29/11/2015

Quelques lectures…

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Chaque ouvrage mériterait certainement une recension propre, mais le temps étant une ressource hélas limitée, je me contenterai de faire quelques remarques sur ces ouvrages.

  1. La Bible, avec notes d’étude archéologiques et historiques (Société Biblique de Genève, 2015)

2911154Cet ouvrage est exceptionnel. C’est une traduction de la fameuse NIV Archaeological Study Bible, par la Société Biblique de Genève. Les caractéristiques principales sont les suivantes : texte biblique de la Segond 21, paroles de Jésus en rouge, 65 citations de textes anciens proches des textes bibliques (tirées des volumes Context of Scripture), environ 8000 commentaires sur des sujets historiques ou culturels, 640 articles intéressant particulièrement l’archéologie et la fiabilité du texte biblique, une introduction à chaque livre, des repères chronologiques systématiques, une concordance faisant aussi office d’index thématique (avec renvois aux articles), un dictionnaire, une concordance, et des cartes. On a plaisir à lire ou feuilleter cette bible, tant les finitions sont de qualité : photos couleur impeccables, système de navigation dans les livres bibliques très intuitif, notes abondantes, et bien sûr, ces fameux articles qui ne lassent pas de susciter l’intérêt. Voici quelques sujets en vrac : « Le serpent dans les écrits du Proche-Orient ancien », « Anciens récits du déluge », « La coalition des rois mésopotamiens », « Le conte des deux frères », « Les anciens autels », « Les maladies de peau dans le monde antique », « L’itinéraire des Israélites dans le livre des Nombres », « Le palais d’Eglon », « Les temples de Beth-Shan », « Achab et la bataille de Qarqar », « Le Nil en sang dans le papyrus d’Ipuwer », « Vêtements et bijoux israélites anciens », « Le mont des Oliviers », « Ninive », « Les écrits rabbiniques », « Flavius Josèphe et la chute de Jérusalem », « Quirinius et le recensement d’Auguste », « Le temple d’Hérode », « La citoyenneté romaine », « Les serments », « La paternité des lettres de Pierre ». On a l’impression que c’est sans fin. Autrement dit, chaque centime de vos 54€ sont amortis, et comment. J’ai parcouru et reparcouru cet ouvrage de référence de long en large, et je ne m’en lasse pas. Il propose un concentré des sujets qui touchent de près ou de loin le monde biblique, que ce soit du point de vue historique, archéologique, culturel ou littéraire. Une somme d’informations extrêmement précieuse : si vous cherchiez une bible d’étude, ne cherchez plus !

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2. Thomas Römer, Moïse en version originale – Enquête sur le récit de la sortie d’Égypte (Exode 1-15) (Bayard, 2015)

2911153Je ne suis pas un grand partisan des méthodes qui sont celles de Römer, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais j’ai été intrigué par son analyse de l’Exode 1-15, dont il livre une traduction personnelle, avec une analyse détaillée. A mon avis, c’est un concentré des dérives de la méthode historico-critique, et je n’adhère pas à 1% des hypothèses émises, car il faut bien le dire, les hypothèses, souvent gratuites, ou qui se fondent sur des indices pour le moins ténus, ne manquent pas. Par exemple, dans le cadre de la vocation de Moïse (p.115) les parallèles entre Exode 3.2,10,11,12,13 / Juges 6.11,14,15,16,17 / Jérémie 1.7,6,8,9 tentent d’appuyer l’idée d’une intention délibérée, a posteriori bien évidemment, d’établir Moïse comme « précurseur de ce type de prophète » (hypothèse reprise en conclusion, p.264). Autrement dit, le texte est fabriqué sur mesure, et la stéréotypie littéraire de ce type de vocation, allégrement ignorée. A partir d’analyses essentiellement littéraires, Römer finit par proposer sa vision de la fabrique de l’Exode à peu près ainsi : les traditions orales remontent au IX ou VIIIe s. av. notre ère, mais c’est après la destruction de Jérusalem en -587 que commence à se former, couche après couche, une construction de la « vie de Moïse ». C’est une « vie » qui reflète certes une situation bien ancrée dans les sources égyptiennes, mais qui n’en demeure pas moins construite par diverses tendances (pp.263-266) : ici, la « version deutéronomiste » fabrique un prophète, et insiste sur les punitions divines, là, la « version sacerdotale » introduit le personnage de Aaron, là encore, de petits malins s’amusent à combiner les versions deutéronomiste et sacerdotale… A en croire Römer, tout cela relève du puzzle. Pour ma part je reste bien sceptique : l’intrication des hypothèses, des hypothèses reposant chaque fois sur des hypothèses littéraires bien minces, me fait l’effet d’une farce. Ce n’est pas qu’il n’y ait pas des analyses intéressantes, des parallèles réels, ou peut-être une compilation finale, mais c’est ce concentré hasardeux d’affirmations qui m’agace un peu. Reste que j’ai surtout acheté cet ouvrage pour la partie sur le nom divin pp.117-122, 153 s, et je dois avouer que malgré tous mes désaccords avec Römer, et malgré aussi la concision de son analyse, je suis assez d’accord pour lire Exode 3 comme une non réponse (qui n’est pas non plus dérobade), et voir en « Yahwèh » une forme récente, et théologique.

