Que signifie ἀπὸ καταβολῆς κόσμου (Matthieu 25.34, etc.) ?
Cette expression, ou sa variante πρὸ καταβολῆς κόσμου, figure dans un nombre appréciable de versets : Matthieu 13.35, 25.34, Luc 11.50, Jean 17.24, Éphésiens 1.4, Hébreux 4.3, 9.26, 1 Pierre 1.20, Révélation 13.8, 17.8. Les concepts théologiques qui y sont afférents sont extrêmement délicats : élection, prédestination, rédemption (→ étude thématique, cf. infra). Il est bien certain que le Nouveau Testament fait état d’élus qui partageront avec Christ une position céleste, un héritage glorieux. Mais ces élus ont-ils été désigné « avant la fondation du monde » comme certains passages le laissent entendre ? Autrement dit, Dieu a-t-il prédestiné des humains ?
Dans la parabole de Jésus, qui concerne l’héritage des disciples qui se montreront intègres, la perspective suivante est offerte : τότε ἐρεῖ ὁ βασιλεὺς τοῖς ἐκ δεξιῶν αὐτοῦ δεῦτε οἱ εὐλογημένοι τοῦ πατρός μου κληρονομήσατε τὴν ἡτοιμασμένην ὑμῖν βασιλείαν ἀπὸ καταβολῆς κόσμου.
Matthieu 25.34 : Alors le roi dira à ceux qui sont à sa droite : « Venez, (vous) les bénis de mon Père, héritez du royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde ».
Éphésiens 1.4 : de même qu’il nous a choisis, en lui, avant la fondation du monde pour que nous soyons saints et irréprochables devant lui en amour
Excursus : notons d’ailleurs que l’expression d’Abel à Zacharie, c’est de la Genèse – premier livre de la Bible – aux Chroniques, dernier livre de la Bible hébraïque, cf. Fontaine 2007 : 93-94, un peu comme si Jésus, voulant résumer tout le mal fait par les ennemis des prophètes, disait : de la Genèse à la Révélation ; c’est aussi un indice que le texte pouvait être cité par allusion à l’hébreu plutôt qu’au grec des Septante.
Jean 14.2-3 (S21) : Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père. Si ce n’était pas le cas, je vous l’aurais dit. Je vais vous préparer une place. Et puisque je vais vous préparer une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi afin que, là où je suis, vous y soyez aussi.
Astuce : Bible Parser est moins conçu pour la théologie que pour la linguistique. Si vos recherches vous mènent sur un sujet aussi délicat que la prédestination, l’élection des saints ou encore la rédemption, voici ce que je vous suggère : après la phase d’analyse proprement dite du passage (sémantique et syntaxique) et de son contexte large (chapitre, livre, corpus biblique entier), vous pouvez, avant de vous jeter à corps perdu dans les Commentaires ou les Encyclopédies, définir une problématique. Ce sera plus simple si vous ne refaites pas la roue : pour cela, voyez comment d’autres abordent le passage que vous avez sous les yeux, et ce, via les Thèmes bibliques et le Dictionary of Bible Themes (DBT) directement intégrés au module PAR (et aussi disponibles dans Outils > RefFinder pour une recherche à blanc, ou depuis Outils Exégétiques >Thèmes).Vous constaterez que des pistes vous sont suggérées. Même si vous ne voyez pas forcément les choses de la même manière, ce parcours guidé dans une sélection de versets peut vous ouvrir des horizons, ou a contrario infirmer votre sentiment, ou peut-être vous indiquer d’autres manières de comprendre les textes. Ce sera enrichissant de toute façon. Par exemple, pour 2Th 2.13, le thème 1754 aborde la notion d’héritage spirituel, le thème 1107 celui de l’élection :Et de fil en aiguille, vous arrivez à la notion de prédestination, thème 2861 :
Quant au DBT, il est encore plus exhaustif. A titre d’exemple, voici un échantillon de l’entrée 6708 « predestination » (en ligne ici ou ici) :Vous remarquez que le texte de Matthieu 25.34 est mise en parallèle avec Jean 14.2-3 et Romains 8.30 – ce qui est pertinent, et suggestif.Dernière astuce pour l’heure : dans le module PAR vous avez accès à Zondervan, Encyclopedia of the Bible. Cliquez sur le lien (à côté de Faune, Flore, Poids & Mesures) pour aboutir sur le site Biblegateway.com, au verset en cours (dans la version S21).Puis cliquez sur Show Resources pour avec accès à cette encyclopédie (qui vaut quant même la bagatelle de 219€ sur Amazon, ou 180€ dans Logos 5), et d’autres références fort utiles : Matthew Henry’s Commentary, The IVP New Testament Commentary Series, bien sûr le Dictionary of Bible Themes, Easton’s Bible Dictionary, Smith’s Bible Names Dictionary, All the Men of the Bible et Asbury Bible Commentary.
