ὁμολογέω + ἐν = sémitisme

Le verbe ὁμολογέω – qui signifie être d’accord, reconnaître, admettre, promettre, confesser (que)… – se construit de bien des manières, et notamment :

ὁμολογέω + datif, ex. ἐξομολογοῦμαί σοι πάτερ κύριε τοῦ οὐρανοῦ καὶ τῆς γῆς (Luc 10.21) : je t’exalte, Père, Seigneur du ciel et de la terre, …
ὁμολογέω + objet, ex. πᾶν πνεῦμα ὃ μὴ ὁμολογεῖ τὸν Ἰησοῦν (1 Jean 4.3) : tout esprit qui ne reconnaît pas Jésus (ou: ne confesse pas)
ὁμολογέω + ὅτι, ex. Ὃς ἐὰν ὁμολογήσῃ ὅτι Ἰησοῦς ἐστιν ὁ υἱὸς τοῦ θεοῦ (1 Jean 4.15) : Celui qui reconnaît que Jésus est le Fils de Dieu
ὁμολογέω + double accusatif : ἐάν τις αὐτὸν ὁμολογήσῃ χριστόν (Jean 9.22) : si quelqu’un le reconnaît comme Christ
On est donc surpris de lire en Matthieu 10.32 :

Πᾶς οὖν ὅστις ὁμολογήσει ἐν ἐμοὶ ἔμπροσθεν τῶν ἀνθρώπων ὁμολογήσω κἀγὼ ἐν αὐτῷ ἔμπροσθεν τοῦ πατρός μου τοῦ ἐν [τοῖς] οὐρανοῖς Quiconque donc me reconnait devant les hommes, je le reconnaîtrai moi aussi devant mon Père qui est aux cieux.

Cette tournure ὁμολογέω + ἐν, qu’on retrouve en Luc 12.8 et Romains 10.9 exclusivement, est en fait un sémitisme, cf. hébreu = hôḏâ be, araméen = ’ôḏî ḇe , ou syriaque,’awdî ḇe. On ne saurait trancher avec certitude entre hébraïsme ou aramaïsme (cf. EDNT II : 514, MHT II : 59, MM : 449). D’ailleurs, la tournure de la phrase elle-même (« quiconque/celui qui… » ; l’anacoluthe Πᾶς οὖν ὅστις…ὁμολογήσω – cf. Lagrange, Matthieu, p.211 ; BDF §466.3), et certains éléments du contexte (ex. v.25, Βεελζεβοὺλ, sans doute « seigneur des mouches ») font penser à un arrière-plan sémitique.

La TMN qui rend la première partie de Mt 10.32 par « Tout homme donc qui confesse devant les hommes qu’il est en union avec moi » commet un curieux contresens, attendu que cette idée se dirait plutôt : Πᾶς οὖν ὅστις ὁμολογήσει ὅτι ἐν ἐμοὶ [ἐστιν].
Sur les usages classiques, cf. Bailly : 1377, Magnien-Lacroix: 1251 et LSJ : 1226 ; pour les usages dans le NT, la LXX et la littérature extra-biblique, cf. BDAG 708, MM : 449, Spicq, LTNT : 1109-1109 (pour ὁμολογουμένως ), LN 33.274, 33.275, 33.221, TDNT 5 : 199-219.

5 réactions sur “ ὁμολογέω + ἐν = sémitisme ”

  1. Shonin Réponse

    Vos réponses de l’autre fois m’ont motivé à participer sur ce super blog.

    (j’ai mis un peu à jour mon post)

    J’ai l’impression que la dernière phrase de l’avant dernier paragraphe n’est pas terminée : , et le contexte (ex. v.25, Βεελζεβοὺλ, sans doute « seigneur des mouches »)… ??… Ha vous l’avez corrigé. Merci.

    Je me demandais, si la proposition de la TMN est un « contresens » (sens contraire). Comment traduire alors l’expression ?

    La plupart des traductions de la Bible laisse le laconique et peu clair « me confesser ». La TMN fait là un périphrase plutôt intéressante, non ?
    Il faudrait dire plutôt un faux-sens dans le cas de la TMN, selon votre avis.
    (c’est un reste de mes cours de version à la fac, mes profs faisaient la différence).

    Autre point : Vous faites le lien avec Romains 10:9
    Mais, si on tient compte de (τὸμα) (coucou biblehub), n’est ce pas unὁμολογέω + objet ? ἐ
    ν τῷστόματί σου n’étant alors que la reprise de l’expression au verset 8 ?

    • areopage Auteur ArticleRéponse

      Merci pour votre message qui m’a permis de corriger une anacoluthe non souhaitée…

      Un contresens n’est pas forcément un sens contraire. Il s’emploie pour désigner un sens qui n’est pas le « sens véritable d’un texte » (cf. http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/fast.exe?contresens).

      Ainsi la TMN fait bien un contresens, puisque (je simplifie légèrement) le sens n’est pas « quiconque confesse qu’il est en union avec moi » mais « quiconque me confesse, me reconnaît ».
      Je pense que la confusion est due à des passages parallèles, où effectivement ἐν + datif peut signifier, en qqn, à savoir : en union avec cette personne (ex. ἐν Χριστῷ = en Christ, i.e. en union avec Christ, ou grosso-modo : selon la pensée du Christ).

