15/08/2013

Jean 1.1c : Réponse à M. JB

Jean 1.1 est un verset sensible. Il suscite des passions, des déchirements, peut-être même de la haine – en tout cas, du mépris. Cela me désole profondément.

J’ai pour l’Évangile de Jean une affection particulière, et ce, de longue date. J’en trouve la langue, le style, le message, profondément évocateurs, suggestifs, fascinants. C’est un évangile qui est facile à lire en grec biblique, et cela m’a donné l’idée d’en faire une traduction annotée d’un genre nouveau (du moins pour le public francophone) : plutôt que de proposer une traduction fondamentalement nouvelle, plutôt que de s’essayer au commentaire théologique (ce dont je suis bien incapable), pourquoi ne pas cheminer avec Jean dans l’apprentissage et la révision du grec biblique ? J’ai donc commencé ce projet, et forcément par le plus déplaisant : le magnifique prologue. Déplaisant ? C’est que je suis lassé des querelles. Des querelles telles qu’on peut les découvrir dans les controverses christologiques des IIIe et IVe siècles. Mais aussi des querelles modernes : ce verset parmi d’autres est souvent opposé à ceux qui contestent la « divinité du Christ » (au sens nicéen). Or, ce verset a fait l’objet d’un examen minutieux des linguistes, des théologiens. Dernièrement, un important article est paru en ligne pour faire le point, dont je me suis fait l’écho (et j’y reviendrai). À mon avis – même s’il reste encore beaucoup de pistes à explorer – l’essentiel a été dit. Il est donc déplaisant de traduire le prologue car il pousse à émettre des considérations qui sont pour moi d’affligeantes banalités, et qui me laissent un goût amer tant j’ai lu et continue de lire des inepties à ce sujet. Surtout, je m’aperçois qu’on essaie de me prendre en défaut sur des aberrations. Toujours avec une méthode d’une affligeante banalité : recours à la grammaire, petite dose de mauvaise foi, références non maîtrisées, et bien sûr mépris.

Des aberrations ? Ce serait plus simple, il est vrai, si c’étaient de pures aberrations. Mais c’est un peu plus subtil : comme j’accorde le bénéfice du doute à mes détracteurs, je pense qu’à côté de passages cités un peu vite, il y a surtout une incompréhension qui se fonde sur le fait que, n’étant pas trinitaire, j’ai forcément mal compris ce passage, comme d’autres, son contexte, comme d’autres. Que je fais un recours à la grammaire tendancieux. Que j’élude certains auteurs, ou certains de leurs propos, à mon avantage. Surtout, on essaie de me faire dire ce que je n’ai pas dit : c’est plus facile pour réfuter…

Je n’aime pas la polémique. Car je sais que ceux qui s’y engagent, en plus de n’être pas toujours qualifiés, ne le font pas pour se faire convaincre. Et puis c’est vain. Quand on me pose des questions, je réponds volontiers (1 Pierre 3.15, cf. Philippiens 1.7). Mais je n’aime pas engager la controverse. C’est si loin de l’esprit de l’Évangile de Jean, de la lumière, du Christ !

Cependant, il est plus facile de pardonner à l’ignorance crasse qu’à l’instruction dévoyée.

Dernièrement, par échanges de mails interposés, j’ai reçu une critique de 6 pages sur deux points de mon ébauche de traduction. Quand je dis « échanges de mails interposés », je veux dire par-là que la critique ne m’a pas été adressée personnellement. Là encore, c’est désolant. En fait, j’ai été avisé de cette critique par une tierce personne. Or, la critique m’a fait réfléchir et m’a poussé à reconsidérer certains points : dans la formulation, pour éviter d’être incompris, ou dans la traduction (pour affiner dans le texte l’analyse grammaticale que je retiens). Je n’ai pas encore formalisé ces réflexions dans le document que je mets à disposition ici, pour que le lecteur se fasse sa propre idée. Mais je reste bien sûr à l’écoute de toute critique, honnête et constructive.

La critique vient de M. JB (voir ici). Par respect, je tais son nom. Elle m’agace parce que j’y trouve, d’une personne pourtant qualifiée, des éléments… d’une affligeante banalité : recours à la grammaire, références non maîtrisées, et une certaine forme de mépris.

En deux mots

S’il faut résumer en deux mots, nous avons une approche différente du texte. Tandis que mon interlocuteur a une approche dogmatique qui colle sur le texte une interprétation ultérieure, je me contente de mon côté de l’approche philologique et linguistique. L’approche qui est la mienne n’est pas incompatible avec l’approche dogmatique, qui doit venir dans un second temps. Mais introduire le dogme au moment de l’analyse linguistique, c’est faire violence à l’Écriture. On ne peut mesurer l’Écriture à l’aune du dogme. Il faut impérativement faire l’inverse. Or, tandis que mon approche n’a pas de visée apologétique, mon interlocuteur s’empêtre dans une apologie confessionnelle. Il est forcé d’introduire, trop tôt, des concepts sophistiqués, et de justifier laborieusement les paradoxes qu’occasionnent son approche. En fait, je pense qu’il n’écoute pas le texte sereinement. Précision méthodologique : dans ce qui suit, et pour ne pas prêter flanc à une critique trop facile, je ne définis pas le dogme trinitaire autrement que par les mots de ceux-là mêmes qui le défendent. Jamais je n’introduis une définition, ou une restitution, qui serait mienne.

