Jean 4.24 dans le P66
πνεῦμα ὁ θεός,
καὶ τοὺς προσκυνοῦντας
ἐν πνεύματι καὶ ἀληθείᾳ
προσκυνεῖν δεῖ.
Dieu est esprit,
et ceux qui le révèrent
doivent le révérer
en esprit et vérité
Les familiers du quatrième évangile reconnaîtront volontiers dans ce verset un concentré de subtilités théologiques et de difficultés linguistiques, situation intrinsèque au génie johannique et qui en fait le charme. Au vrai les difficultés surgissent surtout de la propension à importer des biais théologiques au sein des Écritures que du texte lui-même.
Jean 4.24 dans 24 traductions françaises
La situation s’observe aisément : dans notre échantillon de versions plus ou moins anciennes, 9 traduisent le segment πνεῦμα ὁ θεός par « Dieu est Esprit ».
Que penser de la majuscule à Esprit ?
Il faut déjà rappeler l’usage de la majuscule en français, car son recours a bien évidemment un sens. Or le grec n’étant qu’une succession de majuscules généralement rendues en français par une succession de minuscules, la décision d’en conserver une est nécessairement un choix de traduction.
Comparez ces deux énoncés : Un français élégant. // Un Français élégant.
Dans le premier cas vous comprenez qu’on dit d’un texte écrit en langue française qu’il a de bonnes qualités littéraires. Dans le second cas, qu’un ressortissant de la France a fière allure. Vous conviendrez que le message n’est pas le même (cf. Grevisse/Goose 1993, §86 p.87).
En français la majuscule est essentiellement obligatoire en début de phrase, ou après un point. Elle permet de désigner un nom propre, des noms de lieux, des points cardinaux… Par allégorie, les choses et les idées peuvent également prendre une majuscule (cf. Grevisse/Goose 1993, §96-100). Il y a de fait un grand nombre d’usages. Ainsi distingue-t-on aisément l’église, l’édifice du culte, de l’Église, l’institution religieuse ; ou l’état, une situation particulière, à l’État, un pays particulier ; et ainsi de suite : l’histoire, de l’Histoire ; le ciel, du Ciel… Un grand nombre d’autres cas intéressent les marques de déférence qui sont légion dans la langue de Molière (ibid., §98c) : on n’a donc pas de peine à comprendre la différence entre l’excellence et Son Excellence.
En Jean 4.24, πνεῦμα est en début de verset, après un point. Selon les règles d’édition française, sa première lettre devrait donc être majuscule. Mais dans les éditions courantes, ce n’est pas le cas (seules deux versions byzantines mettent la majuscule).
Jean 4.24 dans les éditions grecques et latines
Remarquez que dans l’énoncé « sa première lettre devrait donc être majuscule », le sens est inchangé si l’on dit « sa première lettre devrait donc être une majuscule« . Cela tient au fait que le prédicat est un adjectif qui dénote la nature de la première lettre, et que l’article indéfini, en français du moins, permet également de catégoriser une classe, et donc la nature d’une chose (cf. Zerwick §172).
Quelles que soient les raisons qui motivent les éditeurs du texte grec à conserver ici le terme πνεῦμα en minuscule, mais là à incorporer une majuscule (ex. v.25. ΝΑ27 Οἶδα pour le discours direct), le fait est que ce terme est mis en exergue dans le texte grec. C’est la figure de rhétorique nommée hyperbaton.
Cependant il est difficile de restituer cette tournure… en un français élégant. Ce que tentent peut-être les 9 versions évoquées plus haut, c’est transmettre ce procédé d’une langue à l’autre. Pour cela, la majuscule est la seule indiquée :
Occasionnellement, la majuscule sert à marquer, souvent avec ironie, l’importance attribuée à certaines choses, comme si leur nom était prononcé avec emphase ; cela peut aller jusqu’à la personnification. Grevisse/Goose 1993, §98 p.116
Certes, l’ironie n’est pas absente de l’évangile de Jean, c’en est même un trait distinctif. Elle l’est moins encore de cet épisode de Jésus avec la Samaritaine (cf. particulièrement, Paul D. Duke, Irony in the Fourth Gospel, John Knox Press, 1985, pp.101-103). Mais il s’agit moins d’ironie ici que d’une sorte de jeu de mots.
