Classicisme
Courant esthétique regroupant l'ensemble des ouvrages qui prennent comme référence esthétique les chefs-d'œuvre de l'Antiquité gréco-latine. Le terme a une définition esthétique mais aussi historique, puisqu'en France l'« époque classique » est la période de création littéraire et artistique correspondant à ce que Voltaire appelait « le siècle de LouisXIV » ; il s'agit essentiellement des années 1660-1680, mais en réalité la période classique s'étend jusqu'au siècle suivant.
Le classicisme en France est un cas singulier: cette période a été appelée classique parce qu'elle se donnait comme idéal l'imitation des Anciens, mais aussi parce qu'elle est devenue une période de référence de la culture nationale. Au-delà de ces définitions historique et esthétique, le sens du terme « classique » a été étendu jusqu'à désigner tout écrivain dont l'œuvre semble propre à être étudiée dans les écoles pour y servir de modèle. Dans un sens encore plus large, est classique toute œuvre culturelle qui est devenue une référence: on dit ainsi couramment de tel film qu'il est un classique. Chaque littérature a ainsi ses écrivains classiques. Il existe par ailleurs des périodes littéraires qualifiées de classiques: «classicisme de Weimar» en Allemagne (du voyage en Italie de Goethe en 1786 à la mort de Schiller en 1805), « âge » de Dryden et de Pope en Angleterre, par exemple. Nous parlerons ici du classicisme du Grand Siècle.
. Classicisme et romantisme
C'est le romantisme qui, en rejetant les principes esthétiques hérités du XVIIe et du XVIIIesiècle, crée a posteriori le terme de classicisme (Stendhal, Racine et Shakespeare, 1823-1825 ; Victor Hugo, préface de Cromwell, 1827). L'institution scolaire fait ensuite du classicisme un mythe national, un moment de perfection de la langue et de la littérature, qui donne un modèle de rationalisme et de précision dans l'analyse psychologique, un modèle aussi dans la maîtrise des moyens et dans l'effacement du « moi », un exemple enfin de stylisation, de respect des règles et d'alliance entre l'esthétique et la morale. Cela ne va pas sans un tri sévère dans la littérature du Grand Siècle: des trente-cinq pièces de Corneille, l'institution ne semble avoir retenu que le Cid, Horace, Cinna et Polyeucte. De nombreux écrivains du XXesiècle revendiquèrent le classicisme, pensé comme un antiromantisme, par nostalgie d'une époque d'avant les Lumières et d'avant la révolution industrielle (c'est le cas de Maurras), par une démarche réflexive et un refus de l'actualité (c'est le cas de Valéry ou de Gide), par choix de la mesure face aux tentations de la chair (Claudel) ou de l'histoire (Camus). Classicisme et baroque Heinrich Wölfflin publia en 1898 un livre sur l'art italien du XVIe et du XVIIesiècle, l'Art classique, dans lequel il opposait classicisme et baroque: d'un côté la ligne droite, la noblesse et l'équilibre, de l'autre la courbe, le mouvement et le foisonnement. D'un côté Raphaël et Poussin (les classiques), de l'autre Michel-Ange et Bernin (les baroques). La notion de baroque ne sera introduite que plus tard dans l'histoire littéraire française ; elle permettra de nommer et de redécouvrir la période historique située entre la Renaissance et le classicisme, période placée sous le signe de l'irrégularité, du spectaculaire, de la métamorphose, de l'éphémère, de l'illusion et de l'identité vacillante.
