07/02/2014

Corégence entre Amenhotep III et Amenhotep IV : fin du délire ?

J’avais évoqué dernièrement l’article de Gérard GertouxThe Akhenaten’s reign: an egyptological delirium!, où ce dernier soutenait entre autres, un peu à contre-courant (mais pas tout à fait) une corégence non négligeable entre les deux pharaons. Dans l’article Akhenaton de l’Encyclopaedia Universalis, sous-rubrique « Problèmes chronologiques du règne d’Akhenaton« , C. Desroches-Noblecourt résumait le problème ainsi (1968, tome I, p.536 – inchangé dans l’édition 2014) :

Les dates qui concernent la fin de la XVIIIe dynastie ne sont pas établies avec certitude, et de nombreuses discussions opposent encore les égyptologues à propos de toute la période dite amarnienne. Les uns situent la mort d’Akhenaton en 1372. D’autres – mais ce ne sont pas les seules écoles – la placent vers 1379. Quant à la durée du règne du roi, elle ne semble pas avoir dépassé dix-huit ou dix-neuf ans. Un autre problème se présente à propos d’Aménophis IV-Akhenaton : a-t-il été, comme certains monuments permettraient de le déceler, corégent avec son père pendant plusieurs années, ou, au contraire, pendant deux ou trois ans au plus ? Dans l’état actuel des connaissances égyptologiques, il est bien difficile de prendre position exactement, car aucun document ne nous indique clairement que telle année du gouvernement du père correspond à telle année de celui du fils. Néanmoins, beaucoup d’éléments incitent à penser que les premières années du règne du fils ont été contemporaines des dernières années d’Aménophis III. Au reste, la dynastie a livré plusieurs exemples de corégence entre un souverain et son successeur, et le fait ne serait aucunement nouveau. Tant que la question de la corégence entre Aménophis III et son fils Akhenaton ne sera pas élucidée, il sera, en conséquence, malaisé de placer exactement Toutankhamon dans l’histoire. Si, pour une période, deux souverains règnent conjointement, leurs successeurs immédiats occupent, dans l’histoire, une place plus haute que celle où l’on devra les faire figurer si les règnes précédents sont mis bout à bout au lieu de se chevaucher. Ceux qui refusent actuellement de considérer une corégence Aménophis III-Akhenaton, qui aurait duré plus de deux ou trois ans, sont donc obligés d’abaisser le début de la XIXe dynastie d’une douzaine d’années.

Il y avait là une certaine réserve recommandable, mais qui n’était pas représentative du consensus selon lequel l’absence de preuve était la preuve de l’absence, à l’évidence. On lit la même réserve par exemple chez N. Grimal, dans son Histoire ancienne de l’Egypte ancienne (Fayard, 1988, p. 270) mais cela ne l’a pas empêché de défendre une chronologie excluant la corégence (cf. Gertoux, Akhenaten’s reign, p.1).

Pour donner une idée du consensus, et de l’état d’esprit dans lequel il se trouvait, je vous renvoie à l’étude de Dimitri Laboury, Akhénaton (Pygmalion, 2010) : il qualifiait l’hypothèse de corégence entre les deux souverains de « fiction égyptologique » (cf. la réfutation de Gertoux, Akhenaten’s reign, pp.47 sq.).

Mais l’évidence était-il évidence, et la fiction, fiction ?

Une découverte vient d’être faite en Égypte, à Louxor, par une équipe égypto-espagnole.

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Il s’agit d’inscriptions et de fresques présentant les cartouches d’Amenhotep III et Amenhotep IV en vis-à-vis, et constituant, selon le Ministère des Antiquités Égyptiennes, une « preuve définitive » de leur corégence. On y lirait que le jubilé de l’an 30 d’Amenhotep III marque la première année du règne d’Amenhotep IV (ce qui est très proche de la reconstitution proposée par Gertoux ou Kitchen !). Il faut peut-être nuancer l’enthousiasme de Ministère en question. On connait par ailleurs un cas où un pharaon se fait représenter en présence de son défunt père divinisé. Ce n’est donc pas la présence des père et fils côte à côte qui apporte la preuve de la corégence : c’est plutôt le fait qu’ils soient tous deux représentés en pharaons.

N’étant pas connaisseur de ces sujets, je me permets néanmoins de formuler deux observations :

1) C’est plutôt l’absence de corégence qui est maintenant une hypothèse !

2) Les chercheurs devraient faire preuve de plus de modestie, et prêter une oreille plus attentive (c’est-à-dire scientifique) aux voix discordantes.

Pour en savoir plus :

F.J. Martin Valentin, Indications et évidences d’une corégence entre Amenhotep III et Amenhotep IV dans la nécropole thébaine

–  LaPresse.Ca : Deux importantes découvertes archéologiques en Égypte