Recours à la grammaire

1. Analyse grammaticale

M. JB prend la peine d’insérer à sa critique un petit scan de l’ouvrage de D. B. Wallace, The Basics of New Testament Syntax. C’est un résumé de Greek Grammar Beyond the Basics (cité dans mon travail par le sigle conventionnel ESNT). J’ai les deux ouvrages sur mon bureau, en bonne place, et depuis des années. J’ai aussi l’ESNT dans Logos (v.3, et bientôt dans la v.5). Autant dire que je ne peux pas ignorer ce que dit Wallace d’un verset quand j’étudie un verset… Ainsi, le fait de renvoyer à ce résumé me paraît cocasse : non seulement, ça ne sert à rien parce qu’en lisant mon travail, on voit bien que je connais le fond du problème, mais en plus le fait que ce soit un résumé pose un problème majeur : M. JB passe à côté de l’analyse de Wallace ! Car JB affirme (p.3) que « Wallace soutient que la juste compréhension et traduction de Jean 1.1 est bien ‘le Logos était Dieu' ». Mais ce n’est pas tout à fait exact. Selon Wallace, il faut retenir le caractère qualitatif de θέος pour une traduction du type « Ce que Dieu était, le Logos était » (ou : l’était aussi) ou « le Logos était divin » (ESNT : 269). Ça, c’est son côté grammairien. Compte-tenu cependant que cela le dérange, il ajoute en note 31 (ibid.) :

Although I believe that θέος in 1.1c is qualitative, I think the simplest and most straightforward translation is, « and the Word was God. » It may be better to clearly affirm the NT teaching of the deity of Christ and then explain that he is not the Father, than to sound ambiguous on his deity and explain that he is God but is not the Father.

Il faut bien comprendre ce qu’il dit là. Dans le paragraphe qui précède sa note, il passe en revue quelques traductions (NEB, Moffatt modifiée) qui adoptent la nature qualitative de θέος, et ce, sans nécessairement remettre en question la divinité du Christ (« Such an option does not at all impugn the deity of Christ », ibidem). Il est donc d’accord, en partie, avec ces autres choix. Mais pour lui, il y a danger. Danger que le texte traduit soit mal compris, ou que la divinité du Christ, telle qu’il l’entend, ne soit pas suffisamment « clairement » affirmée. Il prend donc le parti de sur-traduire. Il glisse vers une interprétation fondée sur des présupposés théologiques. Je comprends ses arguments et je respecte sa position. Mais dans ce cas il n’est pas possible d’en appeler à l’autorité de Wallace en tant que grammairien pour élucider Jean 1.1c. On remarquera d’ailleurs que Wallace ajoute que le Logos avait la nature divine « from eternity » – là encore, il glisse. JB m’accuse de « tirer à [moi] la grammaire » (p.3) et évoque mes « a-priori théologiques » (p.4). Non seulement c’est faux puisqu’il reconnaît lui-même que Wallace et moi avons la même analyse grammaticale du passage (p.2), mais il faut reconnaître en toute honnêteté que c’est en fait Wallace qui glisse vers l’a priori théologique… Une autre façon de rendre la pensée de Wallace est de dire : même si « le Logos était Dieu » n’est pas tout à fait ce que dit le texte, mieux vaut le dire ainsi et clarifier ce qu’on entend par-là (conceptions nicéennes…) parce que c’est ainsi qu’il faut comprendre le reste de l’enseignement du NT, plutôt que de paraître ambigu et de faire une note pour expliquer ce dont il retourne.

Cela permet de faire une déduction de bon sens (mais que JB feint d’ignorer) : il est impossible (voire nocif !) de traduire un texte vierge de présupposés. Ce n’est pas un problème d’honnêteté, c’est un problème de méthode : il faut tenir compte du contexte, de la macro-syntaxe comme il dit pompeusement – sans d’ailleurs se rendre compte qu’il se ridiculise un peu, non sur la forme, mais sur le fond (cf. infra les versets qu’il cite). D’ailleurs il insiste lui-même sur le « monothéisme biblique » (p.3), le « contexte monothéiste » (p.4) : c’est bien qu’il reconnaît qu’il faut tenir compte de données non présentes dans le texte en considération.

Une fois qu’il a fait dire à Wallace ce que Wallace ne dit pas exactement (recours à un résumé de grammaire oblige), JB enchaîne sur une incompréhension totale de mon propos (p.3). Il cite en effet le passage où, après avoir succinctement évoqué Colwell, le mauvais usage de sa règle, les travaux de Dixon et ceux de Harner (en me fondant sur Wallace et ma propre analyse des travaux en question), je déclare que « Jean 1.1 est symptomatique des lectures théologiques opérées par les traducteurs. On tente de tirer à soi la grammaire, pour appuyer une théologie, une christologie. Un examen attentif démasque toutefois les raisonnements circulaires. » C’est bien ce que fait Wallace, malgré son talent de grammairien : il appuie une théologie trinitaire en dépit de son analyse grammaticale irréprochable. C’est bien ce que Colwell a fait en partant d’un principe méthodologique erroné : il n’a pas cherché à prouver le caractère défini des prédicats nominatifs sans article précédant le verbe être, il l’a décrété ! On (Metzger, Kuen, Boismard et bien d’autres, cf. ma note 20) s’est ensuite servi de ses travaux pour prouver ce qu’il prenait comme… un préalable, un a priori. On tourne en rond…

