07/04/2015

Le nom divin : imprononçable ? (Gertoux, 2015)

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The understanding of God’s name YHWH is so controversial that it is eventually the controversy of controversies, or the ultimate controversy. Indeed, why most of competent Hebrew scholars propagate patently false explanations about God’s name? Why do the Jews refuse to read God’s name as it is written and read Adonay « my Lord » (a plural of majesty) instead of it? Why God’s name is usually punctuated e,â (shewa, qamats) by the Masoretes what makes its reading impossible, because the 4 consonants of the name YHWH must have at least 3 vowels (long or short) to be read, like the words’aDoNâY and ’eLoHîM « God » (a plural of majesty), which have 4 consonants and 3 vowels ? At last, why the obvious reading « Yehowah », according to theophoric names, which all begin by Yehô-, without exception, is so despised, and why the simple biblical meaning, « He will be » from Exodus 3:14, is rejected.

Gérard Gertoux vient de livrer une nouvelle étude approfondie sur le nom divin, God’s name: readable but unpronounceable, why?. C’est sans doute l’un de ses articles les plus intéressants, pour peu qu’on se donne la peine de s’y plonger, et de vérifier les références. C’est un peu la synthèse de ses deux ouvrages (1999 et 2002), mais cela va plus loin : nouveaux documents, nouvelles analyses. Il montre combien l’usage du Nom a été fréquent, des temps les plus reculés jusque vers -150, date à laquelle les Juifs ont commencé, à l’oral et à l’écrit, à montrer de sérieuses réserves à utiliser le nom divin, spécialement avec les non-Juifs. Gertoux explique également les causes et les circonstances de l’apparition des substituts (הוא,שמא/השם, אדני,יהו/Yahu, Seigneur, Le Nom, Lui) : bien qu’on puisse situer le tournant majeur vers -300, au moment de l’apparition de la Septante, on peut montrer aussi que la connaissance du Nom a prévalu jusque vers 100 de notre ère, et même après : les témoignages d’auteurs romains, chrétiens, ou gnostiques ne manquent pas (cf. p.24). Gertoux montre également que contrairement à ce qu’on nous dit trop souvent, les Massorètes n’ont pas d’abord vocalisé le tétragramme avec les voyelles d’Adonay, mais celles de Shema. C’est un fait pourtant connu, mais occulté. L’examen de douze codices médiévaux (p.42) montre 1) qu’aucune harmonisation n’a eu lieu pendant des siècles, et 2) que ce n’est qu’à partir du XIe s. environ que le holem s’est ajouté au Nom. Il ne faut pas chercher l’origine de la forme française « Jéhovah » dans une bévue de lecture, mais plutôt dans les controverses qui ont agité les spécialistes pendant quelques siècles, et dont Gertoux livre un historique inédit (de 1200 à 1600), avant de montrer comment l’imbrologlio étymologico-théologique a faussé la donne (1600-2000). Ainsi, Gertoux rejette une vocalisation fondée sur le message théologique d’Exode 3.14. Il montre pourquoi la forme Yahweh/Yahvé qui, un temps, a été populaire, est fondée sur une méprise : dans la Bible, les explications des noms propres ont souvent peu de chose à voir avec le nom lui-même ; ce sont souvent des jeux de mots, et vouloir en tirer une vocalisation a posteriori relève de la spéculation pure. A ce titre Gertoux donne plus d’une vingtaine d’ « explications » (p.64) qui font réfléchir… Sans étymologie, c’est bien sûr l’étude des noms théophores qui fournit la clé à la question : la prononciation du Nom est-elle perdue ? Pour Gertoux, ce n’est pas le cas. Rappelons à cet effet que même les plus ardents défenseurs du nom divin, les Témoins de Jéhovah, pensent généralement que la vocalisation est perdue, tant au niveau des particuliers qu’auprès des instances officielles. A ceux-là, et à tous les spécialistes du Nom, Gertoux, et pour de bonnes raisons je pense, renvoie au Talmud (quelle ironie) : si ces Mesdames et Messieurs veulent se donner la peine, le plus excellent des noms se lit comme il s’écrit. Yehowah.

Toute cette histoire m’a fait penser au rouleau d’Isaïe (1QIsaa, 3.17-18), détail ci-dessus. Le Nom n’est plus prononcé aujourd’hui que par un substitut. Et pourtant il est facile à prononcer. La révélation du Nom est une étape essentielle dans l’histoire de l’humanité (cette révélation suscite d’ailleurs de nombreuses études, dernièrement celle de Römer) : or Dieu a déclaré que son nom ne passerait pas (Exode 3:15). : זֶה שְּׁמִי לְעֹלָם וְזֶה זִכְרִי לְדֹר דֹּֽר. Si l’on ajoute quelque foi à ces paroles, alors il faut être cohérent : le nom est parvenu jusqu’à nous et on peut donc le lire, le prononcer, et s’en servir.