Réalisé par A. Nanot, N. Ciarapica, J. Caplot et T. Mathey, le nouveau site Bibliorama est entièrement consacré non seulement aux versions bibliques françaises, mais aussi aux outils qui gravitent autour de l’étude de la Bible : manuels de théologie et d’archéologie, dictionnaires, outils pour l’apprentissage de l’hébreu, ou encore concordances.
BIBLIORAMA, c’est d’abord un regard panoramique sur tout l’univers des bibles en français. Le choix des bibles en français est tellement vaste que l’on si perdrait et nous sommes là pour vous accompagner dans votre choix. (…) Bibliorama, c’est un regard sur l’univers de la bible, depuis sa composition, sa compilation, sa traduction et sa diffusion. BIBLIORAMA, c’est aussi un site d’information et de présentation des diverses traductions de la bible en français, ainsi que des outils qui vous permettront de choisir la bible qui vous correspond.
Il est vrai qu’hormis ma page Versions Bibliques Françaises, conçue il y a des années et jamais vraiment mise à jour, il n’y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent en termes de présentation et d’orientation dans la jungle des traductions bibliques disponibles en français.
Bibliorama entreprend ce travail de longue haleine, et le résultat se révèle des plus intéressants. La page à mon sens principale du site est celle intitulée 50 bibles françaises, où l’on trouve un tableau classant la plupart des versions disponibles classées selon leur nature : « Famille Segond », évangélique, protestante, œcuménique ou interconfessionnelle, catholique, juive, libérale, tendancieuse.
Chaque version est ensuite assortie d’une fiche descriptive indiquant date de parution, éditeur, type de traduction (littérale, semi-littérale, équivalence dynamique), facilité de lecture, type de public, confession, textes grec/hébreu traduits, présence des deutérocanoniques, ordre des livres, modernité ou non des unités de poids et mesures. Vient ensuite une présentation plus conséquente, accompagnée de remarques et d’extraits.
Pour la Bible du Centenaire, je signale qu’elle est désormais disponible sur archive.org : voyez ma page dédiée : Bible du Centenaire (AT 1941-1947, NT 1928-1929). Celle de sœur Jeanne d’Arc est par ailleurs disponible ici : Les Évangiles – Les Quatre.
Une telle mine d’informations s’expose fatalement à des erreurs ou imprécisions. Ce qui m’agace le plus, vous l’aurez deviné, c’est la rubrique « versions tendancieuses ». A mon avis le simple fait d’indiquer qu’une version est confessionnelle (catholique, protestante, juive) ou qu’elle s’adresse à un certain type de public (ex. pour un public d’initiés, engagé, et messianique pour la Stern !) prouve que cette version n’est pas authentiquement dépourvue de « tendances ».
Il faut alors se reporter à la définition qui est fournie des traductions tendancieuses :
Ces traductions comprennent les bibles qui ne sont pas conformes à la doctrine protestante, et dont la traduction est souvent malhonnête, ceci afin d’appuyer le plus souvent leur doctrine, comme nier la divinité de Jésus dans la traduction du monde nouveau. Ces bibles sont présentées sur notre site pour l’étude et l’analyse de la traduction.
Ôtez cette bible qui me brûle les mains… elles ne sont mentionnées qu’à titre de curiosité…. et la TMN est particulièrement prise pour cible. Il est vrai que la TMN présente, comme toutes les autres traductions, des passages qu’on peut qualifier de « tendancieux« . C’est que les traducteurs ont fait des choix, et que leur grille de lecture n’est pas trinitaire. Mais de là à dire que la TMN nie la divinité de Jésus quand le verset de Jn 1.1c qui est cité se lit « et la Parole était un dieu« , il y a une contradiction qu’il faudrait éclaircir. Nie-t-on la divinité de quelqu’un quand on dit de quelqu’un qu’il est « un dieu » ? Ou est-ce la déité (au sens trinitaire) qui est niée ?
Inutile de refaire le procès de ce verset controversé, l’exercice semble vain et les positions, inébranlables ; en tout cas la grammaire grecque, souvent appelée au secours, n’y est pas suffisante, et elle n’est pas du côté que l’on croit. Bon nombre de traducteurs (Grzegorz Kaszyński en a recensé plus de 140 !), indépendants ou membres d’une confession traditionnelle, l’ont bien senti (ex. M. Goguel (protestant), « et le Verbe était un être divin » ; A. Loisy (libéral), « et le Logos était dieu », Bentley Hart (orthodoxe), « and the Logos was god »).
J’ajouterai que la remarque sur Exo 34.29 est absurde : émettre des rayons, ou rayonner, cela veut dire la même chose. Le terme rayon signifiant déjà, entre autres, « ligne ou bande lumineuse issue d’une source de lumière« , il n’est pas indispensable de préciser « rayon de lumière« . La curiosité des « cornes de Moïse » n’a ainsi rien à faire dans la rubrique consacrée à la TMN, et nuit, inopportunément (pour ne pas dire malhonnêtement), à sa crédibilité. La Bayard fait-elle d’ailleurs mieux (pour le sens véhiculé, et le naturel) en rendant ainsi : « la peau du visage de Moïse illumine ».