Ainsi, JB ne comprend pas ce que je dis : il pense que j’accuse les traducteurs optant pour « et le Logos était Dieu » de faire un mauvais usage de la grammaire. Faux. J’indique que cette traduction ne contrevient pas au sens, pour peu qu’on retienne le caractère qualitatif de θέος (p.7). J’évoque seulement les fantasmes de ceux qui se prévalent de la grammaire pour établir une certitude, alors que la grammaire n’établit que des vraisemblances : du coup, M. JB que je ne connaissais pas fait aussi partie de ceux-là ! Et puis, la traduction « et le Logos était Dieu » me dérange en ce sens qu’elle ne rend pas exactement le grec, la nature qualitative de θέος. En français, « et le Logos était Dieu » donne l’impression que Dieu est défini (problème de référent, problème sémantique : cf. la petite leçon de M. JB qui, bien qu’insultante, va aussi tourner au ridicule – cf. infra). Or Wallace s’explique bien sur ce point : ce serait du sabellianisme, du modalisme… En fait, on ne peut pas comprendre cet énoncé en français si on n’est pas pourvu des outils théologiques nicéens pour le décrypter sans hérésie ! Cocasse, n’est-ce pas ?

Mais en jouant sur les mots, ou avec d’autres présupposés théologiques (comme les miens), on peut aussi comprendre « et le Logos était Dieu » comme « et le Logos avait la nature de Dieu » ou: « et le Logos était de la même classe que Dieu » (c’est ce qu’essaie maladroitement de dire JB p.3 avec ses exemples de cheval, de médecin…).

Est-ce que j’attire donc la grammaire à moi en proposant « et dieu était le Logos » ? Voilà pour moi une occasion de souligner que cette proposition ne me satisfait pas pleinement. Mais elle est recevable pour les raisons suivantes :

– elle respecte le caractère poétique et suggestif du prologue,

– elle respecte l’analyse grammaticale admise par « la meilleure grammaire grecque actuelle du Nouveau Testament » (JB, p.1),

– elle n’est pas aussi ambiguë que « et le Logos était Dieu » parce qu’elle contient une donnée sémantique rendant l’absence de l’article (contrairement à « et le Logos était Dieu ») : en français, la minuscule sur le terme « dieu »,

– elle n’a pas besoin de s’expliquer par des conceptions théologiques ultérieures, bien qu’elle soit compatible avec la théologie trinitaire (cf. Harner 1973 : 85-86).

Autrement dit, elle est plus exacte que « et le Logos était Dieu » parce qu’elle indique que « dieu » est la qualité, ou même la nature du Logos, sans suggérer plus. Parce que ce « plus » n’est pas dans le texte. Si on l’y met, on reviendra l’y trouver à loisir pour prouver quelque chose qui n’y était pas à l’origine. On peut dire que « dieu était le Logos » comme on dit que « Dieu est amour ». L’amour est une qualité de Dieu. On ne peut pas dire Dieu = Amour, ni Amour = Dieu, pas plus qu’on ne peut dire Logos = Dieu et l’inverse, Dieu = Logos. La qualité ne fait pas l’identité. C’est une aberration intellectuelle que d’introduire ici les concepts de personnes de la Trinité liées dans l’unicité divine : Père, Fils, Saint Esprit. Expliquer Jean 1.1c à cette lumière, c’est en obscurcir la clarté naturelle. Pour remettre en question la vision trinitaire de la christologie johannique, il faut reprendre les versets un à un, mais en se gardant – autant que possible – d’y incorporer des données extérieures. Contexte, oui. Exégèse savante voire absconse, non.

2. Analyse sémantique

Dans sa rubrique La traduction de theos en Jean 1.1c, JB fait état, maladroitement comme je l’ai dit, de sa conception de Dieu, et de θέος en grec. L’exposé est rédigé d’une manière très basique. Son allégation la plus grave est la suivante :

Ainsi, lorsque Jean affirme que theos èn ho logos, il emploie theos grammaticalement comme un attribut placé avant le verbe « être » pour lui donner un sens qualitatif (qui renvoie à l’essence) et sémantiquement comme un nom qui désigne tout ce que theos est dans le contexte de Jean. D’où la traduction « le Logos était Dieu ». Traduire « dieu était le Logos » serait aussi erroné que d’affirmer que « le Père est dieu » ! Comme si la nature ou l’essence du seul vrai Dieu n’était pas d’être Dieu mais seulement dieu !

