05/08/2013

2 Thessaloniciens 2.13 : ἀπαρχὴν ou ἀπ’ ἀρχῆς ?

Le texte de 2 Thessaloniciens 2.13 où il est question des disciples qui ont l’honneur d’être choisis ἀπαρχὴν εἰς σωτηρίαν (voir précédent post) a suscité bien des hésitations de traduction. À commencer parce qu’une variante sème le trouble : de nombreux témoins portent  ἀπ’ ἀρχῆς (ἀπό + ἀρχή = depuis le commencement) plutôt que ἀπαρχὴν (ἀπαρχή = prémices, premiers).

ἀπαρχὴν] Alex: B P 33 81 326 copbo Cyril Didymusdub CEI TILC Alex/Occ.: 1739 1881 Alex/Byz: 075 2464 Occ.: F G itc itdem itdiv itf itx itz vg Ambrose1/2 Pelagius Byz: 256 365 1573 1912 2127 syrh Euthalius Jean-Damascuscomm Theodorelat(1/2)

ἀπ’ ἀρχῆς] Alex: ‭א Ψ 6 104 181 330 451 459 1175 1241 2492 copsa WH NR Riv Nv NM Alex/Byz: 0150 César.: arm geo Occ.: D 614 629 630 1852 2200 2495 itar itb itd ite itg itmon ito vgms Ambrose Ambrosiaster Byz: K L 263 424 436 1319 1962 1984 1985 2127 Byz Lect syrp eth slav Chrysostom Jean-Damascustext Theodoret Theodorelat(1/2) Varimadum Vigilius ς ND Dio

ἑαυτῷ ἀπ’ ἀρχῆς] Byz: 88

Quand on consulte les versions françaises les plus courantes, on constate qu’une écrasante majorité traduit « dès le commencement », autrement dit opte pour la leçon ἀπ’ ἀρχῆς. Les commentaires sont singulièrement tourmentés sur la question. Quelques-uns voient la leçon ἀπαρχὴν comme une « lecture savante » qui aurait été introduite par référence à Jacques 1.18 et Romains 16.5 (cf. B. Rigaux, Saint Paul – Les Épîtres aux Thessaloniciens, Paris, Gabalda, 1956, p.682 ; cf. Osty ad loc.). D’autres affichent le support des Écritures pour les deux leçons: « comme prémices : cf. Ro 8:23; Ro 11:16; Ro 16:5; 1Co 15:20,23; 1Co 16:15; Ja 1:18; certains mss portent dès le commencement ; cf. 1Co 2:7; Ep 1:4; Ph 4:15; Col 1:26. » (Notes de la NBS).

En français, je n’ai trouvé que la NBS, la Bible de la liturgie, la Pléiade et la Bayard pour retenir la leçon ἀπαρχὴν. C’est l’occasion de rappeler qu’il faut toujours vérifier non seulement quel texte une version traduit (ex. TOB le Nestle-Aland dans sa 25e éd.), mais aussi avec quelque méthode (méthode « diplomatique » : reproduction exacte du texte; ou méthode éclectique par l’analyse des arguments internes et externes).

Concernant les éditions grecques,  le Texte Reçu, Alford, Tischendorf, Westcott et Hort, Tregelles, Nestle (1904) portent ἀπ’ ἀρχῆς tandis que les éditions plus récentes lisent ἀπαρχὴν : Merk, von Soden, SBL GNT, NA27/28.

À mon avis (et bien que je considère les deux leçons comme possibles), ἀπαρχὴν est l’originale. Pour l’étayer, plusieurs indices (cf. Metzger, TC : 568 et Comfort, NTTTC : 654-655) :

– Paul n’emploie jamais la tournure ἀπ’ ἀρχῆς, mais fréquemment ἀπαρχή (Romains 8.23,  11.16,  16.5,  1 Corinthiens 15.20,  15.23,  16.15, p.ê.  2 Thessaloniciens 2:13)

– à l’exception de Philippiens 4.15 (ἐν ἀρχῇ τοῦ εὐαγγελίου), ἀρχή désigne toujours chez lui le « pouvoir »,

– si Paul fait effectivement état d’une élection avant la fondation du monde/depuis des temps éternels, ex. Éphésiens 1.4 ou 2 Timothée 1.9, on peut légitimement rappeler qu’il considère aussi les élus comme des prémices, ex. Romains 16.5 et 1 Corinthiens 16.15,

–  les Thessaloniciens furent parmi les premiers convertis de Paul en Europe.

Comme ἀπ’ ἀρχῆς peut venir d’une mauvaise lecture de ΑΠΑΡΧΗΝ ou, vice-versa ἀπαρχὴν de ΑΠΑΡΧΗΣ, on ne peut rien arguer de la forme antique des manuscrits rédigés en onciales sans espace. Et il est évident qu’aucun de ces motifs, pris isolément ou ensemble, ne suffisent à garantir la lecture. Mais ce qui emporte mon adhésion, c’est le parallèle avec Révélation 14.4 où il est question encore des élus (au nombre symbolique de 144 000) comme prémices, ou premiers. Et de nouveau, une variante comme si cela choquait encore les scribes (Metzger : « copyists took offense of ἀπαρχὴν and altered it to ἀπ’ ἀρχῆς »), à la différence que dans ce passage la variante n’est l’affaire que de très rares témoins (cf. TC : 568, EDNT 1:163, CNTTS ad loc. var #48 : Sinaïticus, 1773, 2495). Idem en Romains 16.5 (P47 et D06).