19 λέγει αὐτῷ ἡ γυνή ; κύριε, θεωρῶ ὅτι προφήτης εἶ σύ. 20 οἱ πατέρες ἡμῶν ἐν τῷ ὂρει τούτῳ προσεκύνησαν ; καὶ ὑμεῖς λέγετε ὅτι ἐν Ἱεροσολύμοις ἐστὶν ὁ τόπος ὅπου προσκυνεῖν δεῖ. 21 λέγει αὐτῇ ὁ Ἰησοῦς ; πίστευέ μοι, γύναι, ὅτι ἔρχεται ὥρα ὅτε οὔτε ἐν τῷ ὂρει τούτῳ οὔτε ἐν Ἱεροσολύμοις προσκυνήσετε τῷ πατρί. 22 ὑμεῖς προσκυνεῖτε ὃ οὐκ οἴδατε ; ἡμεῖς προσκυνοῦμεν ὃ οἴδαμεν, ὅτι ἡ σωτηριά ἐκ τῶν Ἰουδαίων ἐστίν. 23 ἀλλὰ ἔρχεται ὥρα καὶ νῦν ἐστιν, ὅτε οἱ ἀληθινοὶ προσκυνηταὶ προσκυνήσουσιν τῷ πατρὶ ἐν πνεύματι καὶ ἀληθείᾳ ; καὶ γὰρ ὁ πατὴρ τοιούτους ζητεῖ τοὺς προσκυνοῦντας αὐτόν. 24 πνεῦμα ὁ θεός, καὶ τοὺς προσκυνοῦντας αὐτὸν ἐν πνεύματι καὶ ἀληθείᾳ δεῖ προσκυνεῖν.
Comme à son habitude, Jean livre une concentration de reprises sémantiques ou syntaxiques qui donnent le tournis : λέγει αὐτῷ / λέγει αὐτῇ ; ἐν τῷ ὂρει τούτῳ / ἐν τῷ ὂρει τούτῳ ; ἔρχεται ὥρα / ἔρχεται ὥρα καὶ νῦν ἐστιν ; προσκυνέω et ses multiples constructions (avec ou sans complément) ; l’assonance ὅτε οὔτε… οὔτε ; les différentes désignations de Dieu : τῷ πατρί (x2), ὁ πατὴρ, ὁ θεός. Tandis que le propos de la Samaritaine porte sur le lieu du culte (ὁ τόπος) celui de Jésus porte sur la nature du culte par ses véritables adorateurs (ἀληθινοὶ προσκυνηταὶ) : ἐν πνεύματι καὶ ἀληθείᾳ.
Pour dépasser les préoccupations terre-à-terre de son interlocutrice, Jésus use d’une formule assez étonnante : il faut révérer Dieu en esprit et en vérité. C’est uniquement à travers cette expression, répétée une deuxième fois, qu’il faut comprendre le πνεῦμα ὁ θεός qui suit. Ce πνεῦμα ὁ θεός est une explication. Dieu n’habite pas dans des temples faits par la main de l’homme (Actes 17.24). Au contraire, le Temple de Dieu se trouve là où réside son esprit, à savoir au sein des fidèles (1 Corinthiens 3.16 ; voir aussi 6.19) : Οὐκ οἴδατε ὅτι ναὸς θεοῦ ἐστε καὶ τὸ πνεῦμα τοῦ θεοῦ οἰκεῖ ἐν ὑμῖν;
L’association de cet esprit de Dieu qui réside au sein du fidèle avec la vérité est une conséquence logique, comme on peut s’en persuader par la définition de « l’esprit » que Jean donne lui-même en une autre occasion (1 Jean 5.6) : οὗτός ἐστιν ὁ ἐλθὼν διʹ ὕδατος καὶ αἳματος, Ἰησοῦς Χριστός, οὐκ ἐν τῷ ὕδατι μόνον ἀλλʹ ἐν τῷ ὕδατι καὶ ἐν τῷ αἳματι· καὶ τὸ πνεῦμά ἐστιν τὸ μαρτυροῦν, ὅτι τὸ πνεῦμά ἐστιν ἡ ἀλήθεια. L’esprit de Dieu témoigne pour la vérité, il est cette vérité. Si cet esprit réside au sein du fidèle, ce fidèle possède la vérité en propre, une vérité qui le libère (Jean 8.32). Cette association esprit et vérité se retrouve sur une forme légèrement différente sous la plume johannique : l’esprit de vérité (τὸ πνεῦμα τῆς ἀληθειάς), Jean 14.17, 15.26, 16.13, 1 Jean 4.6. Bien que certains hésitent à faire le rapprochement, Jean y invite explicitement : c’est l’esprit qui rend témoignage (τὸ πνεῦμά ἐστιν τὸ μαρτυροῦν, 1 Jean 5.6), ainsi donc ce dont il témoigne ne peut être que vérité (τὸ πνεῦμά ἐστιν ἡ ἀλήθεια). Adorer Dieu en esprit et en vérité, c’est donc recevoir l’esprit qui rend témoignage (au Fils), et recevoir la vérité (ainsi Jésus qui déclare, Jean 14.6 : · ἐγώ εἰμι ἡ ὁδὸς καὶ ἡ ἀλήθεια καὶ ἡ ζωή).