Mais si, on peut dire que le Père est dieu, sans polythéisme et sans hérésie ! Mais il est surtout et avant tout ce qu’on entend par Dieu. C’est précisément pour cette raison que, bien que je considère la traduction « et le Logos était Dieu » comme possible grammaticalement, je ne la retiens pas : en français comme en grec, elle induit en erreur (méprise dans le référent, quand on n’est pas, comme moi, équipé du décodeur trinitaire). Et là, il faut savoir lire JB attentivement : il est en train de dire que si on emploie θέος en Jean, le référent est forcément le Dieu Un (« tout ce que theos est dans le contexte de Jean »…). Mais JB qui renvoie plus loin à Romerowski a-t-il bien lu Romerowski  ? Citant Jean 1.1, Romerowski explique à titre d’exemple que si λόγος a pour référent Jésus-Christ dans certains passages, il faut bien se garder de généraliser (p.234) :

Il faut donc se garder de confondre le sens de cette expression avec son référent particulier dans ce texte.

On peut en dire autant de θέος : selon la terminologie trinitaire, son référent n’est pas toujours « Dieu le Père ». Il peut désigner des idoles, des humains, Satan. En Jean 1.1c, le θεὸς dans θεὸς ἦν ὁ λόγος n’a pas pour référent le Dieu Un, mais renvoie à la qualité divine du Logos. Nuance fondamentale !

Pour l’anecdote, même Harner qui réalise une brillante analyse de Marc 15.39 et Jean 1.1 laisse ses présupposés interférer gravement avec son analyse : en effet, il cite (p.85) B. Vawter pour tenter de donner une explication acceptable du point de vue trinitaire à la traduction « et la Parole était divine » à laquelle son étude le conduit invariablement. Ce Vawter déclare : « The Word is divine, but he is not all of divinity, for he has already been distinguished from another divine Person ». Harner qui cite donc Vawter qu’il agrée précise même sa pensée : « Undoubtedly Vawter means that the Word is ‘divine’ in the same sense that ho theos is divine ».

Dans ces affirmations, et vu le contexte, il y a un rare concentré d’inepties. D’abord, le Logos est divin mais il n’est pas « all of divinity ». Il faut savoir, là encore, décrypter le jargon trinitaire. Cela veut dire que le Logos est Dieu mais pas tout ce que les trinitaires entendent par Dieu (Père, Fils, Saint Esprit). Quand un trinitaire dit que « le Logos est divin », ou « le Logos a la nature de Dieu », il n’entend pas autre chose que « le Logos est Dieu » (et là, je ne définis pas ce que pense un trinitaire d’après mes standards ou ma compréhension du dogme, mais par ce qu’un trinitaire dit lui-même du dogme qu’il défend). Mais le problème, c’est que Dieu est un concept où il y a trois personnes « divines » : le Logos ne peut donc pas représenter « toute la divinité ». Par contraste avec la « Personne divine » (avec le P majuscule) présentée précédemment (le Père), le Logos ne peut donc être qu’une deuxième Personne divine (de la Trinité). Pour supporter cette perspective, Harner établit une comparaison qui ne plaira guère à M. JB : le Père est « divin » dans le même sens que le Logos est divin. Là-dessus, je le rejoins volontiers – mais on ne parle de la même chose. Déjà parce qu’il y a une majuscule à Personne que rien ne justifie, hormis des préconceptions discutables. Ensuite parce qu’on n’envisage pas ce qui est pourtant le sens obvie du texte : le Logos, personne distincte située à côté du Père, est de même nature que le Père. Le texte ne dit pas que deux Personnes (d’une triade ou « triunité ») sont Dieu (référent : Dieu, Père, Saint Esprit). Le texte dit au contraire : Dieu (« toute la divinité ») et un Logos de même nature que lui se trouvaient ensemble « au commencement ».

Harner, comme Wallace, cède donc à la tentation d’imbriquer à son analyse linguistique des données théologiques totalement inutiles à la démonstration. Pour faire court, il essaie de faire du Dieu trin le référent de θέος, que ce θέος soit défini ou qualitatif. C’est à cette même facilité que cède M. JB, en pensant m’épingler sur la partie sémantique de θέος.

Donc, non seulement JB a tort de m’inviter sur le terrain sémantique, mais il a tort encore quand il analyse ma manière « bien arbitraire » dit-il (p.4) de rendre θέος. Ce qui est encore cocasse, c’est qu’il donne lui-même les billes pour se faire contredire. Il souligne en effet qu’il faut garder un œil sur la sémantique. Je suis d’accord ! Et sur la présence ou non de l’article. D’accord aussi ! En effet il rappelle que θέος est « assez défini par lui-même et que par conséquent (…) il n’a pas besoin de l’article pour être défini ». Entièrement du même avis, c’est bien pour cela que θεός peut être défini en Jean 1.1c (mais son grammairien préféré n’adoube pas cette éventualité). Or ces prémices recevables lui permettent de glisser vers une aberration : il analyse ma traduction des versets 1b, 1c, 2, 6, 12, 13, 18a et 18b à la lumière d’une espèce de « concordisme » d’un autre âge, totalement hermétique au contexte – qui extrapole un cas sensible et particulier à des contextes bien différents – et qui surtout oublie avantageusement ce que Wallace dit de θεός, « assez défini par lui-même ». Il se focalise spécialement sur ma traduction de 1.18 : « un dieu seul engendré ». On dirait que pour lui θέος est forcément défini (même s’il sait que ce n’est pas le cas). JB pense que je me fonde sur l’absence de l’article pour traduire de manière indéfinie. Mais c’est faux. Comme le référent de ce θέος est ici le λόγος, et que l’on sait par ailleurs que le seul vrai Dieu, c’est le Père (Jean 17.3), et qu’il n’y en a pas d’autre (1 Corinthiens 8.5-6), le seul Dieu auquel pouvaient penser les destinataires de Jean, dans le « contexte monothéiste » comme dirait M. JB, c’est le Dieu Un : יהוה. Lui seul peut être défini par défaut. Or Jean introduit un autre personnage, pratiquement inconnu (non assimilable précisément à ce qu’on avait pu dire de la Présence de Dieu, de sa Sagesse, etc.), dont, scandale ou non, il révèle la divinité. Ce ne peut être le Dieu seul engendré (il n’y en a pas de connu), mais un dieu seul engendré : car le Dieu qu’on connaissait n’était pas connu pour avoir été engendré. Par contre, si Jean présente un Fils engendré (cf. ὁ γεννηθεὶς ἐκ τοῦ θεοῦ en 1 Jean 5.18 pour désigner Jésus comme « celui qui a été engendré de Dieu » ; cf. Morgen 2005 : 205, Chaine 1922 : 239, Loisy 1921 : 577, etc.), dieu par sa nature puisque engendré de Dieu, on comprend alors mieux le prologue, ainsi que le reste de l’évangile qui insiste moins sur la divinité de Jésus que sur sa filiation divine, et celle des humains qui le reçoivent.

