Il est parfois amusant de consulter une version de la Bible un peu ancienne.
La plus belle description d’une femme dans la Bible est sans doute celle de Proverbes 31.10-31. Ce passage brosse le tableau de la femme, de l’épouse, et de la mère idéale sous forme d’acrostiche. En effet, chaque sentence commence par une lettre de l’alphabet hébreu :
אֵשֶׁת־חַיִל מִי יִמְצָא וְרָחֹק מִפְּנִינִים מִכְרָהּ׃
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10
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בָּטַח בָּהּ לֵב בַּעְלָהּ וְשָׁלָל לֹא יֶחְסָר׃
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11
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גְּמָלַתְהוּ טֹוב וְלֹא־רָע כֹּל יְמֵי חַיֶּיה׃
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12
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דָּרְשָׁה צֶמֶר וּפִשְׁתִּים וַתַּעַשׂ בְּחֵפֶץ כַּפֶּיהָ׃
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13
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הָיְתָה כָּאֳנִיֹּות סֹוחֵר מִמֶּרְחָק תָּבִיא לַחְמָהּ׃
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14
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וַתָּקָם בְּעֹוד לַיְלָה וַתִּתֵּן טֶרֶף לְבֵיתָהּ וְחֹק לְנַעֲרֹתֶיהָ׃
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15
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זָמְמָה שָׂדֶה וַתִּקָּחֵהוּ מִפְּרִי כַפֶּיהָ [כ= נְטַע] [ק= נָטְעָה] כָּרֶם׃
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16
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חָגְרָה בְעֹוז מָתְנֶיהָ וַתְּאַמֵּץ זְרֹעֹותֶיהָ׃
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17
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טָעֲמָה כִּי־טֹוב סַחְרָהּ לֹא־יִכְבֶּה [כ= בַלַּיִל] [ק= בַלַּיְלָה] נֵרָהּ׃
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18
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יָדֶיהָ שִׁלְּחָה בַכִּישֹׁור וְכַפֶּיהָ תָּמְכוּ פָלֶךְ׃
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19
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כַּפָּהּ פָּרְשָׂה לֶעָנִי וְיָדֶיהָ שִׁלְּחָה לָאֶבְיֹון׃
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20
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לֹא־תִירָא לְבֵיתָהּ מִשָּׁלֶג כִּי כָל־בֵּיתָהּ לָבֻשׁ שָׁנִים׃
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21
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מַרְבַדִּים עָשְׂתָה־לָּהּ שֵׁשׁ וְאַרְגָּמָן לְבוּשָׁהּ׃
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22
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נֹודָע בַּשְּׁעָרִים בַּעְלָהּ בְּשִׁבְתֹּו עִם־זִקְנֵי־אָרֶץ׃
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23
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סָדִין עָשְׂתָה וַתִּמְכֹּר וַחֲגֹור נָתְנָה לַכְּנַעֲנִי׃
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24
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עֹז־וְהָדָר לְבוּשָׁהּ וַתִּשְׂחַק לְיֹום אַחֲרֹון׃
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25
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פִּיהָ פָּתְחָה בְחָכְמָה וְתֹורַת־חֶסֶד עַל־לְשֹׁונָהּ׃
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26
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צֹופִיָּה הֲלִיכֹות בֵּיתָהּ וְלֶחֶם עַצְלוּת לֹא תֹאכֵל׃
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27
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קָמוּ בָנֶיהָ וַיְאַשְּׁרוּהָ בַּעְלָהּ וַיְהַלְלָהּ׃
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28
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רַבֹּות בָּנֹות עָשׂוּ חָיִל וְאַתְּ עָלִית עַל־כֻּלָּנָה׃
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29
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שֶׁקֶר הַחֵן וְהֶבֶל הַיֹּפִי אִשָּׁה יִרְאַת־יְהוָה הִיא תִתְהַלָּל׃
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30
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תְּנוּ־לָהּ מִפְּרִי יָדֶיהָ וִיהַלְלוּהָ בַשְּׁעָרִים מַעֲשֶׂיהָ׃
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31
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Le verset 10 qui introduit l’ensemble mérite une particulière attention. Sa forme interrogative suggère que la description qui suit brosse le tableau idéal, et non une personne en particulier. L’expression centrale de ce verset est bien sûr le premier segment : אֵֽשֶׁת־חַ֭יִל, qui ne va pas sans rappeler une expression consacrée en hébreu, dont elle est le pendant : אִישׁ חַיִל, « un homme fort, homme vaillant » d’où « homme aguerri, guerrier » (x18 : Genèse 47.6, Exode 18.21, 25, Juges 3.29,20.44, 46, 1 Samuel 31.12, 2 Samuel 11.16, 24.9, 1 Rois 1.42, Isaïe 5.22, Jérémie 48.14, Nahum 2.4, 1 Chroniques 10.12, 11.22, 26.8, Psaume 76.6 et Néhémie 11.6).
Un nombre assez appréciable de versions anciennes rendent ce segment par « une femme forte » (Fillion, Giguet, Perret-Gentil, Samuel Cahen, Crampon, Glaire-Vigouroux, Port Royal). Convenons que cela prête à sourire : on s’imagine un peu une de ces mamma italienne…
On découvre bien vite qu’il s’agit d’une « contamination » de la Vulgate, qui porte mulierem fortem. Or, notre « femme forte » d’aujourd’hui n’a sans doute rien à voir avec la « femme forte » à laquelle songeait Jérôme…
Car l’idéal féminin biblique, c’est bien plus qu’une mamma… Certes, elle en partage la poigne. Mais le terme חַיִל désigne surtout ici la vaillance de celle qui se retrousse les manches : autrement dit, la valeur. Le parallélisme quasi synonymique avec la deuxième partie du verset 10 appuie ce choix sémantique (//וְרָחֹק מִפְּנִינִים מִכְרָהּ׃).
C’est l’occasion de rappeler qu’il faut se méfier des termes comme חַיִל. Son sens fondamental est la force, la vigueur (Juges 11.1). Mais cette puissance peut aussi être relative à la propriété, la richesse (Genèse 34.29), voire à la compétence. (Genèse 47.6).
Une tentation pourrait être de rendre l’ensemble de ces sens : courage, force (vigueur/vaillance), compétence, valeur (richesse). Mais ce serait tomber dans un certain nombre de pièges linguistiques. Un terme ne prend qu’un seul sens dans un contexte donné, non un petit peu de tous ceux qu’il peut virtuellement prendre ailleurs.
Ma première impression en lisant le texte hébreu fut de songer à l’expression « femme vaillante ». C’est à mon avis un excellent choix (Bible Annotée, Martin, Bible en Français Courant, du Rabbinat). Mais c’est peut-être trop proche du sens étymologique, et, bien qu’adapté au contexte, sans doute trop restrictif. Un bon choix consiste alors à adopter l’expression « femme de valeur » (choix largement adopté par les versions modernes, ex. TOB, S21, NBS, Darby, …). Femme vertueuse est sans doute trop dépourvu de sens. A. Barucq rend à juste titre par « femme de ressources » et s’en explique bien (cf. Le Livre des Proverbes, Sources Bibliques, Gabalda, 1964, p.232)