Retrancher à l’Écriture ?

Dissimuler ou remplacer le nom propre de Dieu est comme le découper de la Bible… Source

Il est assez facile de contester la thèse que le nom divin a paru dans le Nouveau Testament (que j’ai soutenue dans mon ouvrage de 2007, et que je soutiens encore), bien que certains indices laissent penser à une composition de certains livres en hébreu, avec le tétragramme. On allègue que Jésus est désormais au centre – ce qui est vrai. Que les citations de l’AT concernant Dieu sont souvent reprises pour désigner Jésus –  c’est vrai aussi (et il important d’en saisir les implications). On fait aussi valoir que la transmission du texte biblique a été fidèle, et ne saurait tolérer une corruption comme la disparition du Nom dans le NT (ex. Isaïe 40.8, Matthieu 5.18, 24.35, Jean 12.34, 1 Pierre 1.24-25, etc.). Tout cela est du bon sens, et ne contredit en rien la thèse en question. Ces objections sont traitées dans le chapitre 5 de mon ouvrage (court résumé ici).

Mais il est un fait qu’on oublie, ou qu’on occulte. Le nom divin figure 6828 fois dans l’AT hébreu, mais la plupart des versions modernes le retranchent. On le remplace par des vocables qui n’ont rien d’un nom propre : Seigneur, Éternel ou YHWH. On s’en explique volontiers : tradition, incertitude. Mais en fait, on fait pire, statistiquement parlant, que ceux qui introduisent (ou peut-être, restaurent) le nom divin dans le NT. 6828 contre 237 (dans la TMN, le nom divin est « restauré » 237 fois dans le NT – ce chiffre est certainement excessif ; je tablerais plus sur 80 – 100, cf. Annexe 1 de mon ouvrage, pp.307-315).

C’est pourquoi je trouve assez amusante l’illustration d’un récent article paru dans w13 11/1 p. 4 (« Lies that make God seem unlovable – The Lie That Made God Nameless »), et qui soutient que ne pas employer le nom divin, c’est comme le découper des pages de la Bible. L’image est percutante. Amusante aussi quand on se souvient que les Juifs découpaient les tétragrammes des écrits des minim (les hérétiques, dont les Judéo-Chrétiens), cf. Talmud de Babylone, Shabbat 116a.

On m’a souvent dit que je ne me rendais pas compte d’un fait essentiel : si les manuscrits qui nous sont parvenus ne comportent pas le Nom, c’est qu’il y a un message. Un message clair : Jésus. Cela m’a toujours paru évident, mais ce qui me dérange dans ce raisonnement limpide, c’est qu’on ne peut pas être surpris de l’absence du nom divin dans le NT si l’on n’est pas habitué à le rencontrer dans l’AT. Donc, certes, Jésus est au centre, et la préservation des Écritures a peut-être un message à faire passer (encore que ce point puisse être discuté à la lumière de la critique textuelle, et du concept biblique de chute/restauration). Mais pour saisir ce message dans toute sa clarté, il faut impérativement « restaurer » le nom divin dans l’AT ! Ou plutôt, l’y laisser (cf. Révélation 22.18, Proverbes 30.6, Deutéronome 4.2, 12.32).

Retrancher à l’Écriture ?

Μὴ γένοιτο, À Dieu ne plaise !

10 réactions sur “ Retrancher à l’Écriture ? ”

  1. Shonin Réponse

    Quel plaidoyer ! Un cri du coeur on dirait.

    Je suis tout à fait d’accord avec vous sur cette question et les nouvelles traductions de la Bible, années après années ne vont malheureusement dans le sens inverse.

    Héhé, Μὴ γένοιτο, j’aime aussi cette expression. étudier les langues de la Bible, c’est retrouver un peu l’authenticité, la culture de l’époque.
    Je me demande que donnerait cette expression en hébreu ancien, tiens… est-ce typiquement grec ? Jésus ne l’utilise pas en tout cas :/
    il y a bien le curieux מַה־לִּ֣י וָלָ֔ךְ.
    Un topic sur ces expressions serait exquis quand on y pense.

