18/01/2014

Le blasphème de Caligula : Ιαω ?

Suite aux violentes émeutes anti-juives à Alexandrie en 38 AD, Philon avait été envoyé (en 39/40AD) comme ambassadeur auprès de Caligula (12-41 AD) pour plaider la cause des Juifs. C’était bien sûr s’exposer à la cruauté, au cynisme et à la perversion de cet empereur. On trouve dans la Legatio ad Gaium §353 de Philon un compte-rendu de l’événement, et l’on ne peut s’empêcher d’être interpellé par la rudesse des premiers mots de Caligula :

Σαρκάζων γὰρ ἅμα καὶ σεσηρὼς « Ὑμεῖς » εἶπεν « ἐστὲ οἱ θεομισεῖς, οἱ θεὸν μὴ νομίζοντες εἶναί με, τὸν ἤδη παρὰ πᾶσι τοῖς ἄλλοις ἀνωμολογημένον, ἀλλὰ τὸν ἀκατονόμαστον ὑμῖν; » Καὶ ἀνατείνας τὰς χεῖρας εἰς τὸν οὐρανὸν ἐπεφήμιζε πρόσρησιν, ἣν οὐδὲ ἀκούειν θεμιτόν, οὐχ ὅτι διερμηνεύειν αὐτολεξεί.

Ce fut en grinçant des dents du ton de l’insulte qu’il nous dit: « N’êtes-vous pas ces gens, ennemis des dieux, qui, seuls, quand tous les hommes reconnaissent ma divinité, me méprisez et préférez à mon culte celui de votre Dieu sans nom? » En même temps il leva les mains au ciel et proféra un blasphème qu’il n’est pas permis d’entendre, à plus forte raison de répéter. (traduction F. Delaunay).

 

La difficulté principale de l’extrait se concentre sur le terme πρόσρησιν, accusatif féminin singulier de πρόσρησις, εως, ἡ. Le terme a trois sens d’après le Bailly (p. 1676) : 1. facilité d’abord, parole adressée à qqn, salutation, 2. dénomination, nom et 3. qualification, attribut. Le Magnien-Lacroix (p.1589) est un peu plus précis : 1. parole adressée, salutation, 2. désignation, dénomination, appel par le nom, énonciation du nom, 3. Artt. qualification (je souligne).

C’est évidemment le deuxième sens qu’il faut comprendre ici, et les commentateurs ont généralement expliqué le geste de Caligula par le geste le plus détestable qui se pouvait concevoir auprès des Juifs auxquels il s’adressait : blasphémer le nom divin. C’est donc qu’il le connaissait. Ce nom était peut-être Yahou (יהו, Ιαω) qui était très répandu à l’époque (autant dans l’usage commun que l’usage magique – cf. Shaw, The Earliest Non-mystical Jewish Use of Iαω).

Dans l’ouvrage collectif édité par D.T. Runia et G. E. Sterling, The Studia Philonica Annual – Volume XVII (Brown University, 2005, pp.33-48), Frank Shaw livre une étude passionnante sur ce sujet : The Emperor Gaius’ Employment of the Divine Name. Je vous y renvoie pour la démonstration, et la revue des sources anciennes.