Menu

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGES 11.30-40 : JEPHTÉ A-T-IL SACRIFIÉ SA FILLE ?

וְהָיָה לַיהוָה וְהַעֲלִיתִהוּ עֹולָה׃

il sera pour Jéhovah, je le ferai monter en holocauste

LXX : καὶ ἔσται τῷ κυρίῳ, καὶ ἀνοίσω αὐτὸν ὁλοκαύτωμα

Vulgate : eum holocaustum offeram Domino

 

En Juges 11.30-31, Jephté fait un voeu : si Jéhovah lui accorde la victoire contre les Ammonites, il promet d'offrir en holocauste la première personne qui sortira de chez lui à sa rencontre, à son retour (cf. parallèles en Exode 15.20-21, 1 Samuel 18.6-7).

Ce voeu est si choquant que, depuis le Moyen Âge (cf. IBD II : 821 ; Pirot-Clamer, t. III, p. 243; Burney, The Book of Juges, p.324-325), on le comprend parfois comme une consécration. À l'exemple de Samuel ou de Samson, la fille de Jephté aurait été promise au service de Jéhovah, dans son sanctuaire à Shilo, et le récit biblique n'évoquerait pas un sacrifice humain.

• Considérations linguistiques

• "Faire monter ... en montée" (עלה .. לְעֹלָה hi), est une expression consacrée pour la pratique de l'holocauste (cf. HALOT : 830). Il s'agissait de consumer entièrement une victime, de la faire monter en fumée.

Genèse 8.20 : וַיִּבֶן נֹחַ מִזְבֵּחַ לַיהוָה... וַיַּעַל עֹלֹת בַּמִּזְבֵּחַ׃ Noé construisit un autel pour Jéhovah... et il offrit des holocaustes sur l'autel
Genèse 22.2 : וַיֹּאמֶר קַח־נָא אֶת־בִּנְךָ אֶת־יְחִידְךָ... וְהַעֲלֵהוּ שָׁם לְעֹלָה, et (Dieu) dit : Prends ton fils unique... et offre-leen holocauste.
2 Rois 3.27a : : וַיִּקַּח אֶת־בְּנֹו הַבְּכֹור אֲשֶׁר־יִמְלֹךְ תַּחְתָּיו וַיַּעֲלֵהוּ עֹלָה עַל־הַחֹמָה, il prit son fils aîné, qui devait régner après lui, et l'offrit en holocauste sur la muraille.

L'expression est courante, et désigne toujours un sacrifice sanglant où la victime est consumée entièrement (cf. Roland de Vaux, Institutions de l'Ancien Testament, II, pp.292-294 ; H. Lesêtre, Dictionnaire de la Bible, Vigouroux dir., III : 729 - 734).

הַיּוֹצֵא אֲשֶׁר יֵצֵא, le sortant qui sortira : הַיּוֹצֵא, article + participe masculin singulier de יָצָא. Ce participe ainsi substantivé peut désigner des objets inanimés (Nombres 21.13), des paroles (Nombres 32.24) ou des personnes (Jérémie 5.6) - cf. NET note.

Godet affirmait dans la Bible Annotée : "Celui qui sortira, littéralement : le sortant, expression qui ne peut guère se rapporter qu'à un être humain; les animaux ne sortent pas de la maison." Mais R.G. Boling a prouvé qu'à l'époque, c'était possible (Judges, Anchor Bible, p. 208). Un bibliste va jusqu'à commenter l'emploi du masculin : "The use of the masculine implies he had an animal sacrifice in mind. The first floor of ancient Israelites had four rooms, and one such room was for housing animals." (Fruchtenbaum, Ariel's Bible commentary : The books of Judges and Ruth, p. 145).

Il n'est donc pas totalement exclu, en pratique, que Jephté ait pu penser entre autres à un animal. Mais cela pose des difficultés insurmontables. Un chien ? Cet animal impur n'aurait pas convenu pour un holocauste (cf. Pseudo-Philon, Livre des antiquités bibliques à ce sujet ; évoqué par Origène, Selecta in Iudices 12.949.6, ou encore Michael Glycas, Annales 2.4 : ἀνόητος ἄγαν ἡ τοῦ Ἰεφθάε ὑπόσχεσις· ἔδει γὰρ αὐτὸν συνιδεῖν, ὡς εἰκός, κύνα πρῶτον ἢ ὄνον συναντῆσαι, τὰ κατὰ νόμον ἀκάθαρτα). Et cela aurait été un piètre sacrifice pour une si grande victoire. Une tête de bétail ? Impossible. L'animal devait sortir de la maison. Et pourquoi ne pas choisir, dans ce cas, la meilleure tête de bétail, et non celle que le hasard mettrait sur son chemin ?

C'est ce qui conduit certains à conjecturer que Jephté pouvait bel et bien avoir un être humain à l'esprit, membre de sa famille ou esclave (cf. Carledge 1992 : 179-185), et que peut-être il espérait une issue providentielle telle celle du récit de Genèse 22 (cf. A.-M. Gérard, Dictionnaire de la Bible, Robert Laffont, 1989, p. 603).