Pareillement, Jean-Baptiste qui est présenté dans ce même prologue l’est de manière indéfinie : on ne saurait employer l’article défini pour l’introduire premièrement (ἐγένετο ἄνθρωπος, 1.6 : un homme…) : car si Jean-Baptiste ne devait pas être foncièrement inconnu, le rôle qui est le sien dans Jean, celui de précurseur, était une perspective nouvelle pour les nombreux disciples de ce prophète.

Non, M. JB, je ne suis pas servile de considérations bassement linguistiques, bien que j’y prête une minutieuse attention. Après avoir expliqué ma traduction de 1.18 sur de mauvaises bases, JB enchaîne en supposant que je ne doit pas « être conscient du rôle de l’article en grec ». Il rappelle un point qui est exact mais qu’il ne faut pas trop enchérir : « la fonction de l’article [en grec] n’est pas d’abord de rendre une réalité définie qui, sans l’article, aurait été indéfinie. Il existe au moins dix façons de rendre un mot défini sans l’article. » (p.4 ; citation de ESNT : 209). Vrai. Mais il ne faut pas inverser les choses : certes, le grec n’a pas besoin de l’article pour qu’un terme soit défini. Mais comment marquer l’indéfinité dans ce cas ? Et surtout, où voulez-vous en venir en citant Wallace sur ce point ? Suggérez-vous que θέος sans article en 1.1c est défini ? Non, bien sûr. En 1.18 ?

À présenter les choses ainsi, est-ce qu’on n’oublie pas quelques détails ?

D’une façon générale, l’article grec a des emplois analogues à ceux de l’article défini du français; mais il est moins généralement employé; le nom auquel il est joint désigne un objet déterminé ou une classe d’objets. (…) A l’article indéfini du français correspond d’ordinaire en grec l’absence de l’article. Bizos, Syntaxe grecque §1

L’omission ou l’emploi de l’article dans un même récit dépend de la rédaction de chaque auteur. (…) L’omission de l’art. s’explique aussi quand c’est la qualité d’une personne ou d’une chose que l’on considère plutôt que cette personne ou cette chose en soi (…). Abel, Grammaire du grec biblique §29a

L’indéfinité s’exprime par le substantif nu (…). On insiste volontiers à l’aide de l’indéfini τις, τι. Carrière, Stylistique grecque pratique, p.3. Outre τις, on trouve aussi l’usage de εἷς, μιά, ἕν. Cf. Carrez 1985 §29.

L’article peut définir à la fois l’individu dont il est question et l’ensemble des individus qui forment un groupe ou une espèce; inversement, l’absence de l’article implique une impossibilité (ou un refus) de définir un individu en particulier, ou est un moyen d’exprimer l’espèce en elle-même, sans considérer les individualités qui la composent. Humbert, Syntaxe grecque §59

On peut continuer ainsi pendant longtemps (voir aussi Porter 1992 : 101 sq, Moule 1971 : 115 sq). M. JB qui me renvoie à Wallace pour comprendre le rôle de l’article (p.5 n6) ne voit-il pas que ce même Wallace n’a pas un discours aussi radical ou affirmatif que lui : « When a substantive is anarthrous, it may have one of three forces : indefinite, qualitative, or definite. There are not clear-cut distinctions between these three forces, however. » (ESNT : 243). Que ressort-il de ces citations ? Précisons d’abord que leur degré d’autorité est moins important que la fréquentation du texte grec, qui en font une évidence. Ce dont il en ressort néanmoins, c’est que si l’article grec et l’article français ne se recoupent pas précisément, malgré leurs nombreux points de contact, surtout sur le caractère défini ou non d’un terme inarticulé, il ne faut pas oublier que l’absence de l’article peut indiquer l’indéfinité. Il est « malsain » de citer Wallace comme M. JB fait, car cela peut induire en erreur. Ne nous bardons pas trop de certitudes, comme suggère Romerowski !