Il n’est donc point question d’un lieu pour adorer Dieu. Le lieu, c’est le fidèle. Et l’heure, c’est maintenant. Pour l’adorer en vérité ou véritablement, il faut l’adorer comme ce qu’il est, en laissant place à l’esprit, parce que la nature de Dieu, c’est d’être esprit/Esprit : « Dieu est un être Spirituel » (Parole de Vie).
Il y a indéniablement jeu de mots ici, puisque le sens des mots glisse. De la manière correcte d’adorer Dieu, on glisse vers la vérité en tant que telle. Et pour comprendre que désormais le baptême n’est plus d’eau seule, mais d’eau de vie, autrement Dieu qu’il faut recevoir l’esprit de Dieu, on nous rappelle que Dieu est esprit.
In 4:24, the anarthrous πνεῦμά should be compared to the anarthrous ἐν πνεύματι καὶ ἀληθείᾳ. Since God’s essential nature is spirit, it follows that the true worship of God must be in spirit and truth. (Dixon 1975 : 51)
Cette idée sur la nature de Dieu n’était pas nouvelle, bien qu’on n’en trouve pas de mention explicite dans l’Ancien Testament. Un texte souvent allégué est 1 Rois 8.27. Mais P.A. Nordell en fournit un autre assez éloquent (1889 : 342) :
The most general or indefinite term for a spiritual being is rû(a) h. The spirit, like the wind, was an invisible, immaterial agent whose presence was perceived only by its effects. Unquestionably the Hebrew mind conceived of God as a spirit, although the Old Testament contains no explicit declaration to that effect, as does the New, John 4:24. Nor is there an instance in the Old Testament where a holy angel is called a rû(a) h. The passage in Ps. 104:4, » who maketh his angels spirits, » (…).
En Psaume 104.4 en effet, on lit : עֹשֶׂה מַלְאָכָיו רוּחוֹת מְשָׁרְתָיו אֵשׁ לֹהֵֽט, faisant de ses anges des esprits, de ses serviteurs des flammes de feu. On pourrait peut-être traduire, comme certains, par « vents » ; mais une indication sur la nature des anges, formulée en passant, n’est pas à exclure.
Et la majuscule ?
Sans doute Jean aurait-il eu un joli trait d’esprit à cette question… Pour y répondre, je vais me contenter pour ma modeste part de rappeler quelques faits linguistiques de base. Dans le segment πνεῦμα ὁ θεός, le verbe ἐστιν est sous-entendu (cf. les versions latines qui suppléent « est » sauf le Codex Bezae) ; πνεῦμα n’est donc pas le sujet, mais l’attribut, et ὁ θεός le sujet. Nous avons donc là ce qui ressemble fort à la fameuse construction de Colwell (« A definite rule for the use of the article in the Greek New Testament » JBL 52, 1953 : 12-21) selon laquelle (p.13):
a definite predicate nominative has the article when it follows the verb ; it does not have the article when it preceds the verb
Autrement dit : un attribut défini qui précède le verbe est habituellement sans article. Ce qui signifierait que πνεῦμα est défini. Et dans ce cas, Jean viserait une sorte de personnification justifiant la présence d’une majuscule en français. Ou alors, pire encore, ce caractère défini serait une conception trinitaire avant la lettre, pointant vers la troisième personne de la Trinité, le Saint-Esprit, justifiant là-aussi le recours à la majuscule. Pour ce faire, c’est en fait sur l’inverse de la règle qu’il faut se fonder. J’ai signalé ailleurs que cet inverse n’est pas valable. Malheureusement, c’est toujours cet inverse qui en filigrane se devine chez certains commentateurs, pour lesquels :
un attribut sans article qui précède le verbe est habituellement défini.