Optant pour l'hypothèse du sacrifice humain, le Nouveau Commentaire Biblique (éd. Emmaüs, 1978, p. 279) établit un intéressant parallèle : "On rapproche généralement ce récit d'une histoire analogue rapportée par Servius (commentateur latin de Virgile) ; Idoménée, roi de Crète, ayant été pris dans une tempête en revenant de la guerre de Troie, fit le voeu d'offrir en sacrifice la première personne qu'il rencontrerait à son retour chez lui, à condition que les dieux le protègent pendant le voyage. Cette personne se trouva être son fils."

La mythologie grecque évoque aussi les sacrifices humains d'Iphigénie (dont le fond historique serait à peu près contemporain, cf. T. Römer, Dieu obscur, Labor et Fides, 1996, pp. 65-69) et de Polyxène.

וְהָיָה לַיהוה וְהַעֲלִיתִהוּ עוֹלָה׃, il sera à Jéhovah et je l'offrirai en holocauste. Certains pensent que le waw peut ici être traduit par ou.

E.W. Bullinger, par exemple, soutient la position suivante dans la Companion Bible : "The Héb. ו (Vav) is a connective Particle, and is rendered in many different ways. It is also used as a disjunctive, and is often rendered 'or' (or with a negative, 'nor'). See Gen. 41.44. Ex. 20.4 ; 21.15, 17, 18. Num. 16.14 ; 22.26 (R.V. 'nor') ; Deut. 3.24 2 Sam. 3.29. 1 Kings 18. 10,27 (...). Here, Jephtah's vow consisted of two parts : (1) He would either dedicate it to Jehovah (according to Lev. 27) ; or (2) if unsuitable for this, he would offer it as a burnt offering. He performed his vow, and dedicated his daughter to Jehovah by a perpetual virginity (vv. 36, 39, 40) ; but he did not offer her as a burnt offering, because it was forbidden by Jehovah, and could not be accepted by Him (Lev. 18.21 ; 20.2-5)" (p.343). Pour d'autres exemples, cf. Moore ICC : 300.

La thèse d'un voeu bipartite nous semble laborieuse, et nous nous rangeons à cette note de la NET : "Some translate “or,” suggesting that Jephthah makes a distinction between humans and animals. According to this view, if a human comes through the door, then Jephthah will commit him/her to the Lord’s service, but if an animal comes through the doors, he will offer it up as a sacrifice. However, it is far more likely that the Hebrew construction (vav [ו] + perfect) specifies how the subject will become the Lord’s, that is, by being offered up as a sacrifice. For similar constructions, where the apodosis of a conditional sentence has at least two perfects (each with vav) in sequence, see Gen 34:15-16; Exod 18:16".

וְהָיָה לַיהוה, il sera à Jéhovah. Cette partie de l'expression seule permet de soutenir une consécration.

Cette pratique est établie dans le Lévitique :

 

Lévitique 27.2 : "Transmets ces instructions aux Israélites: Lorsqu'on consacrera une personne à l’Eternel par un voeu, on le fera d'après ton estimation." (S21)

Suivent des modalités liées au rachat, qui ne devaient pas s'appliquer que si le voeu n'était pas définitif ou complet :

Lévitique 27.28-29 : "Aucun des biens qu'un homme vouera de manière définitive à l'Eternel ne pourra être vendu ni racheté, qu’il s’agisse d’une personne, d’un animal ou d’un champ de sa propriété; tout ce qui lui sera voué de manière définitive sera très saint, propriété de l'Eternel. Aucune personne vouée de manière définitive ne pourra être rachetée: on la mettra à mort." (S21 ; cf. IAT II : 76)

On peut citer l'exemple du voeu d'Anne :

 

1 Samuel 1.11 : "Elle fit le vœu suivant: «Eternel, maître de l’univers, si tu consens à regarder la détresse de ta servante, si tu te souviens de moi, si tu n'oublies pas ta servante et lui donnes un fils, je le consacrerai à l'Eternel pour toute la durée de sa vie (וּנְתַתִּיו לַיהוָה כָּל־יְמֵי חַיָּיו) et le rasoir ne passera pas sur sa tête." (S21)

Elle obtint un fils, Samuel, qui fut affecté au service de Jéhovah dans le temple (1 Samuel 1.28, 2.18). Notons qu'un service féminin y était aussi requis (Exode 38.8, 1 Samuel 2.22). En tout, la Bible fournit cinq exemples de voeu dans sa partie narrative (Genèse 28.20-22, Nombres 21.2, Juges 11.30-31, 1 Samuel 1.11 et 2 Samuel 15.8 ; cf. Tony W. Carledge, Vows in the Hebrew Bible and the Ancient Near East, Continuum International Publishing Group - Sheffie, JSOTS, 1992, p. 143 sq.)

וְהַעֲלִיתִהוּ עֹולָה, je l'offrirai en holocauste : ce second membre de phrase, en revanche, favorise clairement l'hypothèse d'un véritable holocauste, et semble préciser le moyen de la consécration.

• v.37 : וְאֶבְכֶּה עַל־בְּתוּלַי, et je pleurerai ma virginité : on peut comprendre cette expression aussi bien dans le cas d'une consécration que d'un holocauste. Sur cette expression, une note de la NBS déclare : "pour une femme, mourir sans s'être mariée et avoir eu des enfants pouvait être considéré comme un déshonneur."

