Une étude publiée le 2 juin 2020 dans le magazine Cell (Anava et al., 2020, Cell 181, pp.1-14) vient d’apporter un nouvel éclairage à la question controversée de la provenance des manuscrits dits de la mer Morte.
The discovery of the 2,000-year-old Dead Sea Scrolls had an incomparable impact on the historical understanding of Judaism and Christianity. “Piecing together” scroll fragments is like solving jigsaw puzzles with an unknown number of missing parts. We used the fact that most scrolls are made from animal skins to “fingerprint” pieces based on DNA sequences. Genetic sorting of the scrolls illuminates their textual relationship and historical significance. Disambiguating the contested relationship between Jeremiah fragments supplies evidence that some scrolls were brought to the Qumran caves from elsewhere; significantly, they demonstrate that divergent versions of Jeremiah circulated in parallel throughout Israel (ancient Judea). Similarly, patterns discovered in non-biblical scrolls, particularly the Songs of the Sabbath Sacrifice, suggest that the Qumran scrolls represent the broader cultural milieu of the period. Finally, genetic analysis divorces debated fragments from the Qumran scrolls. Our study demonstrates that interdisciplinary approaches enrich the scholar’s toolkit. [Source]
On avait tout envisagé : de la composition ou la copie sur place à l’importation de l’extérieur de la communauté, de la bibliothèque propre à la secte au dépôt précipité de textes pour les préserver des ravages de la guerre des Juifs contre les Romains en 66-73 AD. Pour « jeter un éclairage scientifique sur un débat théologique » (source), une équipe internationale de chercheurs, menée par O. Rechavi, a donc analysé l’ADN de fragments de ces manuscrits. Étude longue et délicate : il a fallu sept ans, et encore, 13 textes seulement ont été passés au peigne fin (sur les 900 manuscrits et 25 000 fragments que compte ce corpus).
Nous avons découvert en analysant des fragments de parchemins que certains textes ont été écrits sur des peaux de vache et de moutons alors qu’auparavant nous estimions que tous étaient écrits sur des peaux de chèvres – Pnina Shor (IAA) [source]
Ainsi les manuscrits ne viennent pas tous du désert ont ils ont été trouvés (où l’on trouve peu de vaches, n’est-ce pas), et ce point est d’une grande importance pour caractériser l’état du texte biblique entre le II/IIIe s. av. JC et le Ier s. ap. JC.
En particulier des fragments (livre de Jérémie) qu’on pensait appartenir à un même manuscrit se sont avérés de provenance différente (les uns composés sur des peaux de chèvre, et les autres sur des peaux de vache).
The different animal source of the Jeremiah scrolls (with 4Q71 and 4Q72a deriving from sheep and 4Q70 and 4Q72b from cow; Figure S3A; Table S5) was shown above to stand in relation to their textual diversity (as 4Q71 and 4Q72a match the short text of the Septuagint, 4Q72b matches the long text of the Masoretic tradition, and 4Q70 reflects an originally independent textual tradition brought closer to the long text). This leads to the conclusion that they represent not only a secluded sect but, rather, the broader cultural milieu of Judea in the Second Temple period. Our analyses of variations in the nuclear genome suggest that a similar pattern of textual plurality applies generally to other scrolls as well because some of them can be identified as brought from elsewhere. Anava et al. 2020 : 9
Or provenance et type de texte (affinités avec la Septante, le texte massorétique, ou tradition indépendante ; voir ici) sont de nature à éclairer, non seulement l’histoire du texte biblique, mais aussi le judaïsme de l’époque du Second Temple. Ainsi l’explique le professeur Mizrahi :
Since late antiquity, there has been almost complete uniformity of the biblical text. A Torah scroll in a synagogue in Kiev would be virtually identical to one in Sydney, down to the letter. By contrast, in Qumran we find in the very same cave different versions of the same book. But, in each case, one must ask: Is the textual ‘pluriformity,’ as we call it, yet another peculiar characteristic of the sectarian group whose writings were found in the Qumran caves? Or does it reflect a broader feature, shared by the rest of Jewish society of the period? The ancient DNA proves that two copies of Jeremiah, textually different from each other, were brought from outside the Judean Desert. This fact suggests that the concept of scriptural authority — emanating from the perception of biblical texts as a record of the Divine Word — was different in this period from that which dominated after the destruction of the Second Temple. In the formative age of classical Judaism and nascent Christianity, the polemic between Jewish sects and movements was focused on the ‘correct’ interpretation of the text, not its wording or exact linguistic form. [source]
Prof. Oded Rechavi (à gauche) et Prof. Noam Mizrahi.
Si des formes différentes du livre de Jérémie ont été importées à Qumrân, on en déduit notamment : 1) que ces formes diverses du texte ne sont pas propres à la secte, 2) qu’elles caractérisent un judaïsme plus large, et 3) que l’interprétation (sectaire ou non) comptait plus que l’exacte lettre (puisqu’elle différait chez les uns et chez les autres).
L’étude suggère un constat comparable avec les fragments des Chants pour l’holocauste du sabbat (4Q403), oeuvre mystique très populaire à Qumrân dont on pouvait se demander si elle était une idiosyncrasie qumrânienne (11 copies trouvées, ce qui est plus que certains livres bibliques) : « The fact that only Mas1k belongs to haplogroup A wherease the Qumran copies of the work belong to haplogroup B suggests that the work was known beyond Qumran caves » (p.10). Comme on le voit les résultats de cette longue, fastidieuse et très-technique analyse sont très prometteurs, car ils pourront sans doute lever le voile sur la provenance (voire le « milieu ») des manuscrits, mais aussi, pourquoi pas, questionner de précédentes reconstitutions.
Jusqu’à présent, ce qu’on appelle la QSP (Qumran Scribal Practice), la Pratique Scribale de Qumrân, était caractérisée par des informations essentiellement calligraphiques et linguistiques (cf. p.9 et Tov 2004). On pourra désormais y ajouter, avec prudence et surtout patience, la paléogénomique.
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