En l’occurrence, et bien que Jean 4.24 présente une syntaxe quasiment conforme à la règle de Colwell, il est impératif de ne pas se laisser piéger par cette « règle » et son inverse, et voir dans πνεῦμα un PN (prédicat nominatif) qui serait… défini. Ainsi l’explique D. B. Wallace (Greek Grammar beyond the Basics : An Exegetical Syntax of the New Testament, 1996, pp.26-270 ; je souligne) :
Appendix to Colwell’s “Construction”: When the Verb is Absent
When there is no verb, a PN, of course, cannot properly be called pre-verbal. However, there is one construction in which an a-copulative (that is, no verb) PN will have the same semantic value as the pre-verbal PN, viz., when the PN precedes the subject. Thus, although there are several passages in which the copula is lacking, the force of such texts can be determined by the word order of the PN and the subject.32
When the anarthrous PN stands before the subject, it will either be qualitative or definite. This is due to the fact that (1) had the verb been present, it more than likely would have come after the PN, and (2) by placing the PN before the subject, an author is making the PN emphatic and if emphatic, then either qualitative or definite (since it is not normal to conceive of an indefinite PN being emphasized, though not entirely impossible).
In John 4:24 Jesus says to the woman at the well, πνεῦμα ὁ θεός. The anarthrous PN comes before the subject and there is no verb. Here, πνεῦμα is qualitative-stressing the nature or essence of God (the KJV incorrectly renders this, “God is a spirit”).
In Phil 2:11 Paul proclaims that κύριος Ἰησοῦς Χριστός (“Jesus Christ is Lord”). Here, as in John 4:24, there is no copula and the anarthrous PN comes before the subject. The PN in this instance is apparently definite; Jesus Christ is the Lord. Cf. also Phil 1:8 (with Rom 1:9).
In summary, when an anarthrous PN precedes a verbless subject, it will either be qualitative or definite just as would a pre-verbal anarthrous PN.
Bien que l’analyse de Philipiens 2.11 laisse à désirer, Wallace indique qu’en Jean 4.24 la tournure dénote la qualité de Dieu plutôt qu’une définition quelconque. Ce point a été démontré dans deux études significatives, celles de P. Harner (“Qualitative Anarthrous Predicate Nouns : Mark 15:39 and John 1:1,” JBL, vol. 92, 1973, pp. 75-87) d’abord, qui a remarqué que 80% des exemples avancés par Colwell n’étaient pas définis, mais qualitatifs (p.85) :
un nom attribut employé sans article et précédant le verbe a essentiellement une valeur adjective
L’étude de Colwell est donc biaisée par une lacune rédhibitoire. Comme j’ai souligné lors de l’examen d’une critique formulée à mon encontre au sujet de Jean 1.1c, le principe méthodologique de Colwell est erroné : « »il n’a pas cherché à prouver le caractère défini des prédicats nominatifs sans article précédant le verbe être, il l’a décrété ! » Puis une seconde étude, celle de Dixon, The Significance of the Anarthrous Predicate Nominative in John (Th.M. thesis Dallas Theological Seminary, 1975), a confirmé cette analyse (cf. citation supra).
Il n’est donc pas possible en Jean 4.24 de recourir à la grammaire pour supposer que πνεῦμα ὁ θεός signifie autre chose que : la nature de Dieu est spirituelle. Personnifier la nature divine en recourant à une majuscule, Dieu est Esprit, est étrange. C’est comme si l’on disait de M. Dupond : Il est Humain. C’est étrange mais c’est possible. L’emphase dénotée par l’hyperbaton est peut-être à l’origine de ce choix. On peut accorder le bénéfice du doute et considérer que les 9 traductions citées plus haut n’entendent pas personnifier réellement l’esprit de Dieu, du moins l’esprit tel qu’il est mentionné dans ce verset. Mais même alors, c’est contre-indiqué, car c’est introduire de la confusion dans le texte. Esprit, Saint-Esprit. Le lecteur moderne peut s’y méprendre, et verra moins dans Dieu est Esprit une tournure de style qu’une référence trinitaire. Et c’est là où le bas blesse.