Au verset 39 cette idée est renforcée par une redite : וְהִיא לֹא־יָדְעָה אִיש, et elle n'avait pas connu d'homme, ou : elle ne connut pas d'homme. Certains pensent que cette expression, placée après le sacrifice, n'aurait pas de sens si la fille de Jephté était morte. Mais ce n'est pas obligatoire. Nous y voyons plutôt l'accent mis sur 1. l'intensité dramatique du récit, 2. l'ampleur du sacrifice. Une autre redite, de même effet, se rencontre au v. 35 : "C'était son seul enfant (יְחִידָה): il n'avait pas (אֵין־לֹו) de fils et pas d'autre fille."

Cette insistance sur la virginité est d'autant plus importante qu'elle montre que la fille de Jephté n'avait ni mari ni fils qui aurait pu la libérer du voeu de son père (IBD II : 821).

Ici il est d'ailleurs possible d'établir un nouveau parallèle : dans le récit de Sophocle, Antigone, condamnée à être enterrée vivante, pleure aussi sa virginité (cf. NCB p.280).

• v.40 : תֵּלַכְנָה בְּנוֹת יִשְׂרָאֵל לְתַנּוֹת לְבַת־יִפְתָּח, les filles d'Israël vont célébrer la fille de Jephté.

לְתַנּוֹת, préposition ל + piel, infinitif construit de תָּנָה, terme rare au sens disputé, et dont on s'accorde à peu près à dire qu'il signifie rappeler un récit [dans un chant ?], raconter, d'où : commémorer, célébrer (cf. HALOT : 1759 ; DHB). DHAB : 408, "pi. célébrer, vanter". Contrairement au DHAB, le ST souligne l'incertitude : "Pi. louer, célébrer (...) Jug. 11. 40, pour s'entretenir avec la fille de Jephteh, pour la consoler ; selon d'autres : pour la pleurer" (p. 789). Marchand-Ennery, p. 205: "raconter, célébrer".

Une note de la Pirot-Clamer précise encore ces sens : "le verbe rare tânâh signifie 'répéter', 'raconter'; au piel : 'célébrer par des chants' (cf. v, 11). I. Aharoni (Rev. études sémit., 1938, p. 39) rappelle que le tannîm biblique, que le Talmud traduit yrôdîn (cf. v. 37), évoque lamentations et gémissements : ainsi le sens de pleurer, se lamenter, reconnu par les anciennes versions, trouverait un nouvel appui." - La Sainte Bible, tome III : Josué, Juges, Ruth, Samuel, Rois, Letouzey et Ané, 1949, p. 243 (cf. aussi p. 190).

C'est ce qui explique des traductions de ce type : "les filles israélites se réunissaient pour pleurer la mémoire de Jephté le Galaadite" (v. 40 b, Rabbinat), "lamenter sur" (Samuel Cahen), "déplorer" (Chouraqui), etc.

— Comme l'indiquait la version Pirot-Clamer, les anciennes versions comprennent תָּנָה comme un verbe de lamentation : la Septante porte θρηνεῖν, se lamenter et la Vulgate, plangant (vb. plango : pleurer, lamenter).

Des témoignages antiques confirment cette compréhension, tel celui de Flavius Josèphe : ἀποθρηνῆσαι τὴν νεότητα, pour se lamenter sur sa jeunesse (AJ 5.265), où l'on remarque, de plus, que Josèphe remplace la virginité par un terme plus générique, la jeunesse (cf. la version Bayard : "je pleurerai sur mon adolescence" ; Beaumont : "Elle s'en alla donc... pleurer sa vie brisée" ; PDV : "Là, elle pleure, parce qu'elle va mourir avant d'être mariée" ; Bible de la liturgie : "pour pleurer le malheur de mourir sans avoir connu le mariage" ; Semeur : "pleurer de ce qu'il me faille mourir avant d'avoir été mariée").

— C'est cette même leçon que l'on rencontre dans le Targum de Jonathan :

מִזְמָן לִזמָן אָזְלָן בְנָת יִשׂרָאֵל לְאַלָאָה לְבַת יִפתָח גִלעְדָאָה אַרבְעָה יוֹמִין בְשַתָא׃

Le verbe אלי signifie ici pleurer, hurler, se lamenter (CAL Lexicon).

La seule autre instance de ce verbe se trouve également en Juges, 5.11a :

מִ‍קּוֹל מְחַצְצִים בֵּין מַשְׁאַבִּים שָׁם יְתַנּוּ צִדְקוֹת יְהוָה

Aux clameurs de la foule rangée entre les puits : - on y raconte les bienfaits de Yahweh Pirot-Clamer

Ceux que le tumulte faisait blottir parmi les auges, maintenant célèbrent les bienfaits du Seigneur Rabbinat

Ici, contrairement à 11.40, la Septante porte δώσουσιν, ce qui est moins la traduction du verbe תנה, que celle du verbe נתן, (erreur étymologique ? erreur d'appréciation ?) ainsi que le suggère A Greek-English Lexicon of the Septuagint (Eynikel/Hauspie): "Jgs 5,11 δώσουσιν they shall give-יתנו נתן for MT יתנו תנה they repeat (deeds, triumphs)".

