On lit en Deutéronome 27.4 :
וְהָיָה בְּעָבְרְכֶם אֶת־הַיַּרְדֵּן תָּקִימוּ אֶת־הָאֲבָנִים הָאֵלֶּה אֲשֶׁר אָנֹכִי מְצַוֶּה אֶתְכֶם הַיֹּום בְּהַר עֵיבָל וְשַׂדְתָּ אֹותָם בַּשִּׂיד׃
Après le passage du Jourdain, vous ferez donc l’érection de ces pierres, que je vous ordonne aujourd’hui, sur le mont Ébal et vous les enduirez de chaux. (Perret-Gentil)
Dans Bible Parser, si vous êtes dans le module PS, un détail vous saute un peu aux yeux…
Il y a deux variantes : l’une portant sur une lecture pleine ou défective (אותם/אתם), mineure, et une autre, importante : Garizim au lieu de Ébal. En bas, on voit tout de suite que la Septante semble suivre le Texte Massorétique (Γαιβαλ). Si on consulte l’apparat de Davidson (The Hebrew Text of the Old Testament, 1855) depuis le module PAR, on obtient cette explication qui prévalait auparavant :
Cette opinion est réitérée par Jean Margain dans le Supplément au Dictionnaire de la Bible, vol. XI, col. 768 (mention de cette variante au sein de la rubrique « Modification concernant les croyances »).
Dans la BHS, l’apparat signale :
Cela signifie que l’expression בְּהַר עֵיבָל, « sur le mont Ébal » est rendue différemment dans certains témoins :
– בהר גריזים, « sur le mont Garizim » dans le Pentateuque samaritain, avec une variante בהרגר(י)זים mentionnée dans l’apparat du Pentateuque samaritain selon l’édition de von Gall.
– dans le Samereitikon, version grecque du Pentateuque samaritain, on lit αργαρ(ι)ζιμ (voir mon précédent post à ce sujet ici, et Marcos 2000 : 167-169).
– et dans l’édition de Sabatier (1739) de la Vetus Latina on lit « Garzin ».
Sachez que ces informations précieuses (bon certes en une présentation moins concise et plus difficile à déchiffrer) peuvent se découvrir dans Bible Parser depuis le module LXX-P, qui donne accès au vaste apparat Computer Assisted Tools for Septuagintal Studies: Variants Module (CCAT) :
Il n’y a encore pas si longtemps, on pensait que la variante בהר גריזים était fautive. Par exemple, le Comité en charge du Preliminary and Interim Report on the Hebrew Old Testament Text Project (vol. 1, 1979, p.294), composé d’éminents savants (comme D. Barthélémy, A.R. Hulst, James A. Sanders, etc.), attribuait une notation D (dernière de la liste, la moins probable) à la variante גריזים, c’est-à-dire : « elle présente quelques chances d’être la plus primitive, mais cela demeure très incertain » (p.xxi). Mention est également faite du facteur qui selon le comité peut expliquer la variante, et il s’agit du facteur 7 : « Modifications du texte pour des motifs d’exégèse » (p.xxv). Voir aussi Tov 1992 : 94 (ou ici p.134).