Ainsi, le vrai problème ce n’est pas la présence, mais l’absence de l’article. Sur ce point il faut donc être vigilant et ne pas être d’une logique machinale (les travaux de Dixon ou Harner, et même de Wallace, concluent en termes statistiques, sans certitude aucune). Or JB soutient que d’un côté θέος est qualitatif, de l’autre que ce même terme est défini. Il me reproche ma versatilité, mais n’est pas conscient de la sienne (parce qu’il s’autorise bien sûr à tenir compte du contexte particulier et du contexte large du passage – ce qu’il me refuse, inconsciemment sans doute). Or, pour les raisons évoquées plus haut je ne pense pas que μονογενὴς θεὸς soit défini (bien que ce ne soit pas impossible – je ne suis pas catégorique). Et les variantes nombreuses sur la présence ou non de l’article en ce passage montrent que si JB a ses certitudes, d’autres locuteurs du grec ont senti l’ambiguïté, puisqu’on trouve par exemple : μονογενὴς θεὸς, μονογενὴς θεὸς, μονογενὴς υἱὸς, μονογενὴς υἱὸς θεοῦ, μονογενὴς. Pourquoi préférer la lectio difficilior ? Pourquoi les scribes dont on retient la leçon n’ont-ils pas mis l’article ? Là-dessus, on peut spéculer (sans jamais oublier que l’article n’est pas nécessaire pour qu’un terme soit défini), mais au final l’éventualité d’une expression indéfinie ne peut pas être exclue, tout comme elle ne peut pas être exclue en 1.1c (et voir par exemple la version copte ; cf. Fontaine 2007 : 289-291, spécialement p.291). Une fois le Logos monogène présenté, on peut faire une mention anaphorique avec ὁ ὢν, ou bien avec ἐκεῖνος. Mais il faut rappeler à M. JB que l’anaphore ne fonctionne qu’une fois un sujet présenté premièrement (cf. Fontaine 2010 : 116). Sa remarque sur ἐκεῖνος ne tient donc pas.

Ensuite, M. JB cite S. H. Levinsohn qu’il a l’air de connaître – comme moi – indirectement. Par Romerowski ! Il pense peut-être que je n’ai pas lu Romerowski. Encore faux, cf. mon commentaire Amazon, rédigé quelques semaines après ma première lecture de Romerowski (et il y en a eu d’autres depuis !). Que dit Levinsohn ?

lorsque l’article est omis devant un substantif dont le référent est bien défini et a déjà été mentionné, ce référent est mis en relief (p. ex. le mot Θέος, « Dieu », en Ga. 2.19 ; 4.8-9 ; le mot πνεῦμα en Ga 3.3 ou en Ac 8.15, 17, 19)

C’est du simple bon sens… Ironie du sort, Romerowski émet quelques doutes sur la propension de Levinsohn à trouver des règles figées dans le marbre, en niant se faisant toute latitude personnelle, toute variété stylistique (p.501) :

On se demande parfois si Levinsohn ne cherche pas de manière excessive à tout expliquer, à trouver des significations à tout. Il part d’ailleurs du principe que tout choix est significatif, c’est-à-dire qu’il existe des constructions par défaut et que tout choix qui s’écarte d’une telle construction est significatif. Mais cet a priori est-il justifié ? Une certaine part de liberté n’intervient-elle pas dans l’écriture, plutôt que la soumission à des règles aussi strictes et compliquées ?

Je comprends désormais pourquoi Romerowski ne m’avait donné envie d’étudier Levinsohn… La leçon est donc la suivante : il ne faut jamais se barder de certitude, encore moins sur un passage aussi sensible que Jean 1.18, et encore moins s’il s’agit de l’article en grec.

Et cela m’amène à examiner les trois versets que cite M. JB (pp.3-4) pour tenter de contredire ma traduction de Jean 1.1c : Philippiens 2.13, Luc 20.38, Romains 8.33. Or, ces exemples n’apportent rien. À quoi bon citer ces exemples pour tenter de montrer que θέος en attribut inarticulé précédant le verbe ne doit pas être rendu par « dieu » ? C’est vain, et ce pour ces raisons :

1. Je n’en fais pas une règle, mais c’est le choix que je fais en Jean 1.1c, 18 exclusivement (cela a l’air évident, mais il ne faut pas extrapoler un choix particulier en essayant de trouver des versets qui « contre-indiqueraient »).

2. En Philippiens 2.13 il n’est pas certain que θέος soit attribut (donc le parallèle avec Jean 1.1c est spéculatif) !

Wallace l’admet (ESNT : 264) : c’est peut-être le sujet, et c’est d’ailleurs si suggéré sémantiquement (eh oui, la sémantique) qu’un grand nombre de copistes (cf. variantes) ont ajouté l’article (à moins qu’il n’y figurait originellement)… Je traduirais donc ce texte ainsi :

θεὸς γάρ ἐστιν ὁ ἐνεργῶν ἐν ὑμῖν καὶ τὸ θέλειν καὶ τὸ ἐνεργεῖν ὑπὲρ τῆς εὐδοκίας.

Car c’est Dieu qui produit en vous le vouloir, et le faire, d’après sa volonté.

et non:

car celui qui produit en vous le vouloir et le faire est Dieu.