» On ne peut donc se fier à Juges 5.11 pour éclairer le sens rencontré en Juges 11.40, bien que les deux versets emportent l'idée de raconter des faits, soit pour les célébrer, les remémorer, soit pour se lamenter, les commémorer.

• On peut encore évoquer le témoignage ancien du Livre des antiquités bibliques. Cet ouvrage, faussement attribué à Philon, fut vraisemblablement rédigé en hébreu ou en araméen vers le premier siècle avant notre ère, puis rapidement traduit en grec et en latin, vers les IIe/IIIe siècles de notre ère. Les versions qui subsistent à ce jour sont en latin, et, pour ce qui concerne le voeu de Jephté, ne laissent aucune ambiguïté : Jephté (il y est appelé Jephtan) sacrifie sa fille, dont on "apprend" le nom : Sheila.

— "Jephtan se leva et arma tout le peuple pour qu'il sorte et combatte bien équipé, en disant : 'Lorsque les fils d'Ammon auront été livrés entre mes mains et que je reveindrai, quiconque se présentera le premier devant moi appartiendra au Seigneur en holocauste.' Le Seigneur fut très irrité et dit : 'Voici que Jephtan a fait voeu de m'offrir quiconque viendra le premier à sa rencontre. Et maintenant, si c'est un chien qui vient en premier à la rencontre de Jephtan, est-ce qu'on m'offrira un chien ? Maintenant donc, que la prière de Jephtan s'accomplisse pour lui sur son premier-né, c'est-à-dire le fruit de son sein, que sa prière s'accomplisse sur sa fille unique ! Quant à moi, je délivrerai assurément mon peuple en ce temps, non pas à cause de lui, mais à cause de la prière qu'Israël a faite.'" - Livre des antiquités bibliques XXXIX, 10b-11 (La Bible - Les Ecrits intertestamentaires, p. 1341, éd. La Pléiade)

» Comme le souligne une note de la Bible de la Pléiade, le récit se focalise sur un point étonnant : "La colère de Dieu est assez étrange. Elle porte plutôt sur la possibilité d'un sacrifice indique de lui que sur l'éventualité d'un sacrifice humain". En tout cas, cela suggère que le voeu de Jephté était compris comme pouvait inclure un animal domestique.

—"Et Sheila, sa fille, lui dit : 'Qui donc serait attristé de mourir en voyant le peuple délivré ? Oublies-tu ce qui est arrivé aux jours de nos pères, quand le père plaçait le fils en holocauste et qu'il ne refusait pas, mais consentait joyeusement, l'un était prêt à être offert, l'autre était joyeux d'offrir ? (...) Mais je t'adresse une seule demande avant de mourir (...) que je marche parmi les pierres, moi et les vierges mes compagnes, pour répandre mes larmes et rappeler la tristesse de ma jeunesse. Les arbres des champs me pleureront, les bêtes des champs me plaindront, car ce n'est pas de mourir que je suis triste et ce n'est pas de rendre mon âme que je souffre, mais de ce que mon père a été surpris par son voeu. Et, si je ne m'offre pas spontanément pour le sacrifice, je crains que ma mort ne soit pas agréable et que je perde mon âme en vain.'" Suite une longue lamentation (XL, 5-7 ; "elle pleura amèrement", XL, 5). "Ayant dit cela, Sheila revint vers son père. Il fit ce qu'il avait dit dans son voeu et il l'offrit en holocauste. Alors toutes les vierges d'Israël firent une grande lamentation et ils décidèrent qu'en ce mois-là, le quatorzième jour du mois, ils s'assembleraient chaque année pour pleurer la fille de Jephtan, durant quatre jours." - Livre des antiquités bibliques XL, 2-8 (La Bible - Les Ecrits intertestamentaires, pp. 1342-1344, éd. La Pléiade).

» Visiblement, Jephté est mis en défaut par son voeu, et Sheila, pour ne pas mettre un comble à sa faute, se résigne à souffrir ce voeu de bon gré. Elle fait même allusion à une antique pratique du sacrifice, douteuse au demeurant. Tout l'aspect tragique est ici, contrairement au récit biblique, fortement souligné.

» D. J. Harrington a édité les fragments hébreux du Pseudo-Philon (The Hebrew Fragments of Pseudo-Philo's Liber Antiquitatum Biblicarum preserved in the Chronicles of Jerahmeel, SBL, 1974) : extrait des pp. 63-68.

• Parmi les témoignages anciens significatifs, nous relevons encore :

Pseudo Justin Martyr
Ἐπειδὴ οὖν ὁ Ἰεφθάε τὴν εἰς θεὸν εὐσέβειαν φυλάττων διὰ τῆς θυσίας τῆς θυγατρὸς ἀνεδείχθη, διὰ τοῦτο αὐτοῦ γέγονεν ἡ μνήμη ἐν τῷ καταλόγῳ τῶν δικαίων - Quaestiones et responsiones ad orthodoxos 455, C.5


Epiphane
— ...τῆς θυγατρὸς Ἰεφθάε, τῆς ποτὲ προσενεχθείσης τῷ θεῷ εἰς θυσίαν•- Panarion III : 473, 24
καὶ ὁ Ἰεφθάε ὑπὲρ τοῦ λαοῦ τῷ Θεῷ τὴν θυγατέρα προσήνεγκεν - Tractatus de numerorum mysteriis 43 : 517, 4


