Je rêvais depuis des années de mettre la main sur ces volumes rares et précieux : c’est enfin chose faite, grâce à un lecteur de ce blog, que je remercie vivement. Au volume quatre, consacré au Nouveau Testament, et que j’ai présenté récemment, s’ajoutent donc trois autres volumes pour former un tout complet : I. La Loi, II. Les prophètes, III. Les Écrits, IV. Le Nouveau Testament. De forts beaux volumes en vérité.
Je ne m’étendrai pas ici sur les nombreuses trouvailles qu’il est loisible d’y faire, et des nombreuses curiosités qui en émaillent les pages. Je rappelle seulement qu’il s’agit d’une bible à l’état de l’art de son époque, munie de notes abondantes qui n’ont pas toutes vieillies (dont on retrouve la substance dans des versions bien modernes), et qu’elle présente de surcroît un second appareil de notes concernant l’établissement du texte. Je ne m’arrêterai donc que sur quelques points bien arbitraires…
Sur le texte traduit, les auteurs témoignent d’une surprenante modernité, vol. I. p. VI :
La TRADUCTION est basée sur la comparaison des meilleurs témoins du texte. Cette méthode a prévalu depuis longtemps pour le Nouveau Testament. Mais, en ce qui concerne l’Ancien, c’est, on peut le dire, une nouveauté. Toutes les versions françaises courantes suivent, exclusivement ou à peu près, l’édition hébraïque traditionnelle (massorétique), établie par les rabbins entre le IIe et le IXe siècle après J.-C. Or nous possédons d’autres témoins du texte, qui, dans bien des cas, nous ont conservé des leçons meilleures : le Pentateuque samaritain, les versions grecques, syriaques, latines, les Targoums. Ces diverses sources d’information ont été soigneusement utilisées pour l’établissement de la présente traduction.
Plus loin, les traducteurs s’expliquent sur l’emploi de conjectures, mais jusqu’à un certain point, vol. I. p. XVIII :
En comparant les variantes fournies par les divers témoins et en en appréciant la valeur selon les méthodes critiques ordinaires, on arrive, en général, à retrouver, sinon la teneur même de l’original, du moins un texte plus ancien et plus correct que celui de l’édition massorétique. Quand ni les manuscrits ni les versions anciennes ne fournissent de leçon satisfaisante, on peut assez souvent restituer par conjecture les mots dont l’altération a donné naissance aux variantes en présence. Il est, enfin, des cas où le plus sage est de confesser loyalement qu’il nous est impossible, à l’heure actuelle, de rétablir avec quelque assurance un passage manifestement corrompu. Nous avons alors pris le parti de mettre dans notre traduction des points et d’indiquer en note le sens littéral des mots qui figurent dans l’édition massorétique, et, éventuellement, de ceux que donnent quelques anciennes versions.
L’une des premières instances de cette méthode concerne le texte, quelque peu obscur en effet, de Gen 4.7. Les autres cas sont nombreux, citons par exemple Sol 6.12, ou Job 23.12, Job 23.24, Job 23.25.
Sur la méthode de traduction, les auteurs indiquent, vol. I p. VI :
On a visé à donner une traduction scrupuleusement fidèle. On s’est donc gardé d’harmoniser les textes ou d’en déguiser les difficultés. D’autre part, l’on a fait effort pour conserver la couleur et le mouvement de l’original afin de permettre au lecteur moderne d’en goûter la saveur antique et d’apprécier la beauté littéraire qui s’y rencontre fréquemment. Pour la même raison, l’on s’est attaché à rendre la pensée des auteurs en un français clair et actuel, plutôt qu’à décalquer les mots et les phrases des écrivains hébreux.
La forme du nom divin retenue est Yahvé, et expliquée ainsi, vol. I p. XV :
L’usage s’était établi de remplacer dans la lecture de la Bible, certains termes, devenus triviaux, par des synonymes jugés moins crus. Le texte sacré étant tenu pour immuable, les massorètes y laissèrent les consonnes du mot qui ne se lisait plus (du ketib, c’est-à-dire de « ce qui est écrit »), mais écrivirent au-dessous les voyelles du terme qu’il fallait lui substituer dans la lecture (le qeré, « ce qui doit être lu »), les consonnes de ce terme étant indiquées dans une note. Le même procédé fut appliqué à un vocable que les Juifs, dès avant l’ère chrétienne, s’abstenaient de prononcer par respect religieux : le nom propre du Dieu d’Israël, Yahvé. Ils le remplaçaient par un titre divin « le Seigneur » (en hébreu ‘adônay) – c’est ainsi que la version des Septante et la Vulgate traduisent toujours « Yahvé », – ou si le mot « Seigneur » était déjà adjoint au nom Yahvé, par « Dieu » (en hébreu ‘elohîm). Les massorètes, conformément à leurs conventions, laissèrent dans le texte les consonnes « Yahwèh », YHWH, et mirent dessous les voyelles du mot qu’il fallait lire : ‘adonay ou ‘elôhîm, donc a, ô, â, ou e, ô, î. Bien entendu aucun Juif n’a jamais lu Yehowah, ni Yèhowîh. Le nom de Jéhova provient d’une bévue commise par les premiers hébraïsants chrétiens lorsque, au moyen âge on commença, dans l’Eglise, à s’initier à la langue de l’Ancien Testament : ils lurent les consonnes de « Yahwé » avec les voyelles d’Adonaï. La prononciation réelle du tétragramme sacré nous a été conservée grâce aux Samaritains, qui ne partageaient pas les scrupules des Juifs : ils lisaient, nous disent les Pères de l’Eglise, Ἰαβέ, Ἰαβαί, Ἰαή, c’est-à-dire Yahvé. C’est la transcription que nous avons adoptée comme le font depuis longtemps la plupart des ouvrages de science et même certains manuels scolaires.
On y retrouve donc toutes les inepties qui ont perduré jusqu’à ce jour, mais qui commencent à s’étioler sérieusement (voir par ex. ici, ici ou ici).
Je termine par les deux premières pages de la Genèse, pour vous donner une idée plus précise.
Y accéder : https://archive.org/details/LaBibleDuCentenaire