A la question de ce dernier [Moïse] sur l’identité du dieu qui l’envoie, Dieu ne répond pas directement par son nom mais par le fameux ‘ehyeh aser ‘ehyeh, « Je serai qui je serai ». Le sens de cette réponse n’est pas clair. S’agit-il d’un refus de révélation ? Dieu dirait-il : « Je suis qui je suis », cela ne te regarde pas ? Cette interprétation fait sens, si l’on considère seulement le v.14. Elle préparerait alors ou présupposerait déjà le tabou de la prononciation du nom de Yhwh, tout en « jouant » avec ce tabou. En même temps, en reprenant le ‘ehyeh de la promesse d’assistance du v.12, le v.14 donne aussi un sens théologique au nom divin : il s’agit du dieu qui est « avec quelqu’un », qui promet assistance.

Römer rappelle les témoignages de Clément (bien qu’il ne dise rien des problèmes textuels du passage en question) ou Origène en faveur de la forme « Yahwèh » (p.118), avant de préciser (pp.118-119, je souligne) :

S’il existe ainsi quelques attestations suggérant une prononciation du tétragramme du type « Yahwèh », la plupart plaident en faveur d’un « Yahû » ou « Yahô ». Les Israélites et Judéens, installés depuis la fin du VIIe siècle ou le début du VIe avant l’ère chrétienne dans l’île d’Eléphantine, en Haute-Egypte, appellent leur dieu Yhwh, vocalisé dans des noms propres par « Yahô » Un texte, trouvé à Qumrân (4QpapLXXLevb), qui contient un fragment du livre du Lévitique en grec (4,26-28) rend le tétragramme par Iao : « Si quelqu’un viole un seul des commandements de Iao et ne le fait pas… » (4,27). Apparemment, la prononciation ancienne du nom du dieu d’Israël était « Yahô », à moins qu’il y ait eu deux prononciations différentes, selon les régions ou les milieux. (…) La variante « Yahwèh » a pu naître grâce à une spéculation théologique qui sous-tend aussi le texte d’Ex 3,14, dans le but de rendre compte de la signification du nom de Yhwh par la racine hébraïque h-y-h, « être ». Cette spéculation a pu mener vers cette prononciation, qui est sans doute plus récente que « Yahô » ou « Yahû ».