De la sorte, même si je considère que Dieu est Esprit n’est pas une traduction foncièrement erronnée, je ne puis la recommander parce qu’elle introduit, volontairement ou non, des notions étrangères à notre texte. On peut d’ailleurs le prouver. Parmi les neuf traductions ayant recours à la majuscule (Bible en Français Courant, Lausanne, Louis Segond, Nouvelle Bible Segond, Nouvelle Edition de Genève, Pirot-Clamer, Segond 21, Synodale, Traduction du Monde Nouveau), aucune ne s’aventure à traduire ὁ θεὸς ἀγάπη ἐστίν (1 Jean 4.8) par Dieu est Amour. Et pourtant la syntaxe est identique (la présence de la copule est explicite dans un cas, tacite dans l’autre). Toutes rendent par Dieu est amour. De même, personne ou presque n’a idée de dire que Dieu est Lumière en 1 Jean 1.5, mais l’on préfère dire : Dieu est lumière (la Bible de Jérusalem semble faire exception ; mais « curieusement » elle porte Dieu est esprit en Jean 4.24). C’est que l’absence de l’article dénote résolument la nature d’une personne ou d’une chose.
Un passage sous la plume de Paul, et dans un contexte bien différent, apportera un dernier argument (2 Corinthiens 3.17) :
17 ὁ δὲ κύριος τὸ πνεῦμά ἐστιν ; οὗ δὲ τὸ πνεῦμα κυρίου, ἐλευθεριά. 18 ἡμεῖς δὲ πάντες ἀνακεκαλυμμένῳ προσώπῳ τὴν δόξαν κυρίου κατοπτριζόμενοι τὴν αὐτὴν εἰκόνα μεταμορφούμεθα ἀπὸ δόξης εἰς δόξαν καθάπερ ἀπὸ κυρίου πνεύματος.
La NBS rend ainsi :
17 Or le Seigneur, c’est l’Esprit; et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. 18 Nous tous qui, le visage dévoilé, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, de gloire en gloire; telle est l’oeuvre du Seigneur, qui est l’Esprit.
Pour rappel, c’est Paul même qui interroge en 1 Corinthiens 3.16 : « ne savez-vous pas que vous êtes les temple de Dieu et que l’esprit de Dieu habite en vous ? ». De ce fait, il est difficile de lui prêter une conception personnifiée de l’esprit divin. Dans sa seconde épître aux Corinthiens cependant, il formule l’exégèse que nous venons de citer. Comment comprendre ?
Ici la syntaxe du segment ὁ δὲ κύριος τὸ πνεῦμά ἐστιν permet effectivement de traduire ainsi : le Seigneur est l’Esprit, ou : le Seigneur, c’est l’Esprit. Mais il faut s’inquiéter du contexte. Or dans le contexte, Paul demande s’il est besoin de recommandation (v.1), ou si plutôt c’est l’esprit qui agit en lui et dans les disciples qu’il a convertis (v.3). Il les appelle « la lettre du Christ » écrite avec « l’esprit du Dieu vivant » (vv.2,3). La capacité qui est sienne vient, non de lui, mais de l’esprit de Dieu (v.5). Et c’est là où Paul a ces mots célèbres : la lettre tue, mais l’esprit vivifie (v.6). Il est donc certain que le ministère de la mort inscrit sur des pierres (la loi mosaïque) fait pâle figure en comparaison du ministère de l’esprit (v.8), à savoir la liberté des chrétiens oints de l’esprit.
Avec ce contexte à l’esprit, la tournure un peu surprenante ὁ δὲ κύριος τὸ πνεῦμά ἐστιν s’éclaire et rappelle l’exégèse bien particulière de Paul, proche des rabbins mais la surpassant : ne comprenez-vous pas que nous sommes désormais ministres d’une lettre qui donne vie, et que, pénétrés de l’esprit de Dieu, Dieu qui est esprit, nous portons au monde la liberté ?
De fait Paul affirme que la lettre ne peut se comprendre que par l’esprit qui vient de Dieu, car Dieu est esprit. Comprendre l’esprit de la lettre, c’est donc bénéficier de l’esprit de Dieu, et comprendre sa pensée.
Pirot-Clamer qui rendait Jean 4.24 par Dieu est Esprit a donc raison de rendre ce cas ainsi :
17 Or le Seigneur est l’esprit même, et là où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté. 18 Quant à nous, qui le visage sans voile reflétons tous comme un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en son image, de gloire en gloire, selon l’action du Seigneur qui est esprit.
L’esprit avant la lettre…