Grégoire Naziance
Τοῦτο τῆς Ἰεφθάε θυσίας ἀσφαλέστερον, καὶ μεγαλοπρεπέστερον - In Machabaeorum laudem 35 : 929, 48
Δῶκε Θεῷ θυσίην Ἀβραὰμ πάιν, ὣς δὲ θύγατρα κλεινὸς Ἰεφθάε, ἀμφότεροι μεγάλην - Epigrammata 8 : 51.2


Origène
...τῆς ὁλοκαυτουμένης θυγατρὸς Ἰεφθάε, διὰ ταύτην <τὴν> εὐχὴν νικήσαντος τοὺς υἱοὺς Ἀμμών - Commentarii in evangelium Joannis 6.54.277.4
Origène emploie ici le verbe ὁλοκαυτέω, "consumer une victime entièrement par le feu" (Bailly, p. 1369). Il refait allusion à ce passage en citant précisément le texte de la LXX dans son De oratione 4.2.9.


Jean Chrysostome
... μετὰ τὸ σφαγῆναι τὸ θυγάτριον τοῦ Ἰεφθάε... - Ad populum Antiochenum 49.147.33
Ici le verbe σφάζω ne laisse pas de doute : "égorger" (Bailly, p. 1879). Dans un autre passage (In epistulam ad Romanos 60.484.9 : τὸν Ἰεφθάε ἀνέπεισε προσχήματι εὐσεβείας τὴν θυγατέρα κατασφάξαι, καὶ τὴν παράνομον θυσίαν ἀνενεγκεῖν, il emploie également le verbe κατασφάζω ("égorger", Bailly, p. 1055), et précise bien que le geste était παράνομον, illégal.


Theophylactus Simocatta
τοῦ Ἰεφθάε δὲ τὸ θυγάτριον οὐ διὰ τὸ σκληρὸν τῆς εὐχῆς ἀπεσφάττετο; De vitae termino 2.79. Ici nous rencontrons à nouveau un dérivé de, ἀποσφάζω, toujours avec le même sens.


Théodoret
καὶ τοῦτο δείκνυται ἐκ τῶν κατὰτὸν Ἰεφθάε σαφέστερον, ὅς, τὴν ἰδίαν θυγατέρα προσκομίσας θυσίαν, ἐν τῇ πρὸς Ἑβραίους ἐπιστολῇ ὑπὸ τοῦ ἀποστόλου ἐν τῷ καταλόγῳ τῶν εὐσεβῶν μνημονεύεται - Quaestiones et responsiones ad orthodoxos 101.12 (voir aussi 18, 23 ; 103.1 sq ; Quaestiones in Octateuchum 303.14-15 avec le terme σφαγῆναι)


Suda
Ἰεφθάε,> κριτὴς Ἰουδαίας, ὁ ῥυσάμενος τὸν Ἰσραὴλ ἐκ χειρὸς Φυλιστιείμ• ὃς ηὔξατο τῷ θεῷ τὸ πρῶτον ὑπ' αὐτοῦ ὑπαντώμενον καταθύειν. ἐπεὶ οὖν τὴν ἑαυτοῦ θυγατέρα ἐπὶ τοῖς νικητηρίοις ὀρχου- μένην ἐθεάσατο, ταύτην εὐθέως ἀνεῖλε. διὸ δὴ αἱ τῶν Ἰουδαίων παρθένοι τετραήμερον αὐτῆς κατ' ἔτος ἐπετέλεσαν μνήμην - Lexicon, iota, 207.1-5


Méthode d'Olympe Banquet §289 (I.69)

• Considérations contextuelles et théologiques

La sobriété du texte, la précision des mots, l'accent mis sur un voeu aberrant mais impérieux, la tension dramatique intense (déchirement des vêtements, impossible dédite, lamentation sur la virginité, coutume de pleurer la défunte), tout semble indiquer que la fille de Jephté, pas même nommée, fut sacrifiée réellement.

Aussi endossons-nous l'analyse de Roland de Vaux :

 
...d'après le sens obvie du texte, qu'il ne faut pas atténuer, Jephté avait promis, s'il revenait victorieux, d'offrir en holocauste la première personne qui sortirait de sa maison, ce fut sa fille unique et il l'immola. Mais cela est raconté comme un événement extraordinaire, comme paraissait extraordinaire et choquante l'action du roi de Moab immolant son fils unique sur le rempart de sa capitale assiégée par les Israélites, 2 R 3 27. L'histoire de Jephté ne peut pas servir pour l'étude du rituel israélite. - IAT II : 328.

Idem dans le Dictionnaire de la Bible d'A.-M. Gérard :

 
Les commentateurs du passé ont largement épilogué sur ce voeu scandaleux et son accomplissement. Certains imaginent parfois que l'imprudent Jephté espérait voir venir au-devant de lui quelque bélier providentiel, tel celui qu'Abraham tira d'un hallier pour le substituer à Isaac sur le mont Morriyya ; d'autres, allant jusqu'à supposer que le même Jephté ne "voua à Yahvé" que la virginité de sa fille, consacrée dès lors en une sorte de naziréat. Mais le texte est sans équivoque: c'est bien d'un holocauste qu'il s'agit, et de celui d'un être humain. L'explication du fait tient à la rudesse des moeurs, à la dégradation certain des traditions mosaïques durant cette période de trouble "où chacun agissait à sa guise" (cf. Jg. 17, 6) - pp.603-604.

