Mais qui sont ces créatures mentionnées dans le mystérieux Livre de Job (Job 40.15, 41.1, etc.) ? Sont-ce des créatures réelles (hippopotame et crocodile comme on l’affirme souvent), ou des créatures mythologiques (Apsû et Tiamat des légendes babyloniennes) ? Ou mieux que cela ?
Une tournure m’intrigue particulièrement (Job 40.19), à propos de Behémoth :
הוּא רֵאשִׁית דַּרְכֵי־אֵל
Il est le commencement des voies de Dieu…
On ne peut s’empêcher de penser à Colossiens 1.15 et Proverbes 8.22. Mais alors, quel est le sens ?
Bien d’autres passages intriguent, mais quand on pense à Révélation 13.1 qui décrit une bête sauvage à 7 têtes et 10 cornes, on est assez tenté alors de faire le rapprochement avec le dragon mythique Léviathan – un dragon en réalité moins mythique que symbolique.
Quand on essaie d’identifier ces deux protagonistes, c’est en fait le sens profond du livre de Job auquel on s’attaque. Bien sûr on sait qu’il traite du problème du mal, du culte désintéressé qu’un humain peut rendre à Dieu. Mais sait-on bien ce que Dieu répond à Job ? A-t-on décrypté ses paroles, comme on peut décrypter par exemple ses paroles en Genèse 3.15 ?
Le prolifique Gérard Gertoux livre à nouveau une étude passionnante :The Book of Job : When, Where and Why ? Tout un programme !
C’est dense, c’est bien documenté – et pour une fois, cela ne se résume pas à la chronologie, puisqu’au when (quand Job a-t-il vécu ?), Gertoux ajoute deux éléments fort intéressants, le where (où Job a-t-il vécu ?) et surtout why (pourquoi le livre de Job a-t-il été écrit, quel est son message aujourd’hui ?). Des éléments historiques, géographiques et théologiques se mêlent donc pour livrer l’une de ses thèses les plus captivantes. On y trouve une analyse serrée de la prophétie de Daniel, de son aboutissement dans la Révélation, et de son lien profond avec le livre de Job.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est assez inattendu – et surtout, cela explique et élucide bien des « mystères ».
À cette analyse historique, géographique et théologique de Job par Gertoux, il serait souhaitable d’ajouter une analyse littéraire, car je pense qu’on ne peut dissocier le fond de la forme en poésie. Certaines explications avancées par Gertoux (par exemple sur כִּימָה et כְּסִיל) pourraient être soutenues plus efficacement par ce biais. De même, son approche rationnelle à l’excès suscite des objections (ah, et que faire de l’herbe que mange Behémoth – Job 40.15 ?) qui pourraient être levées si l’on prenait en compte le caractère poétique de certaines descriptions. Je précise : l’approche naturaliste échoue à tout expliquer, de même que l’approche mythologique, de même que l’approche rationnelle. Il faudrait, je pense, superposer ces lectures pour rendre compte de Job ! En particulier, je ne suis pas persuadé qu’évacuer la composante mythologique soit nécessaire (pourquoi ne pas voir une récupération des légendes babyloniennes, leur démythification, et leur réactualisation ? Certains concepts mythologiques figurent bel et bien dans les Écritures, cf. 2Pierre 2.4 ; mais ce qui importe c’est moins le symbole ou sa provenance que le sens qu’il prend dans la Bible).
Ceci étant dit, le travail de Gertoux se suffit amplement à lui-même, et on ne saurait s’attendre à de l’analyse littéraire chez… un historien.
Pour ma part j’ai du mal à digérer ce travail. J’en reste tout ébaubi…