La Bibliothèque de la Pléiade s’est enrichie en fin d’année dernière d’un nouveau volume réjouissant, les Premiers écrits chrétiens, ample volume de 1648p édité sous la direction de Bernard Pouderon, Jean-Marie Salamito et Vincent Zarini, avec un prix de lancement de 58€ jusque fin mai 2017, puis un prix catalogue de 66€. Je dois dire que je devais tant être plongé dans ma web app que je suis passé à côté de la nouvelle… Et pourtant quelle nouvelle : le volume, commandé le 19 et reçu le 21 (merci Amazon), est prometteur : une introduction conséquente, comme dans tous les volumes de cette collection (pp.xv-lii), un aperçu chronologique détaillant les faits historiques et littéraires pour la période de 31 av. J.-C. à 213 ap. J.-C. (pp.lii-lvii), des notices et notes conséquentes (pp.1157-1475), une bibliographie générale classée par thèmes (l’Empire romain, l’histoire du christianisme, la littérature chrétienne, les doctrines et spiritualités chrétiennes, christianisme et judaïsme, organisation communautaire et liturgie, les chrétiens et la Bible, christianisme, culture et philosophie) qui se révélera certainement des plus utiles (pp.1479-1484), et qui ne fait réellement que compléter les abondantes références bibliographiques présentes dans les notices et notes précédentes, et enfin un ensemble d’indexes : index des noms (pp.1489-1515), index des textes anciens (pp.1519-1533), un index thématique (pp.1537-1559) et la table détaillant le contenu des textes traduits (pp.1563-1579) ; on reconnait bien là ce qui fait l’excellence de cette collection : des textes traduits par d’éminents spécialistes, une présentation sobre et élégante, des notices détaillées présentant chaque oeuvre et chaque auteur, une abondance de notes utiles à la compréhension du texte et du contexte, le tout dans une qualité éditoriale impeccable. Le prix peut paraître élevé au premier abord, mais il est très largement justifié (et même dérisoire quand on pense à des éditeurs étrangers comme Brill, De Gruyter, Peeters…).
Quand on sait la vaste étendue de la première littérature chrétienne, surtout si l’on a tenté d’en prendre connaissance par les volumes des Sources Chrétiennes, on sait aussi que ce type d’anthologie, à moins d’un miracle, est nécessairement sélectif : que trouve-t-on donc dans ce volume ?
Les écrits présentés dans ce volume permettront au lecteur de se forger une idée de ce que furent les premières générations chrétiennes. Ils ont été composés entre les années 90 et les alentours de 200. Cela commence avec des hommes qui ont connu les apôtres et qui, après la disparition de ces derniers (disons vers l’an 70), veillent à leur tour sur des communautés de croyants. Cela finit avec des hommes qui ont fréquenté des disciples directs des apôtres; Clément de Rome fut proche de Pierre. Irénée de Lyon se réclamait de Polycarpe de Smyrne, qui lui-même avait connu Jean. (p.xv)
Bien entendu, on souhaiterait les œuvres complètes de Justin martyr, Clément de Rome et Clément d’Alexandrie, Irénée de Lyon, Tertullien ou pourquoi pas Origène… car il faut bien admettre que lire ces auteurs dans leur intégralité en français relève du défi. Mais ce n’est pas ce que propose ce volume : à la place, il invite à découvrir, par thèmes, ce que furent ces premiers écrits chrétiens : des textes sur la vie des communautés, des actes et passions de martyrs, des littératures apologétiques en grec ou en latin, des débats et controverses théologiques ou encore de la poésie.