    Et en parlant de nom divin, et si vous nous parliez justement de sa place dans le Talmud. La référence qui nous intéresse ici, le 116a est pertinente avec… האזכרות ? (je ne me suis pas trompé, hein ? Dés qu’il n’y a plus les niqudoth, je patauge, haha.)

    Ils connaissaient bien le nom pourtant ces gredins 🙂
    http://www.sefaria.org/Shabbat.104b
    tout en bas avec l’idée d’écrire Juda/YeHoWDaH sans Daleth (…לכתוב יהודה וטעה ולא הטיל בו דלת…) ce qui fait… ? oups 🙂

  2. areopage Auteur ArticleRéponse

    Je pense que Μὴ γένοιτο se dit חָלִילָה לִּי en hébreu biblique (cf. 1Sa 2.30 TM/LXX ; cf. aussi Josué 22.29, 24.16).

    Les « mentions [du Nom] » sont bien האזכרות. En fait le Nom divin est sous-entendu. Si le sujet vous intéresse, cf. Dan Jaffé, Le judaïsme et l’avènement du christianisme (Cerf, 2005). Aux pp.238-239 il donne le texte hébreu (sans les voyelles…) avec une traduction française.

    En tout cas merci pour vos suggestions (et surtout n’hésitez pas à en faire) : j’en ai donc trois sur le feu (la nouvelle traduction de la liturgie, mais ce sera pour fin novembre), le nom dans le Talmud, et cette expression idiomatique מַה־לִּ֣י וָלָ֔ךְ qui m’a toujours intrigué…

    • Shonin Réponse

      האזכרות comme dans Exode 3:15 alors ? C’est logique.

      חָלִילָה ? Strongs 2486 ? Pas mal… Très musical je trouve. J’aime bien.

      Merci pour la source.

      Comptez sur moi pour vous donnez des idées d’articles.
      Il en faudrait un sur vos activités, sans être indiscret mais professionnellement, avec de telles connaissances, ça doit être intéressant humainement parlant. Vous enseignez à l’université maintenant ? On en sait peu sur vous.

      À très bientôt, en tout cas.

  3. areopage Auteur ArticleRéponse

    Oui, חָלִילָה = H2486.

    Concernant ma vie professionnelle, ou personnelle, je préfère la discrétion. Il y a des forums où les informations de ce type peuvent être récupérées et données en pâture à des gens peu recommandables.

    Il y a déjà suffisamment de matière, je pense, avec ce que j’écris.

  4. Shonin Réponse

    Je comprends tout à fait. Je n’insiste pas.

    Autre idée d’article(s), ou pourquoi pas de dossier(s) (suis-je audacieux !) sur l’apprentissage de l’hébreu et du grec biblique ?

  5. areopage Auteur ArticleRéponse

    C’est une bonne idée. Ce que j’aimerais faire, c’est surtout un ou plusieurs posts concernant l’apprentissage du grec et de l’hébreu biblique en relation avec un étude (saine) de la Bible. Ni pas assez, ni trop.

    Avec cette idée en tête: « Quand on sait un peu d’hébreu, de grec et de latin, ce n’est pas au-dessus de la tête de Jésus qu’il faut le mettre, mais à ses pieds ».

  6. Shonin Réponse

    Joli.
    Du moment que cette « proskynèse » ne soit pas de l’adoration, hein ? 😀

    Il me tarde de lire tout ça. Et de donner mon avis d’amateur.

  7. CK Réponse

    « la préservation des Écritures a peut-être un message à faire passer (encore que ce point puisse être discuté à la lumière de la critique textuelle, et du concept biblique de chute/restauration). »

    Pourquoi ne pas développer cette question de la préservation dans un prochain article ? Si vous avez de la matière à ce sujet, je suis preneur.

    En tout cas, réflexion pertinente !

    • areopage Auteur ArticleRéponse

      Pourquoi pas. Il s’agit d’une allusion aux pp. 299-304 de mon ouvrage de 2007, outre son chapitre 5 (p. 139 sq.). J’essaierai d’y revenir.

  8. Eddy G. Réponse

    Bonjour Mr Fontaine,
    Concernant l’apprentissage de l’hébreu et du grec biblique, je recommande aux personnes qui souhaitent se plonger dans l’Ecriture, d’utiliser les strongs, afin d’avoir une définition exacte de chaque mot.

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