Josué 10.13 : הֲלֹא־הִיא כְתוּבָה עַל־סֵפֶר הַיָּשָׁר
Cela n’est-il pas écrit dans le Livre du Juste ?
2 Samuel 1.18 : כְתוּבָה עַל־סֵפֶר הַיָּשָׁר׃,
… il est écrit dans le Livre du Juste.
La Bible fait mention d’un certain nombre de livres aujourd’hui perdus. Parmi ceux-ci des registres (historiques, juridiques), des chroniques (peut-être même des épopées), des commentaires, des prophéties. Mentionnons par exemple le Livre de Gad le voyant (1 Chroniques 29.29), le Livre de Nathan (2 Chroniques 9.29), le Livre de Schemæja le prophète (2 Chroniques 12.15), le Livre d’Achija (2 Chroniques 9.29), le Commentaire du prophète Iddo (2 Chroniques 13.22), le Livre des guerres de Jéhovah (Nombres 21.14), le Livre des Actes de Salomon (1 Rois 11.41), le Livre des Rois de Juda et d’Israël (1 Chroniques 9.1, 2 Chroniques 16.11, 25.26, 27.7, 28.26, 32.32, 35.27, 36.8 – qui contient les Mémoires de Jéhu, 2 Chroniques 20.34), le Livre du Roi Saül (1 Samuel 10.25), le Livre des Purim (Esther 9.32) ou encore, peut-être, l’Épître aux Laodicéens (Colossiens 4.16).
Ces documents faisaient partie pour la plupart des archives de la nation israélite, et sont perdus. Il n’est pas étonnant que leur mention dans la Bible ait poussé certains anonymes à produire des documents pseudépigraphes, essentiellement pour combler les silences ou imprécisions du récit biblique. Le Sefer haYashar (סֵפֶר הַיָּשָׁר ou Livre du Juste), mentionné dans deux textes bibliques (Josué 10.13 et 2 Samuel 1.18) fait partie de ceux-là.
Il est également perdu, en grande partie. Il en subsiste cependant, sans doute, quelques portions dans un livre composite qui est parvenu jusqu’à nous sous ce titre, et dont on trouve la traduction de l’hébreu original en français dans Migne éd., Dictionnaire des apocryphes, tome II, p. 1070 sq. Il est extrêmement difficile d’en déterminer la date, l’histoire ou même l’auteur. L’ouvrage mélange des sections dans un hébreu pur, certainement d’origine, et un hébreu rabbinique tardif. On croit en dater certaines portions après le XIe s., d’autres vers le XVIe s., mais c’est assez confus (cf. l’introduction de l’ouvrage par P. L. B. Drach). En l’état, il est en fait difficile de distinguer ce qui est primitif de ce qui a été amplifié ou interpolé au fil des siècles. Mais par sa nature même de compilation, et son milieu, l’ouvrage peut nous apporter des éléments utiles à la compréhension du texte biblique.
A quoi servent donc les pseudépigraphes comme le Sefer haYashar ? Comme tout document de l’Antiquité, ils renseignent sur le milieu qui les a produit. Mais comme en l’occurrence le sujet abordé par notre document touche à la Bible, on y vient généralement avec plus de réserves. Or, la critique est facile, et le document est certes critiquable en bien des points. Mais pour ma part je préfère me concentrer sur l’intérêt de ce Livre du Juste.
Son sujet est l’histoire des origines de l’humanité, dans la même perspective que le récit biblique (c’est-à-dire dans la perspective du peuple d’Israël), depuis Adam et Ève jusqu’à la conquête de Canaan (Genèse à Josué). Ce qui est surtout intéressant bien sûr, ce sont les détails supplémentaires, les anecdotes, le folklore. Ces détails sont d’autant plus intéressants que certains sont plausibles et remontent loin dans la tradition juive. Il y a donc çà et là, sans aucun doute, d’authentiques informations « inédites »… Mais comment les repérer ?
Voici quelques exemples où le Sefer haYashar présente d’importantes sections complémentaires : le récit de la Tour de Babel, de Sodome et Gomorrhe, le sacrifice d’Abraham, Moïse devant Pharaon. Par exemple, le Yashar explique pour quelle raison les humains construisirent la Tour, en quoi les Sodomites étaient répréhensibles, quel était le nom de la fille de Pharaon (de même que celui de Pharaon), ou encore ce que pensait Isaac du sacrifice auquel il se soumettait de gré. On peut multiplier les détails à l’infini : certains sont invérifiables, d’autres intrigants (ex. pourquoi Séphora fut renvoyée par Moïse, cf. Exode 18.2). Une majorité de ces amplifications provient sans doute de la propension bien naturelle d’expliquer des événements qui autrement surprennent, et l’imagination ou un désir apologétique peut alors avoir grandement interféré. Mais n’y a-t-il que folklore et affabulation ?
Je ne pense pas. Il serait intéressant de confronter la chronologie du Yashar (ci-après, abrégé Shy) avec celle de la Bible, ce qui permettrait bien vite d’en mesurer le degré de fiabilité de manière assez précise. Mais ce qui m’intéresse ici, c’est un détail en apparence anodin. En Shy 79.27, on lit :
Lorsqu’ils furent sortis du palais, Pharaon fit appeler Balaam le magicien, et ses deux fils Jannès et Membrès, comme aussi tous les autres sorciers et enchanteurs, et les conseillers.
On apprend ainsi que les deux magiciens égyptiens qui s’opposèrent à Moïse s’appelaient Jannès et Membrès. Or, le récit de l’Exode ne donne pas ce détail (cf. Exode 7.11-12). Invérifiable ? Pas tout à fait. On en trouve bien mention dans le Nouveau Testament, en 2 Timothée 3.8a :
ὃν τρόπον δὲ Ἰάννης καὶ Ἰαμβρῆς ἀντέστησαν Μωῠσεῖ
de même que Jannès et Jambrès s’opposèrent à Moïse…
Paul devait connaître les traditions orales (ou écrites ?) juives et fournit ce détail inconnu du récit de l’Exode. On peut donc à bon droit considérer, ici, le passage du Yashar comme authentique. C’est là tout son intérêt : d’avoir compilé de multiples traditions en un tout cohérent.
La dernière version (v. 5.0.0) de Bible Parser intègre le Sefer haYashar dans son intégralité, en français, avec environ 400 notes, une Introduction fournie et une Table des Matières détaillée. Saisissez par exemple Shy 79:27 dans la Barre de Lancement Rapide pour basculer directement dans le passage que nous venons de mentionner, ou utilisez la fonction de Concordance (en saisissant par exemple « Jannès »).
Pour ceux qui souhaiteraient lire le Yashar sans se plonger dans l’édition de Migne, voyez Le Livre du Juste Yaschar (édition du Rocher, 1981, avec une introduction de Robert-Jean Victor – visuel ci-dessus).