Cette même thèse de l'abaissement moral se trouve dans le Dictionnaire encyclopédique de la Bible (A. Westphal dir.) :

 
Le rédacteur ne semble pas surpris, encore moins scandalisé, par l'acte cruel de ce père. Les sacrifices humains avaient pourtant été condamnés par le Deutéronome (Deut. 18 10), que cet auteur connaissait, mais tel était l'abaissement moral à l'époque des Juges que cet épisode ne paraissait pas jurer avec la mentalité israélite de ce temps-là. (...) L'écrivain deutéronomiste donne une interprétation religieuse de ces faits : c'est par la piété que le chef fit à Dieu ce voeu funeste, et c'est par piété que sa malheureuse fille ne se révolte pas contre la décision paternelle et accepte de mourir pour sauver son peuple (1136). - I : 603.

Citons enfin Pirot-Clamer, qui va dans le même sens :

 
Les termes du récit (...) ne peuvent laisser aucun doute : c'est bien d'un holocauste qu'il s'agissait dans le voeu de Jephté, et il l'a certainement offert en sacrifiant sa fille. C'est l'exégèse traditionnelle, contre laquelle les rabbins du Moyen Age se sont vainement élevés (cf. Condamin., D.A., II, 1270 sq.). (...) Dans le cas de Jephté, l'influence divine ne s'exerce que pour la guerre libératrice (v. 29) ; l'hagiographe n'approuve pas plus qu'il ne blâme le voeu, mais : 'raconte les faits, nous laissant le soin de les apprécier d'après les règles morales et cultuelles tracées par la Loi, et ces règles condamnent la conduite de Jephté' (Médebielle, D.B.S., III, 24) Si sa foi est grande et mérite louange (Hébr., xi, 32), son imprudence et sa précipitation extrêmes sont blâmables. Cependant la rudesse des moeurs, l'ignorance religieuse, la persuasion qu'un voeu prononcé exigeait absolument d'être accompli quelles que fussent les circonstances, atténuent considérablement, sinon font disparaître, la gravité formelle de la faute de Jephté." - op.cit., pp. 243-244.

Qu'on puisse atténuer, voire faire disparaître, une telle faute, semble bien hasardeux. Mais il faut maintenant considérer les arguments et contre-arguments susceptibles d'éclairer le contexte de ce voeu insensé.

v. 29 : l'esprit de Jéhovah était sur Jephté : comment aurait-il pu accomplir pareille abomination ?

Origène déjà avait posé la question : Εἰ Πνεῦμα Κυρίου ἐπ' αὐτὸν, πῶς εὔχεται ἃ μὴ προσήκει; (Si l'Esprit du Seigneur était sur lui, comme a-t-il pu faire un voeu qui ne convenait pas ?) - Selecta in Iudices 12.949.4.

Il n'est pas question de suggérer, même indirectement, que la Bible cautionne les sacrifices humains. Jéhovah les a en horreur et les a interdits régulièrement et absolument (Deutéronome 12.31, 18.10, Lévitique 18.21, 20.2, Psaumes 106.37-38, Jérémie 7.31, 19.5, Ezéchiel 20.31, 23.37, etc.). Quiconque passait son fils ou sa fille par le feu - à l'instar du rituel cananéen qui consacrait des enfants à Baal, Moloch, Astarté... (cf. A. Chouraqui, Les hommes de la Bible, Hachette 1994, pp. 206-207, 266-270)-, était passible de mort. Le cas particulier d'Exode 22.28-29 (le sacrifice des premiers-nés même humains) semble n'avoir jamais été pratiqué, et substitué aussitôt par la pratique du rachat (cf. Exode 13.11-15, 34.19-20 ; cf. IAT II : 329-330).

Le fait que l'esprit de Jéhovah fut sur Jephté ne signifie pas que Jephté était assuré de ne commettre aucune erreur. Saül était également oint de Jéhovah, et pourtant son exemple n'est pas fameux (par exemple, il pratiqua le spiritisme). Tout comme Salomon, polygame outrancier qui sombra dans l'idolâtrie, ou encore David qui fut, à l'occasion, adultère et meurtrier.

v. 35 : Jephté déchire ses vêtements et se lamente

Déchirer ses vêtements (Genèse 37.34, 44.13, 2 Samuel 1.11, 3.31, 13.31, Job 1.20) était un signe de deuil, cf. IAT I : 97-98 ; J. Briend et M. Quesnel, La vie quotidienne aux temps bibliques, Bayard, 2001, pp. 112-117 ; E.W. Heaton, Everyday life in Old Testament Times, Transworld Pub., pp. 94-95.

Ce deuil est à la fois perceptible par les gestes, et par les paroles : Jephté se lamente (interjection אֲהָה : ah !, i.e. malheur à moi !). Il ne semble pas très fier de consacrer sa fille au service de Dieu :

Ah! ma fille, vraiment tu m'accables! Tu es de ceux qui font mon malheur!

