Il ne suffit pas de connaître une langue grammaticalement, ni d’être capable de faire un mot-à-mot correct, pour pénétrer l’esprit de cette langue et s’assimiler la pensée de ceux qui la parlent et l’écrivent. On pourrait même aller plus loin et dire que plus une traduction est scrupuleusement littérale, plus elle risque d’être inexacte en réalité et de dénaturer la pensée, parce qu’il n’y a pas d’équivalence véritable entre les termes de deux langues différentes, surtout quand ces langues sont fort éloignées l’une de l’autre, et éloignées non pas tant encore philologique ment qu’en raison de la diversité des conceptions des peuples qui les emploient ; et c’est ce dernier élément qu’aucune érudition ne permettra jamais de pénétrer. Il faut pour cela autre chose qu’une vaine « critique de textes » s’étendant à perte de vue sur des questions de détail, autre chose que des méthodes de grammairiens et de « littéraires », et même qu’une soi-disant « méthode historique » appliquée à tout indistinctement. Sans doute, les dictionnaires et les compilations ont leur utilité relative, qu’il ne s’agit pas de contester, et l’on ne peut pas dire que tout ce travail soit dépensé en pure perte, surtout si l’on réfléchit que ceux qui le fournissent seraient le plus souvent inaptes à produire autre chose ; mais malheureusement, dès que l’érudition devient une « spécialité », elle tend à être prise pour une fin en elle-même, au lieu de n’être qu’un simple instrument comme elle doit l’être normalement. C’est cet envahissement de l’érudition et de ses méthodes particulières qui constitue un véritable danger, parce qu’il risque d’absorber ceux qui seraient peut-être capables de se livrer à un autre genre de travaux, et parce que l’habitude de ces méthodes rétrécit l’horizon intellectuel de ceux qui s’y soumettent et leur impose une déformation irrémédiable. – L’Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues
Merci à MB de m’en avoir fait part.