Si on revient à Levinsohn, on relève qu’ici θεὸς a pour référent le Père, et qu’il est donc bien défini « par lui-même ». Ne portant pas l’article, et placé avant le verbe, oui, je pense qu’il y a une mise en relief. C’est cette mise en relief qui invalide l’exemple de M. JB : ce n’est pas parallèle à Jean 1.1c pour deux raisons : 1) contrairement à Jean 1.1c, θέος est défini, 2) et il est sans doute sujet (cf. Stanley E. Porter, Idioms of the Greek New Testament, pp.196-197). Ce passage est aussi un bel exemple d’infinitif articulé. Comme M. JB doute de mes compétences sur l’article en grec, je le renvoie à mon travail sur Philippiens 2.6, où je montre que si l’article aux cas obliques a surtout une valeur sémantique, c’est le marquage syntaxique qui prime aux autres cas (y compris le « cas » particulier de son absence).

3. Luc 20.38 est également affaire de contexte. En 20.37, le sujet est désigné par une citation d’Exode 3.6. On parle de Dieu le Père, du Seigneur Dieu (κύριον τὸν θεὸν). Pas d’ambiguïté possible.

Ce verset illustre d’ailleurs les problèmes liés à l’article.

θεὸς δὲ οὐκ ἔστιν νεκρῶν ἀλλὰ ζώντων (…)

TOB : Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants (…)

Bible de Jérusalem : Or il n’est pas un Dieu de morts, mais de vivants (…)

TMN: Il est un Dieu, non pas des morts, mais des vivants

Louis Segond : Or, Dieu n’est pas X Dieu des morts, mais des vivants (…)

NBS : Or il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants (…)

Oltramare : Dieu n’est pas Dieu des morts, mais Dieu des vivants (…)

Certains rajoutent des mots (Oltramare, TOB), d’autres rendent le substantif défini (NBS, TOB), d’autres non (BJ, TMN).

Il est difficile de trancher entre un θέος indéfini ou défini.

Choisir « il est le Dieu » va mieux avec ce qui précède. Il est le même Dieu pour chacun des patriarches cités.

Choisir « il est un Dieu » permet d’établir une vérité plus générale, qui s’extrait du cas particulier précité.

Mais la nuance est subtile. Rien sur la nature de Dieu. Rien sur la sémantique. Le contexte seul dicte comment appréhender la syntaxe.

3. Romains 8.33 : c’est un peu le même problème que les deux cas précédents. Le contexte indique que θέος ici est défini (cf. ὁ θεὸς deux versets plus haut, en Romains 8.31, qui ne cesse d’être le sujet, non l’attribut ; 8.32 sujet rappelé par ὅς).

Je récuse donc ces exemples. Ce sont des cas intéressants de sujet/attribut qui précèdent le verbe εἰμί. En cela ils se rapprochent de Jean 1.1c. Mais aucun de ces exemples ne recoupent Jean 1.1c exactement, à cause de leur contexte qui rend θέος défini.

Plus généralement

Pas très sympathique…

Outre les déclarations inexactes au point de vue technique, il y a celles qui sont moins sympathiques humainement parlant. En effet, M. JB m’accuse de passer « sous silence » (p.2) la longue analyse de Wallace, que je résume. En quelque sorte, il m’accuse de trop résumer… Et non seulement de résumer, mais de ne pas innover ! Car il insiste sur le fait qu’il n’y a rien de nouveau : « se trouve déjà dans Wallace » (p.2), « qui n’ait déjà été soutenu » (ibidem). Mais ce n’est pas fair-play compte-tenu du fait que mon travail n’a pas pour pour objet d’entrer dans de longues considérations linguistiques ou théologiques, ni de refaire la roue, mais juste de permettre aux amoureux de grec biblique de faire un bout de chemin avec Jean. En fait, il cite ma note 20, qu’il qualifie de « brève allusion, sans référence précise ». Mais tandis que lui fait allusion aux travaux de Colwell, Dixon et Harner (que j’évoque suffisamment par ailleurs), ma note 20 sert à énumérer des spécialistes qui qualifient de « polythéiste » la traduction « un dieu »… Elle n’a pas d’autre objet ! Critique hors sujet, donc. Pire, il n’a pas vu qu’en note 23 je fais une référence on ne peut plus précise : ESNT : 256-270. 15 pages ! À quoi bon réécrire 15 pages, d’autant que je suis d’accord avec Wallace sur l’essentiel ? D’ailleurs, je cite d’autres références : Carson, Decker.

Mépris a priori

Selon lui, je ne connais pas la « macro-syntaxe du grec », ni le rôle de l’article, ni la sémantique. Faux sur tous les points, et j’ajouterais car il n’y a pas d’autre mot : ridicule. C’est tellement plus simple d’imaginer que son interlocuteur est ignorant des fondamentaux : cela permet d’y rester et de s’y complaire. Mais j’invite les trinitaires à dépasser le stade de la naïveté avec les personnes qui ne partagent pas leurs analyses.

Jéhova ?