Que l’on se rassure : ces grilles de lecture, imposées par des raisons pratiques – il faudrait certainement bien des volumes, et des années, pour réunir tous les écrits patristiques des trois ou quatre premiers siècles – permettent, en effet, d’avoir « une idée », une belle idée des commencements chrétiens : professions de foi, formules baptismales, fragment de Muratori, Clément de Rome, Didachè, Hermas, Ignace, Polygarpe, Méliton, Aristide, Justin (Apologie, Dialogue avec Tryphon, Sur la résurrection), Tatien, Athénagore (Supplique, Sur la résurrection des morts), Théophile d’Antioche, l’épître de Barnabé, celle à Diognète, Tertullien (Apologétique), Minucius Félix (Octavius), Ptolémée (Lettre à Flora), Théodote, Hégésippe, Irénée (Contre les hérésies – livre III, Démonstration de la prédication apostolique), Clément d’Alexandrie (Cantique de l’esprit d’enfance), Commodien, Pseudo-Hippolyte, des épitaphes, des hymnes, des fragments, sont autant de textes et d’auteurs qu’on pourra découvrir à loisir dans ce volume…
Ce volume ne se contente pas de rassembler tous ces textes : il propose aussi une rubrique originale sur les Témoignages juifs et païens sur Jésus et sur le premier christianisme (pp.3-26), où l’on trouvera de très utiles extraits : ceux biens connus de Josèphe sur Jacques, Jean le baptiste et Jésus, mais aussi ceux de Suétone, Pline le Jeune, Trajan, Epictète, Marc Aurèle, Galien, Aélius Aristide, Celse (court extrait p.17), et jusqu’à même les caricatures et satires d’Apulée, de Lucien de Samosate ou de Celse encore (p.20). Du côté des témoignages juifs, on appréciera la petite anthologie des témoignages sur Jésus tirés de la tradition rabbinique, avec des extraits de la birkat ha-minim (p.22), de la Mishna, de la Tosefta, et des deux Talmuds. En particulier deux fameux passages (p.24):
Les gilyonim et les livres des minim ne souillent pas les mains. Les livres de Ben Sira et tous les livres qui ont été écrits depuis lors ne souillent pas les mains. T. Yadaïm, 2, 13 (manuscrit de Vienne, f° 321 a)
Et un peu plus loin (p.25):
Les gilyonim et les rouleaux des minim : on ne les sauve pas de l’incendie mais ils brûlent sur place, eux et leurs « mentions ». Rabbi Yossi le Galiléen dit : « En semaine, on découpe les mentions et on les met à l’abri, et on brûle le reste ».
Les notes pp.1172 sq. apportent des précisions à la fois utiles et variées, tant sur les textes et leur datation que sur leur contenu, voire leur interprétation, par exemple (p.1176) :
Le passage qui suit, T. Shabbat, 13, 5, complète le précédent et nous fournit une précision importante : gilyonim et livres des minim contiennent des mention du Nom divin (le tétragramme : YHWH, pour Yahvé). Quoique tout travail soit interdit le jour du shabbat – y compris éteindre un incendie -, on peut néanmoins, ce jour-là, transporter les livres saints pour les sauver de la destruction. Les personnages qui interviennent dans cet échange sont bien connus : Yossi le Galiléen, Tarphon et Ismaël sont des rabbins palestiniens de la première moitié du IIe siècle. Contrairement à leur collègue, les deux derniers estiment qu’il faut abandonner aux flammes gilyonim et livres des minim malgré les mentions du Nom divin qu’ils contiennent. Ce passage est repris dans les deux Talmuds. Dans la version babylonienne, à la faveur d’un double calembour, le substantif gillayon est, cette fois, très clairement associé à l’Évangile (euanggelion). On y lit en effet : « Rabbi Meïr l’appelait ‘aven gillayon‘ [marge fallacieuse, fausse révélation]. Rabbi Yohanan l’appelait ‘avon gillayon‘ [marge d’iniquité, révélation d’iniquité]. Mais il s’agit d’un document très tardif.
On constate ainsi qu’en plus d’outiller le lecteur avec une ample sélection de textes des premiers écrits chrétiens, ce volume tente aussi de les mettre en perspective : témoignages extérieurs sur Jésus, vie des communautés, controverses… On n’en pouvait attendre mieux.
Cette première étape franchie : à quand un volume 2, avec d’autres textes d’époque ? Et pourquoi pas – et là je me permets de rêver éveillé – à quand les Talmuds dans la Pléiade ?
Pour rappel, la Pléiade propose un certain nombre de volumes utiles aux études bibliques :
La Bible
Les écrits intertestamentaires
Les écrits gnostiques (Nag Hammadi)
Les écrits apocryphes chrétiens
Les premiers écrits chrétiens
En savoir plus sur ce volume : |