Je me suis engagé, moi, devant Yahvé, et ne puis revenir en arrière. (BJ)

אֲהָהּ בִּתִּי הַכְרֵעַ הִכְרַעְתִּנִי וְאַתְּ הָיִיתְ בְּעֹכְרָי

וְאָנֹכִי פָּצִיתִי־פִי אֶל־יְהוָה וְלֹא אוּכַל לָשׁוּב׃

Pourquoi serait-il accablé de consacrer sa fille, et penserait-il à se dédire ? Il y pense car il souligne qu'il "ne peut pas revenir en arrière" (וְלֹא אוּכַל לָשׁוּב), car il a "dilaté sa bouche devant Jéhovah" (פָּצִיתִי־פִי אֶל־יְהוָה). Sur cette dernière expression, une note de la Bible de la Pléiade explique : "J'ai exagéré en parlant, littéralement, 'j'ai dilaté ma bouche', par des paroles inconsidérées".

A contrario, quand elle fut exaucée, Anne ne fit pas montre d'un tel revirement. Elle assuma son engagement sans ciller, par des propos on ne peut plus précis : וְגַם אָנֹכִי הִשְׁאִלְתִּהוּ לַיהוָה, à mon tour je veux le prêter à Jéhovah (1 Samuel 1.28a). Mieux : elle remercia Jéhovah avec joie. Sa joie fut si mémorable qu'elle est raportée par le récit biblique, c'est le cantique d'Anne (1 Samuel 2.1-10). Comparé à Anne, le vaillant et fidèle Jephté fait donc pâle figure - si bien sûr ce n'est que la consécration qu'il avait à l'esprit...

Certains soulignent alors que sa fille était son unique enfant, et que sa profonde douleur provient du fait qu'il n'aura pas de nom - cette postérité si chérie - en Israël, non plus qu'il ne pourra faire hériter sa progéniture.

Mais quel genre de postérité, d'héritage, ou de nom une fille pouvait bien apporter ?

Le nom n'aurait pas forcément subsisté si elle s'était mariée. De plus, l'héritage était en principe exclusivement réservé aux fils, sauf cas exceptionnel. Et encore fallait-il alors que la fille se marie dans la tribu de son père (cf. Nombres 27.1-8, 1 Chroniques 23.22 ; l'exception de Job 42.13-15 est un usage tardif), précisément pour ne pas "changer" de nom (cf. IAT I : 89-91).

v. 40 Les pleureuses

La lamentation funèbre faisait partie intégrante du deuil (cf. IAT : 99-100, Briend/Quesnel, op. cit., p. 114). On poussait des cris déchirants. On louait le défunt (cf. 2 Samuel 1.19-27). Il arrivait que les lamentations fussent chantées par des pleureuses professionnelles (cf. Jérémie 9.16-20).

Le passage de Juges 11.40 ressemble beaucoup à celui de 2 Chroniques 35.25 :

Juges 11.39c-40
2 Chroniques 35.25
Il y eut depuis lors une prescription en Israël (וַתְּהִי־חֹק בְּיִשְׂרָאֵל): tous les ans, 4 jours par an, les filles d'Israël s'en vont célébrer la fille de Jephthé le Galaadite. (S21)
Jérémie fit une complainte sur lui; tous les chanteurs et toutes les chanteuses ont parlé de lui dans leurs complaintes jusqu'à aujourd’hui, et ils en ont fait une prescription pour Israël (וַיִּתְּנוּם לְחֹק עַל־יִשְׂרָאֵל). Ces chants sont écrits dans les Complaintes. (S21)

Ces deux passages évoquent un deuil et une prescription ultérieure : le premier pour la fille de Jephté et sa complainte annuelle, le second pour Josias, dont l'auteur du livre des Chroniques nous apprend que sa complainte chantée subsistait dans le livre des Complaintes.

Certains exégètes estiment que tout l'épisode du voeu de Jephté est une couche rédactionnelle ultérieure ayant pour seule vocationd'expliquer un rituel dont on ignorait l'origine (cf. BJ, note b ad. loc.), et que l'on peut rapprocher d'un autre rituel (postérieur) similaire : chaque année, des femmes se lamentaient sur la mort du dieu Thammuz (cf. Dictionnaire de la Bible, tome V, Vigouroux dir., col. 2144-2146).

Voeu impérieux, pudique accomplissement

Le récit se concentre sur l'impérieuse nécessité du voeu, comme pour passer sous silence la tragédie sous-jacente : "Les sacrifices humains seront toujours réprouvés en Israël, cf. déjà Gn 22, mais le narrateur rapporte l'histoire sans exprimer aucun blâme, et l'accent paraît même être mis sur la fidélité au voeu prononcé" (BJ).

Cette insistance est perceptible lors du dialogue père/fille (le voeu est sorti, irrévocable, il est accablant pour l'un et l'autre, il y faut s'y préparer deux mois durant) et dans l'étonnante concision du verset 39 au sujet de l'exécution de ce voeu : וַיַּעַשׂ לָהּ אֶת־נִדְרֹו אֲשֶׁר נָדָר , litt. et il lui fit le voeu qu'il avait voué.

