25/07/2013

Qohélet et les disciples des sages (LXX vs TM)

Les nombreux auteurs qui s’attellent au projet de la Biblia Hebraica Quinta – projet excitant en termes de critique textuelle s’il en est – font régulièrement état de leur trouvailles dans des articles ou des conférences. Dans le recueil d’articles en l’honneur d’Adrian Schenker, Sôfer Mahîr (Supplements to Vetus Testamentum, vol 110, éd. Goldman, Kooij, Weis et al., Brill, 2006), on trouve par exemple un article de Y. A. P. Goldman intitulé « Le texte massorétique de Qohélet, témoin d’un compromis théologique entre les disciples des sages » (Qoh 7, 23-24; 8,1; 7, 19), pp.69-93.

Comme toujours, il s’agit de déterminer, le plus prudemment possible, si le texte massorétique est le témoin le plus fiable, ou si des versions comme les Septante peuvent apporter des variantes remontant à un état du texte plus authentique. Pour ce faire il faut comparer les différents témoins anciens (Vieille latine, version syriaque, etc.), et savoir pour quelle raison le changement, si changement il y a eu, est intervenu.

Pour Qohélet le soupçon est naturel : ce livre a été beaucoup disputé pour savoir s’il rendait les mains impures, autrement dit s’il était sacré et inspiré. Goldman fait état des témoignages rabbiniques (m. Yadayim III, 5, t. Yadayim II, 14, Pesikta de-Rav Kahana ח, et m.Sanhedrin X, 1) et pour quelles raisons ce livre heurtait les sensibilités théologiques du judaïsme pharisien de l’époque de Jamnia (Yabneh) :

– Qohélet avait l’air de dire que la sagesse est inaccessible (7.23-24),
– et, en affirmant que la sagesse se lit sur le visage, tout comme l’arrogance, il préconisait : gare à la présomption de sagesse ! (8.1 et 7.19)

Goldman compare les versions et soutient que des retouches ont été faites pour atténuer certaines aspérités jugées trop proches de l’hérésie. Ce faisant, il rappelle la valeur relative des versions anciennes pour l’établissement du texte pré-recensionnel du texte massorétique.

Sur ce blog, je ferai état le plus possible des passages où la comparaison entre la LXX (Septante, Vieux Grec) et TM (Texte massorétique) sont riches d’enseignements, particulièrement si un état proto-massorétique peut être supputé avec une relative confiance. Les passages du Qohélet tels qu’analysés par Goldman semblent en faire partie.

Ce dernier conclut son article par des remarques d’ensemble fort intéressantes :

1. Le milieu de sa canonisation a exercé une réelle influence sur le livre du Qohélet, et probablement sur les autres livres bibliques.

2. On ne peut jamais préjuger de la qualité d’une variante, même lorsque celle-ci apparaît dans une forme de texte attestant une révision systématique ou une certaine liberté du traducteur ou du trans- metteur par rapport à son original. Tout témoin ancien peut transmettre, même à son insu, des leçons originales. (…) La recherche du texte original du Tanakh exige de se garder soigneusement des idées scolaires et simplificatrices qui résultent des caractérisations globales des divers témoins. Ces caractérisations sont une aide utile mais elles constituent un danger permanent pour l’objectivité scientifique en critique textuelle. Même si l’on classe inévitablement les versions anciennes de la Bible hébraïque dans un schéma chronologique et un réseau d’influences relativement bien établies (bien du travail reste à faire en ce domaine!), la possibilité de trouver dans chacune d’entre elles des leçons anciennes et même originales devrait toujours rester à l’esprit du chercheur dans le domaine de la critique textuelle.

3. Du fait de sa très grande qualité, les crispations sur le texte massorétique restent aujourd’hui encore très fortes parmi les chercheurs; les commentaires et les éditions de la Bible s’en ressentent. (…) On a en effet tendance à étendre à la période pré- et protomassorétique la remarquable fidélité de transmission du texte massorétique proprement dit. Or, même pour le Pentateuque, la comparaison des textes de Qumran avec le Grec, le Samaritain et les Targums palestiniens montrent à l’évidence la fluidité de la transmission du texte jusqu’au premier siècle de l’ère chrétienne aussi bien que l’existence de types textuels.

Sur la Biblia Hebraica Quinta (BHQ), voir par exemple TovTigchelaar, Weis, LongacreHobbins. Les volumes parus sont disponibles dans les logiciels Logos 5 (c’est là où je m’en sers le plus souvent) et Accordance (voir ici).