08/03/2014

Hillel, un sage au temps de Jésus (Hadas-Lebel, 1999)

080314

Il me tardait de lire ce petit ouvrage de Mireille Hadas-Lebel (182 p.). De cette historienne j’ai déjà lu les grands classiques : Jérusalem contre Rome (1990, poche 2012), Flavius Josèphe (1989), Le peuple hébreu (1997), L’hébreu : 3000 d’histoire (1992), Parlons hébreu (1998 ; hébreu moderne) et le plus technique Histoire de la langue hébraïque – des origines à l’époque de la Mishna (1995). Si vous avez des questions sur ces ouvrages, n’hésitez pas.

J’ai prévu de lire son Philon d’Alexandrie (2003, qui promet d’être extrêmement intéressant s’il est du même acabit que celui sur Josèphe), mais j’ai d’ores et déjà commencé son récent Une histoire du Messie (2014).

L’ouvrage ici présenté, Hillel – Un sage au temps de Jésus (1999, poche 2005) comprend 6 chapitres :

1. Hillel le Babylonien (pp.9-28)

2. Être pharisien au temps d’Hérode (pp.29-49)

3. L’enseignement de Hillel (pp.55-75)

4. Hillel et Jésus (pp.83-105)

5. La postérité de Hillel (pp.107-128)

6. Beth Hillel et Beth Shammaï (pp.135-148)

et un épilogue : Hillel et le rêve d’une religion universelle (pp.151-160).

De ce Hillel haZaqen (ou Hillel haBavli) en sait en fait très peu de choses : d’origine babylonienne, ce sage qui vécut au premier siècle, sous Hérode et Auguste, était un pharisien parlant l’araméen qui reçut le titre très honorifique de l’Ancien, et dont l’enseignement est à peu près totalement perdu, la Mishna n’en conservant que quelques bribes çà et là, entre légende et relecture faite par la postérité.

Ce qu’on pense tenir de son enseignement vaut toutefois le détour. Il prônait un judaïsme littéral, mais sympathique au sens étymologique (cf. p.72) :

Ne juge pas ton prochain avant de te trouver à sa place (Abot II, 5)

On le consultait en matière éthique, religieuse ou juridique, et ces avis ont laissé le souvenir d’une certaine mansuétude, qui allait jusqu’à ré-interpréter la Torah pour la rendre applicable sans injustice (cf. pp.69-72).

Il ne considérait pas, semble-t-il, le bas peuple inculte comme « maudit », mais encourageait son éducation :

Ne te sépare pas du peuple. (Abot I, 5)

Par-là, il faut sans doute comprendre qu’il s’opposait à la caste aristocratique des Sadducéens, encourageant donc les instruits à tirer tout le monde vers le haut, c’est-à-dire à la pratique scrupuleuse, mais néanmoins compréhensive (si je puis dire ?), de la Loi.

Il ne vécut pas à une époque facile, et Mirelle Hadas-Lebel brosse un tableau historique qui rappelle la cruauté perverse d’Hérode. On ne s’étonne donc pas d’apprendre qu’Hillel aimait la paix, et fuyait le pouvoir (cf. Abot II, 8 ; I, 12). Étrangement, on ne trouve pas de trace d’une attente messianique forte chez lui, ce qui fait dire à Hadas-Lebel :

D’aucuns sont intrigués de ce qu’en un temps d’intense attente eschatologique, il n’y ait aucune déclaration de Hillel qui fasse référence au Messie. C’est, pensons-nous, que l’idée messianique était à l’époque moins claire qu’on ne le croit généralement. (p.80)

Je suppose qu’elle s’en explique plus précisément dans son dernier ouvrage.

Les éléments qui reviennent souvent au sujet de Hillel sont « humble et pieux » (cf. p.81), et certaines de ces maximes possèdent une force sans appel :

Là où il n’y a pas d’homme efforce-toi d’en être un. (Abot II, 6)

Hormis le fait que ce personnage important permet de comprendre un judaïsme du Ier siècle qu’on pourrait facilement passer sous silence, certains ont vu des parallèles entre Hillel et Jésus. Par exemple, en parallèle avec Matthieu 7.12, Luc 6.31 :

Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît (Shabbat 31a).

Outre les paraboles, qui semblent avoir été un genre assez répandu à l’époque, et dont Hillel faisait largement usage, on peut relever tout un tas de parallèles plus ou moins proches (pp. 104-105):

– Marc 4.22, Luc 8.17 // Abot II, 5

– Matthieu 12.30, Luc 11.23 // Tosefta Berakhot VI, 24 ; Berakhot IX, 5, Berakhot 63a

– Luc 14.11, Matthieu 23.12 // Lévitique Rabba I, 5

– Matthieu 13.12, Marc 4.25, Luc 8.18 // Abot I, 13

– Matthieu 26.52 // Abot II, 7

Hadas-Lebel remarque :

La moisson est au total assez maigre lorsque l’on compare des textes précis. On en retire néanmoins l’impression générale d’une parenté entre deux maîtres si proches chronologiquement (…). (p.105)

Sur les ressemblances et différences, elle poursuit sur d’intéressantes considérations succinctes, mais fortes (pp.105-106).

Le reste de  l’ouvrage vaut sa lecture, mais non son résumé. Il y est surtout question de la postérité de l’école d’Hillel, et du personnage qu’on lui oppose communément, à savoir Shammaï : on en retient à grands traits un Hillel doux et ingénieux, et un Shammaï irascible et impulsif. On remarque que si Hillel (ou son école, la Beth Hillel) adoptait parfois les interprétations de l’école adverse, l’inverse n’est pas vrai. En deux mots, Hillel semble avoir été plus conciliant, plus « humain ». Et son « adversaire », plus légaliste et moins (voire pas) transigeant.

Cet ouvrage est bien écrit, bien documenté, et permet de se faire une idée loin des lieux communs sur le pharisianisme du Ier siècle. Son seul défaut est que les notes soient reléguées en fin d’ouvrage, ce qui est très incommode. C’est ainsi de tous les ouvrages d’Hadas-Lebel, semble-t-il, avec pour objectif évident d’épurer le propos et d’inviter à la lecture continue. Mais quand on souhaite vérifier les références, c’est fastidieux. A part ce détail, Hillel – Un sage au temps de Jésus est un petit volume tout à fait intéressant. Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur les affinités entre les paraboles de Jésus et celles des rabbis, cf. S. Porter, Ancient Texts for New Testament Studies, pp.418-423 (Appendix Four : Jesus’ Parables and the Parables of the Rabbis).