Les savants ont longuement été divisés sur ce point. Il vaut la peine de prendre connaissance de ce qu’indique l’incontournable apparat de la BHQ :
According to M, the stones on which the law is to be written are to be set up on Mount Ebal, whereas in Smr their location is Mount Gerizim. M has the support of all the textual witnesses apart from Smr, one Greek ms. (Papyrus Giessen 19: εν αργαρ[ι]ζιμ), one La ms. (Robert, Codex Lugdunensis, 30), and TSmr. However, a considerable number of scholars accept that the Smr tradition represents an earlier, possibly non-sectarian text, and that the M textual tradition here and at Josh 8:30 reflects a very early scribal emendation, which would have taken place before G’s translation of both books. For example, Tov, challenging the opinion of Glaue/Rahlfs that Papyrus Giessen 19 is a witness to the Samareitikon (Glaue/Rahlfs, “Fragmente,” 31–64), argues that the fragment as a whole witnesses to an early revision of the Septuagint, and that here it “may represent an ancient, not yet sectarian, variant reading (“Pap. Giessen,” 373f.; idem, Textual Criticism, 95, n. 67). Braulik/Lohfink also follow this route, but go further than Tov in that they explicitly refer to this reading as “Urseptuaginta” (“Deuteronomium 1,5,” 49, n. 44). Barthélemy et al. also recommend the reading of Smr as preferable (HOTTP, 1:294). By contrast, on the basis of 4QJosha, Ulrich maintains that Ebal and Gerizim are both secondary sectarian readings for an earlier location in Gilgal (DJD IX, 143–52; idem, “Dead Sea Scrolls,” 89–90). Writing about 850 C.E., Išoʿdad of Merv was aware of the Samaritan tradition: “And why is it commanded: ’Build an alter on Mount Ebal’ if it is on Gerizim that the blessings will be, and the curses on Ebal? There must also have been an altar on Mount Gerizim, the place of the blessings, as is, moreover, written in the codex of the Samaritans” (Commentary, 176, 129). The Smr insertion of this passage among others (11:29a; 27:2b-3a, 4a, 5-7; 11:30) after the Decalogue of both Exod 20:17 and Deut 5:21 also contains the reading “Mount Gerizim.” The Smr manuscript tradition almost uniformly presents the reading as one word בהרגריזים (or בהרגרזים) here at v. 4, as do also the respective editions of Tal and Pérez Castro. The edition of von Gall features it as two words, apparently on the basis of one ms. as against twenty-two which attest the single word. In the case of the insertion of this verse at 11:29, the two words are also written as one, apart from Ms. 6 (C), which carries a word divider (see Tal, Samaritan Pentateuch, 188, and von Gall’s edition, the latter again based on one ms.).
Plus succinctement, ses éditeurs considèrent que Ébal est en fait une « em scr », une émendation scribale (une de ces corrections connues dans la tradition sous le nom de tiqqune sopherim, quoique non répertoriée en tant que telle) et que la lecture « pref », préférable, est bien Garizim.
Cette affirmation peut être confortée par plusieurs indices :
– on a découvert à Qumran (daté de -30) un fragment qui s’accorde avec le texte samaritain (cf. C. Nihan, « Garizim et Ébal dans le Pentateuque », Semitica 54, 2012 : 185-210, cité dans Gertoux, Dating the Biblical Chronology, p. 13 ; je renvoie à cet article pour les motifs qui ont poussé à cette correction, et surtout dans quel contexte). Cela prouve non pas que c’est une leçon originale, mais que ces textes dérivent d’une tradition du texte hébreu différente du texte massorétique. Ce qui rappelle, si besoin, que le texte hébreu « proto-massorétique » a connu une diversité de traditions, avant d’être standardisé et canonisé à partir de 90 -100 AD (Jamnia ou Yabneh). Et bien sûr cela explique qu’il y ait parfois des points de contact entre le texte samaritain et la Septante (ou sa Vorlage supposée, ou encore certains de ses témoins). Dans le fragment, on note une belle écriture carrée – incompatible avec une provenance samaritaine donc ! – avec le segment « Mont Garizim » clairement lisible en ligne 2 :
Voir ici.
– d’après Gertoux (p.13), le texte de Deutéronome 27.4 a pu être modifié pour décourager un culte parallèle (cf. 1 Rois 9.3), ce qui pourrait être appuyé par la curiosité rencontrée en Josué 9.2a LXX (=TM 8.30) où la mention τότε ᾠκοδόμησεν Ἰησοῦς θυσιαστήριον κυρίῳ τῷ θεῷ Ισραηλ ἐν ὂρει Γαιβαλ) semble une surcharge volontaire : en effet, elle n’a pas de contrepartie dans le texte hébreu…
– en fait le mont Garizim était lieu de bénédiction, et Ébal, de malédiction, cf. Deutéronome 11.29, 27.12 ; cp. Juges 9.7 : on ne peut donc que s’étonner fortement que Ébal ait été retenu comme lieu de culte,
– la variante orthographique attestée par la Vetus Latina (Garzin) se rapproche d’un autre témoignage retrouvé à Qumran : (3Q15 12.4 : בהר גריזין),
– Juges 9.37 présente le mont Garizim comme le טַבּוּר הָאָרֶץ (centre du pays, cf. LXX ὀμφαλοῦ τῆς γῆς ; autre traduction : hauteurs du pays) : c’est bien que ce lieu avait une importance centrale dans le culte.
Nous n’avons pas fait le tour du sujet, tant s’en faut. Je remettrai à jour ce post en fonction des réactions et trouvailles ultérieures.