ou consécutivement, soit par sa qualité de chrétien devenue subversive, soit en raison de sa prédication et des agitations afférentes.

Impressions sur le film

La salle était vide, nous étions seulement deux, et c’était navrant. A l’heure des super-héros, les vrais super-héros n’attirent en fait pas grand-monde. Le film est bien fait, prenant. Il décrit les premiers chrétiens de Rome et les périls multiples qu’ils subissaient. On y voit opérer Aquila et Priscille autour d’une communauté qui tente de vivre paisiblement, mais qui connaît des divisions en interne, principalement causées par la cruauté des Romains, et la question de savoir s’il convient, ou non, de défendre voire de répliquer. Luc le médecin y joue un rôle clé, tout comme le couple Aquila – Priscille. Luc fait des allers et retours en prison, et transcrit les mémoires de Paul, qui revient sur certains faits marquants de sa vie (notamment les persécutions qu’il orchestra contre les chrétiens, et sa conversion). Le personnage de l’apôtre, campé par James Faulkner, est impressionnant. On dirait un prophète des temps antiques, qui dégage un charisme captivant. Les discours sont émaillés de citations bibliques. Un régal.

Ce n’est pas un grand film d’action. Le réalisateur laisse la place à la contemplation, et n’introduit une histoire dans l’histoire (le chef de la prison et sa fille malade) que pour accentuer l’émotion suscitée par le sort des chrétiens dans leur ensemble d’une part, et celui d’une fillette romaine d’autre part. Paul n’y est pas le grand orateur qu’on pourrait imaginer. Il est juste en attente de sa délivrance. Il a combattu le beau combat. Il est prêt. Il attend de rejoindre le Christ. C’est pratiquement tout ce qui lui importe. Mais persuadé par Luc, il se livre quelque peu. Ses échanges avec le chef de la prison lézardent progressivement l’arrogance du Romain.

C’est à n’en pas douter un film à voir et à revoir, qui donne à réfléchir sur les derniers jours de l’apôtre des nations, et les premiers jours du christianisme naissant.

Le film est dédié à tous ceux qui sont persécutés pour leur foi. Il y a de quoi faire. Les chrétiens sont encore très largement persécutés de nos jours. A cet égard, les Témoins de Jéhovah sont une cible de choix dans plusieurs pays dans le monde, et dernièrement la Russie. Le film leur est donc aussi dédié.

Pour en savoir plus : Site officiel (avec bonus)Paul (ZEB) | Paul (Wiki) | Paul (EP) | Paul (DEB) – Quelques lectures : Baslez, Decaux, Renan | Eatsman

En DVD : je vous recommande chaudement La Bible (Reece/Mitchell) : le format est celui d’une série, et le récit biblique est illustré de la Genèse aux Actes ; la suite étant AD (mais zone 1).