Que penser de l’expression « fondation du monde » dans ce texte ?
« En effet, nous qui sommes venus à la foi, nous entrons dans le repos dont il a dit : J’ai donc juré dans ma colère : En aucun cas ils n’entreront dans mon repos ! Ses œuvres étaient cependant faites depuis la fondation du monde » (Hébreux 4:3)
La fondation du monde semble ici marquer l’achèvement des œuvres de Dieu et nous savons que le couronnement de son œuvre est la création de la race humaine. La fondation du monde désignerait donc la fondation du monde des humains.
L’écart chronologique entre une fondation du monde par l’introduction du péché ou par la naissance d’Abel comme le pensent certains et une fondation du monde par Dieu est minime mais entre les deux il y a le péché et cela fait toute la différence.
Le royaume a-t-il été préparé avant la création de la race humaine ou entre le péché et la naissance d’Abel ? En d’autres termes, Dieu a-t-il prévu le péché et la façon d’y remédier dès le départ ou a-t-il du adapter son dessein originel ?
La question est subtile et intéressante, mais dépasse hélas mes compétences. Elle mérite en tout cas un examen attentif. Voici quelques éléments de réflexion.
Il est question de la génération de l’Exode qui n’est pas entrée dans le repos de Dieu, c’est-à-dire en Canaan (cf. Nombres 14.21-23 ; Psaume 95.11 et Hébreux 3.11). Dans le contexte immédiat (v.4), il y a une référence à Genèse 2.2, selon lequel Dieu s’est reposé au septième jour. On pourrait en droit de comprendre ici que le repos dont il est question, « depuis la fondation du monde », précède le péché humain.
Mais il ne faut pas extrapoler sur ce point : au septième jour, Dieu s’est reposé de l’acte créateur (pl. τῶν ἔργων, de ses œuvres), mais on sait par ailleurs qu’il continue, en un sens qu’il est difficile d’apprécier, à œuvrer (cf. Jean 5.17, Matthieu 5.45 ; cp. Matthieu 11.28). En outre, plusieurs indices montrent – dans ce passage – que le caractère allusif de l’exégèse de l’auteur de l’épître aux Hébreux (à mon sens, Apollos !) présente de curieuses affinités avec Philon (cf. Moffat 1924 : 49), voire avec l’exégèse rabbinique (précisément la gereza shawa). On est donc obligé de se méfier de la lettre, pour se concentrer sur l’esprit…
D’ailleurs, certains considèrent qu’il faut traduire la dernière partie d’Hébreux 4.3 sous forme de question : et cependant, ses œuvres ne sont-elles pas achevées depuis la fondation du monde ? (Ellingworth et Nida 1983 : 75). C’est ce qui est précisé un peu plus loin… au v.10.
L’allusion du v.4 au septième jour de repos de Dieu (quand la création était donc parfaite et le plan de Dieu abouti) n’est ainsi pas pertinente, c’est une allusion (visant à comparer les deux repos, l’ancien et le nouveau). Car Dieu institue (v.7 ὁρίζει) un nouveau jour, un aujourd’hui (σήμερον) qui conduit à une perspective nouvelle décrite par le verset 9 : ἄρα ἀπολείπεται σαββατισμὸς τῷ λαῷ τοῦ θεοῦ, il reste donc un jour de sabbat pour le peuple de Dieu.
Or ce jour de sabbat, ce repos de Dieu, n’existait pas depuis la fondation du monde. Il est nouveau.
Mais, bien que nouveau, il n’est peut-être pas si différent que le repos de Dieu de la Genèse : l’homme devait être parfait, incorruptible.