      En fait, ce qui est important, c’est l’analyse. Si on ne reconnait pas l’idiotisme sémitique, on ne peut que rendre par une périphrase. Or l’idiotisme est caractérisé, ici ὁμολογέω + ἐν = reconnaître/confesser qqn. On n’a pas affaire à la variété lexicale ou expressive, ni à la latitude du traducteur. Ce serait « intéressant » si c’était une meilleure manière de rendre le sens.

      Mais que je vous rassure : je ne vise pas plus la TMN qu’une autre traduction. Parfois les trouvailles sont bonnes, parfois moins. Mais c’est le lot de toutes les traductions : « sans la liberté de blâmer, il n’est d’éloge flatteur ».

      En Romains 10.9 la construction est.comparable : idiotisme sémitique, mais avec un sens différent. Car la construction est un tantinet plus élaborée : ὁμολογέω + ἐν + objet, professer publiquement (« confesser de sa bouche ») – quoi ?- que Jésus est Seigneur. Je ne vois pas très bien où vous voulez en venir avec la reprise de « de sa bouche » du verset 8, qui n’empêche pas du tout de caractériser ὁμολογέω + ἐν comme un sémitisme, bien au contraire !

  2. Shonin Réponse

    D’accord.

    Je ne voulais pas en venir à un point particulier. Je me demandais juste si c’était quand même valable pour Romains étant donné le (τὸ ῥῆμα) entre ὁμολογήσῃς et ἐν τῷ στόματί.

    Trouve-t-on cette idiotisme ὁμολογέω + ἐν en hébreu dans la Bible ?
    J’avais lu il y a quelques temps des articles très intéressant défendant l’idée selon laquelle l’évangile selon Matthieu aurait été écrit à l’origine en hébreu (faisant un lien avec le Talmud et le nom divin…). Donc le contexte sémitique, il me semble clairement évident. 🙂

    Comment est rendu le texte dans les versions hébreux de Matthieu ?

    C’est clair que la TMN qui rajoute une conjonction là où le texte n’en a pas est discutable (je sais que vous appréciez la TMN, ne vous inquiétez pas, je l’aime bien aussi, mais les traductions sont rarement à 100% parfaite (je fais moi-même ma propre traduction comme vous, c’est pas du gâteau)).

    Ce qui me gêne un peu, c’est le fait de traduire tout court par « reconnaître/confesser Jésus ». Je trouve que c’est un peu trop du mot à mot et qu’en français moderne, on a perdu un peu l’idée.
    Pour le quidam moyen, l’idée de confesser, déjà le lecteur est presque perdu, se confesser, confesser quelque chose, ok, mais « confesser quelqu’un ». Si un traduction met ainsi, elle aurait intérêt à mettre un note explicative sur cette idiotisme.
    Pour « reconnaître Jésus », c’est déjà un peu mieux mais vraiment trop peu précis. Car reconnaître quelqu’un n’est pas forcément manifeste publiquement.

    Sans oublier que c’est en parallélisme, si j’ose dire, avec le fait de renier (ἀρνέομαι) Jésus au verset suivant.
    donc il y a une prise de position déclarée, non ?

    Vous traduiriez comment ? finalement ?

    (désolé si je pose beaucoup de questions, j’espère que je ne prends pas trop de votre temps…).

    • areopage Auteur ArticleRéponse

      Le verbe en question signifie reconnaître, professer, confesser (mais pour vous ce terme semble galvaudé). Voyez comment c’est rendu dans Shem Tob, ici p.12 : http://www.torahresource.com/DuTillet/EvenBohan-5.13.pdf
      Dans les versions en hébreu moderne, c’est יוֹדֶה בִי.

      Ma traduction finale figure dans le post : reconnaître, en parallèle avec… renier. Qu’est-ce qui vous incite, du point de vue lexical, contextuel, voire théologique, à penser que « reconnaître » affadirait le sens de ὁμολογέω ?

      Certes confesser est connoté, et en plus il a d’autres sens. Mais méfiez-vous de ce qu’on appelle en linguistique le tranfert illégitime de la totalité du sens : cette tendance à vouloir superposer tous les sens que peut prendre un mot, mais qu’il ne prend évidemment dans un passage particulier puisqu’il ne prend qu’un seul sens, clair, net, et précis.

      Ainsi « confesser » fait aussi l’affaire. Confesser Jésus, ce n’est pas évidemment pratiquer une confession des péchés, mais une confession ou profession de foi. Ce n’est pas laconique, ce n’est pas peu clair.

      C’est ça que signifie notre passage, et bien d’autres. Je préfère néanmoins « reconnaître » parce qu’il cadre bien avec l’antithèse renier. Et puis Jésus… reconnaît à son tour quiconque croit en lui, auprès de son Père. Gageons qu’il ne fait pas profession de foi. Il ne faut donc pas placer trop de signification sur ὁμολογέω sous peine d’aboutir à des paradoxes.

      D’autres parallèles évoquent un tribunal céleste où il est question de Jésus s’adressant à des soi disant disciples : éloignez-vous de moi…. Reconnaître Jésus, c’est bien plus qu’une profession de foi seule. Mais ne soyons pas prompt à faire dire trop de choses à Mt 10.32.

  3. Shonin Réponse

    «  » D’autres parallèles évoquent un tribunal céleste où il est question de Jésus s’adressant à des soi disant disciples : éloignez-vous de moi…. Reconnaître Jésus, c’est bien plus qu’une profession de foi seule » »

    C’est justement ça qui me fait penser que reconnaître est un peu léger même si c’est correct.

    Merci d’avoir pris le temps de répondre.

    A bientôt sur un prochain post. 😉

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