La tournure frise l'euphémisme, et sa concision établit un vif contraste avec la double insistance virginité/voeu.

On croirait entendre Proverbes 20.25 : "C'est un piège pour l'homme que de prendre à la légère un engagement envers Dieu et de ne réfléchir qu'après avoir fait des voeux.", Ecclésiaste 5.1 : "Ne t’empresse pas d'ouvrir la bouche! Que ton coeur ne se précipite pas pour exprimer une parole devant Dieu! En effet, Dieu est au ciel, et toi sur la terre. Que tes paroles soient donc peu nombreuses!" ou encore Ecclésiaste 5.5 : "Mieux vaut pour toi ne pas faire de vœu plutôt que d'en faire un et de ne pas l'accomplir."

Aussi le constat d'Osty nous semble-t-il pertinent : "Un des versets les plus délicats de toute la Bible. L'horreur de la chose est voilée sous la réserve des mots" (note 39 ad loc.)

Jephté ne serait pas cité en Hébreux 11.32 s'il avait fait un tel sacrifice

C'est un argument important, mais dont il est extrêmement difficile d'estimer la valeur.

Dieu n'a rien demandé à Jephté et a fait comprendre, par l'exemple d'Isaac, qu'il n'agréait pas les sacrifices mais l'obéissance. Le soutien divin à Jephté a concerné sa campagne militaire exclusivement, précisément pour repousser des peuples réprouvés, entre autres pour leurs rites sacrificiels.

Le récit biblique se contente d'exposer les faits, et, même s'il semble mettre l'accent sur l'importance de tenir parole quelles que soient les circonstances, n'approuve pas le geste de Jephté.

En revanche, le récit des Juges montre la détermination sans faille de Jephté, qui avait foi en Jéhovah.

Cela peut expliquer qu'il soit cité en Hébreux, où l'auteur de l'épître le range parmi d'autres dont la conduite ne fut pas toujours exemplaire (comme celui, dans la liste, qui le suit immédiatement : David). De surcroît, cette énumération semble faite à la va-vite :

Et que dirais-je encore? Le temps me manquerait en effet pour parler de Gédéon, de Barak, de Samson, de Jephthé, de David, de Samuel et des prophètes. (S21)

L'auteur de l'épître traite de la foi. Il n'avait pas forcément à l'esprit, précisément, tous les faits et gestes de chacun des personnages qu'il énumère. On constate simplement qu'il cite des personnages emblématiques, dont les hauts faits devaient être bien connus de son auditoire. En l'espèce, Jephté a fait preuve de foi, et il a été béni.

Conclusion

Il n'y a pas d'argument probant en faveur de la consécration :

- le texte parle, pudiquement mais clairement, d'un holocauste,

- dans la Bible, il n'y a pas d'exemple d'holocauste qui soit changé, in extremis, en consécration,

- si aucun holocauste n'avait eu lieu, pourquoi tant de sobriété (cf. les cas de Samuel ou Samson) ? Pourquoi ne pas évoquer le rachat prescrit par la loi ? Peut-être - et surtout - parce que le voeu lui-même était hors de propos.

- le récit élude la question du sacrifice pour attirer l'attention sur le respect du voeu prononcé,

- la tension dramatique est servie par des redites à valeur narrative, et l'horreur du geste masquée par une sobriété, un détachement et une concision caractéristique du style biblique en de telles circonstances (pas de jugement/pas de blâme),

- la consécration d'une enfant dans un sanctuaire peut-elle suffire à faire sortir une prescription en Israël, pour que, chaque année pendant quatre jours, on aille la célébrer ? Cela paraît excessif, surtout pour une fille, si renommée donc, dont le récit n'a pas conservé le nom.

- le parallèle avec Juges 5.11 montre qu'en Juges 11.40, le verbe tânâh signifie, non pas "parler ou converser avec" (note marginale de l'Authorized Version), mais répéter, raconter un récit, d'où (ici et d'après le contexte) célébrer dans le sens de commémorer.

- il n'y a nulle mention de l'approbation de Dieu pour un tel geste, pas même en Hébreux 11.32.

L'hypothèse d'une consécration est une réaction tardive, apparue sous la plume d'exégètes juifs au Moyen Age, face à un récit moralement choquant - et cette réaction est bien naturelle. Elle prône des arguments recevables : le sacrifice humain n'était pas approuvé de Dieu, la virginité perpétuelle est en effet envisageable (pour une défense de cette thèse, voir par exemple G. L. Archer, Encyclopedia of Bible Difficulties, Zondervan, 1982, pp. 164-165). Mais ces arguments forcent le sens obvie du texte, dont la pudeur crée précisément le malaise que l'on tente d'évacuer.

Il est bien d'autres récits de l'Ancien Testament qui choquent nos consciences modernes.

Il faut déjà les accepter avant de les pouvoir comprendre.

Jephté sur le point de sacrifier sa fille

Le Brun, 1656 - Musée des Offices, Florence

La fille de Jephté

Edouard Debat-Ponsan, 1890

 

 

 

 

 

MAJ 14/02/10

 

 

 

 

 

 
© 2010 par Didier Fontaine. Tous droits réservés pour les documents spécifiques à ce site.