Comme de nombreux, nombreux autres, M. JB se fait un devoir de faire une faute d’orthographe sur un terme aussi courant, et facile (p.4 n5). Je ne me l’explique pas. Il est pourtant bien connu – en tout cas c’est ce que rabâchent bêtement les manuels les uns à la suite des autres – que « Jéhovah » serait une forme bâtarde du tétragramme YHWH affublée dans voyelles d’Adonay (אדני). Cela devrait donc donner YaHoWaH (et non pas YeHoWaH contrairement à ce qu’on voudrait faire croire en recourant, une fois de plus à tort, à une « règle de grammaire »). Enfin, quoi qu’il en soit, cela se termine par un H.

Moralité

1) La traduction « et dieu était le Logos » est correcte, je le maintiens. Son seul problème est qu’elle peut, elle aussi, être mal comprise en français. Ce qui est positif, c’est qu’elle ne dit pas plus que ce que dit le texte. Mais il faut l’entendre comme dénotant la nature du Logos (c’est pourtant clairement indiqué dans mon travail p.7 dans la foulée !), ce que des personnes pourtant instruites ne parviennent pas à comprendre. Si j’étais sûr que le prologue avait, à son époque, une ambiguïté choisie, je n’aurais aucune hésitation à la conserver. D’ailleurs je pense que Jean a joué sur l’ambiguïté pour introduire le Logos. Mais ce n’est pas sûr : faut-il donc faire le choix d’expliciter le sens pour les lecteurs ? J’hésite beaucoup avec la traduction plus dynamique « et divin était le Logos ». Cela indique clairement que la valeur adjective, qualitative, est retenue. Bien sûr on lui opposera, en de mauvais raisonnements, l’existence de θεῖος. Mais elle est valable. Elle m’ennuie simplement parce qu’elle perturbe les parallélismes si évocateurs (mais qui n’évoquent pas la même chose à tout le monde !), et surtout, parce qu’elle nie aux lecteurs la finesse suffisante pour comprendre un texte ambigu.

2) Je regrette que sur des sujets bibliques on soit aussi prompt à détecter l’ignorance d’autrui, à la présupposer, à médire, mais pas frontalement. Médire ? Oui, car de nombreuses déclarations de M. JB, même enchâssées dans un semblant de références bibliographiques récentes, restent tout simplement fausses. Surtout, quand on critique, c’est mieux de le faire en toute franchise, en vis-à-vis avec l’intéressé. Avec si possible un peu d’humilité (cf. Philippiens 2.3, Matthieu 7.3 – par là, je ne suggère « que », mais c’est déjà beaucoup, le fait d’éviter cette espèce de condescendance agaçante).

3) La Trinité est un sujet tellement sensible qu’elle focalise toute l’attention. M. JB s’est bien gardé d’évoquer d’autres points que Jean 1.1c et Jean 1.18. Sur les 30 pages, n’y avait-il que ce sujet à évoquer ? C’est bien que ce sujet est une grille de lecture déformante. Sans doute ai-je aussi la mienne, à un niveau ou à un autre. Mais je récuse ceux qui se gaussent d’être vierges de présupposés – quand il est facile de prouver le contraire – et qui se permettent d’analyser mon travail, ma traduction, avec un faisceau nicéen.

4) Un dernier mot sur sa Une note dogmatique. M. JB m’épargne le « dossier johannique », la démonstration « biblique » de la « divinité du Christ » (p.5). Comme on n’écoute pas le texte pour ce que dit le texte, on est obligé de rédiger ce genre de note dogmatique, parce que l’interprétation qu’on soutient pose d’épineux problèmes. Comment le Logos, « vrai Dieu » a-t-il pu devenir « vrai homme » ? Changerait-on de nature ? Pas possible ! Ah si, dans les démoniaques « cohabitent deux personnes de nature différente » (pp.5-6). Pense-t-il vraiment que les démons qui ont pris des humaines ont changé de nature (il cite Jude 6) ? Pense-t-il aux « âmes doubles », aux « indécis/partagés » de Jacques 1.8, 4.8 (δίψυχοι) ? Qualifierait-il de docétique toute lecture non trinitaire de Jean ? Ce qu’il faut surtout retenir, c’est qu’évidemment quand on importe des conceptions sophistiquées dans un texte relativement simple, il faut pouvoir l’expliquer et ce n’est pas une mince affaire : « Car en Jésus la nature divine et la nature humaine sont unis (sic) » (p.6).

M. JB qui ne souhaite pas aborder avec moi tout le « dossier johannique » évoque là un problème auquel j’ai déjà beaucoup réfléchi : si l’on est trinitaire, l’Incarnation pose le problème de la kénose (sur ce point, la meilleure « synthèse » en français est celle de P. Henry, art. Kénose, Supplément au Dictionnaire de la Bible, vol. V : col. 7 – 161 ; voir aussi la bibliographie dans Fontaine 2010 : 163-174). À mon avis, c’est le texte de Philippiens 2.6-11 qui est la clé de l’énigme. Tout y est ou presque : la nature divine du Logos, son abaissement, son exaltation (il acquiert un statut plus élevé qu’initialement), la notion de second Adam et de serviteur souffrant d’Isaïe en filigrane (d’où une rançon correspondante et non disproportionnée), et sa souveraineté (il reçoit, après sa résurrection, le titre non équivoque de Kyrios, Seigneur, cf. v.11).