4. Enrico Norelli, La naissance du christianime (Bayard, 2015)

2911152Pour qui s’intéresse à l’histoire du christianisme, Enrico Norelli est une figure assez familière. On lui doit notamment (en collaboration), les deux tomes de l’Histoire de la littérature grecque chrétienne, I, II. Il a aussi dirigé, entre autres, la thèse de P. Andrist sur Athanase et Zachée. Comme ses autres ouvrages, celui-ci est bien documenté et facile à lire. Son excellente connaissance des écrits apocryphes lui permet de proposer une vision globale qui ne néglige aucune perspective, spécialement en rapport avec la formation du canon du Nouveau Testament. Les chapitres sont les suivants : 1. L’héritage de Jésus en terre d’Israël, 2. Le message hors d’Israël, 3. L’enlise dans l’empire, 4. Les chrétiens face au pouvoir, 5. Mémoires différentes, différentes espérances, 5. La naissance d’une mémoire officielle : la formation du Nouveau Testament. Tout cela est précis, actualisé, et si ce n’est pas foncièrement original, je conseillerais bien volontiers à qui souhaite se faire une idée de l’essor du christianisme de commencer par là. L’exposé historique n’ignore d’ailleurs pas, çà et là, quelques réflexions d’ensemble bienvenues (quoiqu’elles ne soient pas non plus extrêmement développées, vu le format et l’objet de l’ouvrage). Par exemple, une question toujours épineuse : « Le judéo-christianisme a-t-il existé ? » (pp.242-250).

5. Cline, Introduction à l’archéologie biblique (Albin Michel, 2015)

2911151Je dois dire que j’apprécie de plus en plus cette petite collection « présences du Judaïsme » dirigée par M. Hadas-Lebel. Parmi les autres volumes de la collection que je conseille (et ce n’est pas exhaustif) se comptent L’hébreu : 3000 ans d’histoire, Faut-il croire ce que dit la Bible ?, Les chrétiens d’origine juive dans l’Antiquité, ou encore Le judaïsme dans la vie quotidienne. Ici il s’agit d’une traduction et adaptation, par Hadas-Lebel justement, d’un ouvrage de Eric H. Cline, Biblical archaeology : a very short introduction (2009). Cela se lit très vite, et c’est fort agréable. L’ouvrage propose deux parties : 1. L’évolution de la discipline, et 2. L’archéologie et la Bible. Si vous êtes déjà un peu familiers(ères) du sujet, c’est sans doute dans la première partie que vous en apprendrez le plus. En effet, tandis que la deuxième partie recense, période par période, les résultats de fouilles archéologiques en lien avec la Bible, sans originalité particulière, la première partie se concentre plutôt sur la genèse et le développement de cette discipline, depuis ses temps « héroïques », où l’amateur le disputait au théologien, jusqu’à la période récente et ses « minimalistes ». Les noms des archéologues que je voyais sans cesse apparaître çà et là se trouvent placés dans un contexte, une tendance. Cela clarifie grandement les choses. On relèvera le tableau des pp.14-17 comme spécialement intéressant : plus d’une vingtaine d’affirmations bibliques sont confrontées au terrain, « Concordance des données archéologiques et des récits bibliques ». A part deux « incertains », un « improbable » et un « non » (sur le chantier controversé des fouilles de Jéricho), tout le reste démontre la stricte concordance entre récit biblique et données archéologiques. A se rappeler lorsqu’on est tenté, en matière historique, de s’écarter du texte pour s’adonner à l’imagination. Après cette lecture, vous serez probablement mis en bouche. Si vous souhaitez poursuivre, je vous recommande Kuen, L’archéologie confirme la Bible (niveau basique, un peu surfait parfois, mais suffisamment généraliste pour brosser un tableau représentatif), Millard, Des pierres qui parlent (complet et superbement illustré), Hoerth et McRay, Bible et archéologie (idem), Thompson, La Bible à la lumière de l’archéologie (plus ancien, mais très dense et complet ; illustrations en noir et blanc), Mazar, Archaeology of the land of the Bible (AT uniquement : technique, donne une bonne idée des méthodes et des résultats courants), Kitchen, On the reliability of the Old Testament (un peu technique, mais c’est un classique), Kaiser, The Popular Handbook of Archaeology of the Bible (avec de bonnes sections sur les manuscrits), et surtout, surtout, ces deux : Richelle, La Bible et l’archéologie (assez concis, mais déjà complet, et très clair ; présenté ici), et, nec plus ultra à mon sens, Graves, Biblical Archaeology (richement illustré en noir et blanc, et d’une richesse impressionnante ; le volume 2, que je n’ai pas encore lu, vient de sortir).