Ironie de l’histoire, l’affirmation « L’hébreu utilise le mot qeren qui signifie corne ou rayon » est inexacte : ce n’est pas le substantif קֶרֶן (qeren) qui est utilisé, mais le verbe קָרַן (qaran), dont le sens est bien émettre des rayons, briller/rayonner (cf. Clines, DCH VII 326, « shine, send out rays » ; BDB 902 « send out rays » ; Sander-Trenel 2000, 656, « la peau de son visage (de Moïse) jetait des rayons »), mais aussi « porter des cornes » (DHAB 1991, 339) cf. Psa 69.31 BHS v.32). Au vrai le sens du verbe dans ce verset (et l’orthographe de l’expression tout entière קָרַן עוֹר פָּנָיו) est incertain (s’agit-il d’une forme קרן I à distinguer d’une hypothétique seconde racine *קרן II ayant le sens « avoir des cornes« , ou n’y-a-il qu’une seule forme dont le sens obvie déconcerte ?) et, de ce fait, très débattu, en raison 1) de son peu d’attestations (cf. Philpot 2013), 2) de la possibilité d’un jeu de mots ou d’une ambiguïté volontaire (אור/עור ainsi que l’expression consacrée, אור פניו, « la lumière de sa face« , ex. Job 29:24, Psa 4:7, Psa 44:4, Psa 90:8) et 3) d’une potentielle tournure métaphorique (cf. Clines, Sasson ; à moins encore qu’au sens bien connu porter des cornes ne s’adjoigne un sens non attesté, mais dérivé du substantif, pour signifier être en gloire, être puissant, être resplendissant, d’où les LXX ; ce sens est connu pour le substantif, קֶרֶן force, puissance, gloire, éclat, quoique de manière toujours métaphorique semble-t-il, cf. Marchand-Ennery 1986:241, CDCH 405). Ce texte ambigu aurait alors suscité une tradition ‘al tiqrê suivie par les targums et sans doute la LXX (Propp), qui influencerait ainsi, à rebours et à tort, la compréhension du verbe dans le texte massorétique (→ Propp 1987, Sasson 1968, BA II 344-345)…
On peut aller plus loin et se demander pourquoi certains faits originaux, ou disons tendancieux, de certaines versions ne sont pas mentionnés, surtout s’ils sont absolument spécifiques et peu orthodoxes. Ainsi la Chouraqui est-elle seulement littérale sans être tendancieuse ? Quel linguiste nierait qu’une traduction étymologisante n’est pas gage d’authenticité, bien au contraire ? On peut savourer la Chouraqui quand on connaît l’hébreu, car c’est drôle et cela fait même réviser… Mais pour le sens, passez votre chemin. La Chouraqui encore fait le pari audacieux de restaurer le nom divin dans le Nouveau Testament (fait souvent reproché à la TMN) : est-ce si anodin qu’il ne faille pas le mentionner ? Ex. Mat 1:20, Mar 1:3, Luk 1:6, Joh 1:23, Act 2:20, Rom 4:8, 1Co 10:9, 2Co 6:17, Heb 8:2, Jam 1:7, 1Pe 1:25, 2Pe 3:8, Jud 1:14, Rev 1:8 (liste non exhaustive, je n’ai cité qu’un exemple par livre ; idem dans la Tresmontant, 78x yhwh ex. Mat 4:7-8).
Autre remarque, la Stern n’est-elle pas une traduction de traduction (de la Complete Jewish Bible), ce qu’il faudrait peut-être davantage souligner (c’est un autre point coutumièrement reproché à la TMN) ? Et ainsi de suite : on pourrait multiplier les remarques à l’infini.
Ces dernières ne devraient cependant pas occulter la qualité, l’ampleur et l’utilité du travail fourni sur le site Bibliorama, tout cela dans une interface web agréable, et des infographies réussies.
Le site évoluera certainement à l’avenir : je suggère donc (c’est sans doute en cours), des outils pour le grec biblique (quelques-uns sont mentionnés ici), mais aussi une rubrique dédiée à l’histoire de la traduction biblique et ses méthodes. Parmi les titres fondamentaux (s’il y en a d’autres, faites-moi signe !) pour l’histoire et les différentes versions :
- Delforge, La Bible en France et dans la francophonie
- Lortsch, m.a.j. Nicole, Histoire de la Bible française
- Auwers et al., La Bible en français – Guide des traductions courantes
- Kuen, Une Bible et tant de versions !
- Kuen, Encyclopédie des Questions (particulièrement pp.97-100)
- Bogaert, Les Bibles en français – Histoire illustrée du Moyen Âge à nos jours
- Babut, Lire la Bible en traduction
- Nieuviarts et al., Cahiers Évangile. n° 157, Traduire la Bible en français
Plus anecdotique, mais passionnant :
Enfin, pour ceux qui souhaiteraient creuser la méthode :
Liens : Bibliorama | LaRéférenceBiblique | levangile.com