. Le classicisme français du XVIIesiècle
La diversité de la littérature française du XVIIesiècle semble remettre en question la catégorie de classicisme. En effet, certains commentateurs ont été conduits à évoquer le « romantisme » des classiques, pour parler par exemple de la couleur locale dans le théâtre de Corneille, ou de la préoccupation du « moi » perceptible dans l'œuvre de Retz. D'autres ont même parlé du « naturalisme » des classiques, en évoquant la peinture sociale dans les grandes comédies de Molière, dans les romans de Charles Sorel ou de Furetière. On décèle en outre, dans la période dite « classique », une persistance du baroque, comme dans les pièces à machines (le DomJuan de Molière) ou dans la thématique funèbre de Bossuet. Tout cela a conduit les commentateurs à multiplier les étiquettes: préclassicisme, préciosité, burlesque, grotesque, libertinage, jansénisme, littérature mondaine, etc. Malgré cette confusion lexicale et la diversité des œuvres produites à l'époque dite classique, on peut tenter de définir le classicisme comme moment historique: alors que les pays du Sud sortent de leur siècle d'or, que ceux de l'Est sont ravagés par la guerre, alors que ceux du Nord s'enrichissent mais connaissent des troubles, l'État français cherche une stabilité après les guerres civiles du XVIesiècle (guerres de religion): il la trouve après les guerres du milieu du XVIIesiècle (la Fronde). La recherche d'une organisation harmonieuse et solide entre les élites sociales (caste parlementaire, grande noblesse d'épée) ou entre les courants religieux (gallicanisme et romanisme jésuite) comprend naturellement un volet culturel. Prolongeant la politique de Richelieu, LouisXIV affirme la vigueur de l'État en renforçant son administration et en intervenant dans l'économie, mais aussi en construisant une politique culturelle: subventions à des auteurs choisis et fondation d'institutions d'État, telles que les Académies. Richelieu avait fondé l'Académie française en 1634 et lui avait ordonné trois ans plus tard de rendre son jugement pour terminer la « querelle du Cid » (polémique littéraire autour d'un succès de Corneille). Seront organisées plus tard l'Académie royale de peinture et de sculpture (1648), celle d'architecture (1671) et celle de musique (dont Lully devient directeur en 1672). La mainmise royale sur le théâtre s'accomplit lors de la fusion de trois troupes pour former la Comédie-Française (1680). Les auteurs et les institutions de LouisXIV vont travailler pour définir le bon usage du français, au-delà de la diversité conflictuelle des castes et des goûts. Parallèlement se codifie le comportement en société par la définition d'un idéal de l'« honnête homme ». Ce travail hérite de l'Antiquité à travers la Renaissance italienne et l'humanisme érudit hollandais. L'Académie française s'était vu confier la tâche d'élaborer un dictionnaire, une rhétorique et une poétique: les trois domaines envisagés sont donc la langue, la prose et la littérature en vers. La langue classique La France du XVIIesiècle connaît encore le multilinguisme, avec des parlers ou des accents régionaux et sociaux très contrastés. Cependant, le français n'y est plus perçu comme une langue « vulgaire » par rapport au latin, comme c'était encore le cas au siècle précédent. Reste à en fixer le bon usage, c'est-à-dire « la façon de parler de la plus saine partie de la cour, conformément à la façon d'écrire de la plus saine partie des auteurs du temps », comme l'écrit Vaugelas dans ses Remarques sur la langue française (1647). De nombreux ouvrages paraissent à la suite du sien, comme celui de Ménage, Observations sur la langue française (1672). La fin du siècle voit paraître deux grands dictionnaires de la langue française (Richelet, 1680 ; Furetière, 1690) avant celui des Académiciens (1694). La prose classique La réflexion sur la prose classique dérive de celle sur l'art oratoire: les Belles Lettres naissent de l'éloquence, et donc de la rhétorique. Le style et les ouvrages de Cicéron (De oratore, Brutus) sont, à ce titre, fondateurs. Les érudits s'interrogent sur le meilleur style: quel est-il ? Est-ce l'« atticisme » (style sévère et simple) ou l'« asianisme » (style plaisant et orné) ? Cicéron insistait sur la nécessité du decorum, c'est-à-dire de l'adaptation du discours à la situation et à l'auditoire, impliquant des styles plus ou moins élevés. Ce decorum devient un concept clé du classicisme, par exemple dans l'écriture des lettres (notamment dans les recueils de lettres fictives ou réelles appelés Secrétaires). Les débats français reprennent alors les débats italiens. La civilisation de cour de la noblesse d'épée (la « cour ») et la conscience de classe de l'aristocratie de robe (la « ville ») s'y heurtent, comme le font, dans les Femmes savantes de Molière, Trissotin l'arrogant frivole et Vadius le pédant austère. S'ajoute à cela un débat sur la prose chrétienne, qui se place sous le signe de saint Augustin. C'est dans les années 1620-1630 que se forme un consensus français, dont la fin du siècle livre les synthèses (père Bouhours, Entretiens d'Ariste et d'Eugène, 1671). Préparée par les traductions (les « belles infidèles ») en français des historiens latins, la prose classique livre ses chefs-d'œuvre, dans des registres qui vont du style « naïf » c'est-à-dire naturel (les Lettres de MmedeSévigné) au style d'apparat (les Sermons et Oraisons de Bossuet). La prose s'illustre aussi par les mémoires (ceux de Retz ou de Saint-Simon), les œuvres morales (Maximes de LaRochefoucauld et Caractères de LaBruyère) mais aussi les contes (Perrault). Comme Poussin avait su s'éloigner en peinture à la fois du style du Caravage et du maniérisme, le roman abandonne à la fois le réalisme cru des « histoires comiques » (Sorel, Furetière, Cyrano de Bergerac) et l'irréalité élégante des longs romans de bergers (notamment les romans pastoraux, illustrés par Honoré d'Urfé avec l'Astrée) ou de princes (romans héroïques illustrés par MlledeScudéry avec le Grand Cyrus). À la place, le récit élabore un réalisme élégant, qu'illustrent bien les nouvelles historiques, comme la Princesse de Clèves de MmedeLaFayette. La littérature classique en vers L'Académie n'a jamais rédigé sa poétique, mais Boileau livre la sienne en 1674. Les grands noms pour la postérité y figurent déjà: Malherbe, père de la poésie lyrique classique, mais aussi Corneille, Racine et Molière pour la poésie « dramatique », c'est-à-dire le théâtre. La poétique classique (appelée « doctrine classique ») se place sous le signe de celle d'Aristote et de ses commentateurs italiens (Scaliger, 1561 ; Castelveto, 1570) ou hollandais (Heinsius, 1611 ; Vossius, 1647). Elle reprend à l'Antiquité la définition de la littérature comme « imitation » et le précepte « plaire et instruire », qui servira entre autres à justifier l'existence du théâtre contre les attaques des catholiques rigoureux (la comédie vaut par la satire morale, la tragédie par la « catharsis », c'est-à-dire la « purgation des passions »). Les deux grands genres classiques sont l'épopée (« poème héroïque ») et la tragédie. L'épopée (Chapelain, la Pucelle, 1656) ne donne pas de chefs-d'œuvre. En revanche, une dramaturgie classique, codifiant la tragédie et la grande comédie, s'élabore à partir de la réflexion sur la tragédie: citons à ce titre la Lettre sur la règle des vingt-quatre heures (1630) de Chapelain, mais aussi les textes polémiques autour du Cid et de la Pratique du théâtre (1657) de l'abbé d'Aubignac et les Discours et Examens (1660) de Corneille. Ces théories, alliées à une riche expérimentation (rendue possible par l'essor du théâtre joué, la création de troupes fixes à Paris et la pratique du mécénat pour les troupes itinérantes), amènent à une nouvelle et féconde classification: farce, tragi-comédie régulière ou non, pastorale, théâtre à machines et opéra. La règle fondamentale la plus célèbre du théâtre classique est celle dite « des trois unités » (d'action, de temps, de lieu): selon cette règle, l'intrigue forme un tout organique (unité d'action). De plus, elle préconise, pour une « imitation » parfaite, d'éviter la rupture spatio-temporelle: la scène ne représente qu'un seul lieu (unité de lieu), l'entrée et la sortie des personnages se fait de façon à marquer l'enchaînement temporel des scènes (liaison des scènes), le temps de la fiction se rapproche du temps de la représentation en n'excédant pas vingt-quatre heures (unité de temps). S'ajoutent à ces règles celles de la vraisemblance, de la cohérence des caractères et de la « bienséance » (celle-ci recommande de ne pas choquer le spectateur). Le théâtre de Racine, davantage que celui de son aîné Corneille, trouve précisément sa force esthétique dans le respect même de ces unités, qui créent une atmosphère de huis clos et semblent par cela même participer à l'élaboration de la « crise » tragique (le moment le plus intense de la pièce, celui où se joue le destin des personnages).