28/08/2013

Deutéronome 14.5 : זֶמֶר = girafe, chameaupard ?

Notre connaissance des animaux mentionnés dans la Bible est très lacunaire : beaucoup d’espèces restent d’identification très incertaine, et ce n’est pas sans poser des problèmes pour la traduction de la Bible. Le cas de Deutéronome 14.5 illustre bien comment les traducteurs abordent un terme de sens incertain, voire inconnu. Il s’agit en l’occurrence du mot זֶמֶר (zémèr). Si on consulte les meilleurs lexiques à ce sujet, voici ce qu’on obtient : perh.  mountain sheep (CDCH), kind of gazelle (HALOT), sheep, mountain sheep, rock goat, chamois (DBL Hebrew), mountain sheep, meaning dubious (TWOT), a certain animal allowed as food, most prob. some kind of mountain-sheep or goat (BDB), et enfin en français : sorte de gazelle ou de capridé (DHAB). Comme ce mot ne figure qu’une seule fois dans la Bible (hapax legomenon), on ne peut s’aider des passages parallèles pour en deviner le sens. On est donc réduit à examiner le sens d’après le contexte immédiat du verset. Or les autres mots suscitent également des hésitations. Voici les approches qu’on trouve dans les versions françaises :

1. La traduction – supposition

L’énumération est une indication en soi : le verset mentionne en effet une série d’animaux comestibles, qui sont listés contrairement au Lévitique où ils sont plutôt caractérisés (ruminants au sabot fendu). Un bon moyen de tenter de supposer le sens de זֶמֶר est donc de s’intéresser au mot qui précède immédiatement, à savoir תְּאוֹ . Mais cela tourne court : תְּאוֹ est traduit par oryx selon les uns, chèvre sauvage selon les autres, mouflon selon d’autres encore. Et on peut allonger la liste : bœuf sauvage, aurochs, bison, buffle… Ce qui pouvait être une piste n’en est pas une : tout au plus perçoit-on une typlogie, les capidrés (Caprinae). À titre d’exemple, l’Ancien Testament interlinéaire hébreu – français traduit זֶמֶר par antilope et תְּאוֹ par mouflon.

2. L’absence de traduction

Pour les deux derniers animaux mentionnés en Deutéronome 14.5 par exemple (וּתְאֹו וָזָמֶר), la Bible du Rabbinat porte « l’aurochs, le zémer », Samuel Cahen « le théau et le zémer », et Perret-Gentil, « le theo, et le zamer ». C’est un déni de traduction, mais qui n’est pas si contestable que cela : c’est une indication claire qu’on en ignore l’identification exacte, et cela renvoie à une « réalité autre », qui rappelle à toutes fins utiles que le texte que l’on a sous les yeux fait état d’une « réalité autre ».

3. La traduction calque

Un réflexe courant des traducteurs est de se reporter aux anciennes versions pour tenter d’y trouver quelque lumière. En l’occurrence, le recours à la Septante explique la traduction la plus curieuse de toutes, puisque Louis Segond (mais aussi Glaire Vigouroux, Port Royal qui elles dépendent du latin ; ou encore Ostervald, Giguet, et moins excusable la Segond 21) rend זֶמֶר par girafe. En effet, la Septante porte le terme καμηλοπάρδαλις, c’est-à-dire girafe (oryx rencontré plus haut pour תְּאוֹ est également un calque du grec ὄρυξ). C’est très curieux quand on compare avec les autres animaux (d’autant que la girafe ne se rencontrait pas dans les territoires mentionnés dans la Bible), à plus forte raison quand on se donne la peine de comparer la morphologie des animaux en question :

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Cette leçon de la Septante, suivie par Jérôme dans sa Vulgate (camelopardalum) a donné « chameaupard » ou « caméléopard » – termes vieillis, et passablement fabuleux, qu’on ne rencontre plus que dans les anciennes versions (ex. Martin).

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Comme vous avez pu le constater, Bible Parser est muni d’un outil permettant de détecter les animaux mentionnés dans un passage et d’en savoir plus : sont indiqués la ou les nomenclatures scientifiques (hypothétiques), les traductions les plus courantes (mêmes les plus farfelues, affublées d’un ??), les mots hébreux ou grecs utilisés dans la Bible, et des références bibliographique, notamment à Fauna and Flora of the Bible et E.R. Hope, All Creatures Great and Small : Living Things in the Bible (mais pas uniquement, car l’outil a été élaboré à partir d’un grand nombre de dictionnaires et de références encyclopédiques bibliques françaises et anglaises).

Cet outil est intégré au module PAR (si vous avez coché cette option dans les paramètres), et aussi depuis le menu Outils Exégétiques. Si vous saisissez le terme « girafe », terme qui, bien entendu, n’est pas exact, vous aboutirez néanmoins sur la rubrique idoine, à savoir les animaux de type chèvre, chèvre sauvage, chèvre de montagne.

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Pour en savoir plus sur cet outil :