Queneau, Raymond

1903-1976

Ecrivain français, dont l’œuvre, profondément originale, porte la trace de nombreuses recherches sur les structures formelles et sur la langue elle-même, et qui a été, avec le mathématicien François Le Lionnais, le fondateur de l’OUvroir de LIttérature POtentielle (OuLiPo).

Les premières œuvres, le Chiendent

Né au Havre dans un milieu modeste (ses parents sont merciers), Raymond Queneau vient à Paris en 1920 étudier la philosophie et les sciences. Fréquentant les surréalistes à partir de 1920, il rejoint rapidement le groupe dissident de la rue du Château (formé notamment de Jacques Prévert, Yves Tanguy et Marcel Duhamel) pour finir par rompre avec André Breton en 1929 pour des raisons personnelles.

Dès ses premiers textes, s’affranchissant totalement des principes surréalistes comme de tout autre courant littéraire, l’œuvre de Queneau va se constituer autour de deux principes fondateurs : le rôle primordial accordé à la construction, d’une part, et, d’autre part, l’attention particulière portée au langage, considéré non plus comme un vecteur sémantique mais, au contraire, comme un outil quasi scientifique qu’il s’agit d’explorer. De fait, le Chiendent (1933), son premier roman publié, obéit à des contraintes formelles et à des règles élaborées de composition symboliques, chiffrées ou rythmiques : ainsi la structure du livre, établie selon un plan rigoureusement fixé au préalable, et la division en chapitres, commandée par le chiffre « sept », « image numérique » de l’auteur dont les deux noms « Raymond » et « Queneau » sont composés chacun de sept lettres ; ainsi encore la parfaite circularité du récit, qui se termine sur la phrase par laquelle il a commencé. Frappé en outre par la distorsion croissante entre langage parlé et langage écrit, Queneau inaugure avec le Chiendent ce qui deviendra une constante de son écriture : la « mise en style » du langage parlé, créant alors d’heureuses trouvailles phonétiques, orthographiques, lexicales. Né du projet de traduire en français parlé le Discours de la méthode, de Descartes — projet dont, au final, il ne reste que peu de chose —, cet ouvrage est également profondément imprégné de la philosophie d’Hegel, revue par Alexandre Kojève qui a été le professeur de l’auteur, et comporte aussi dans un de ses chapitres un petit résumé du Parménide de Platon. Mais la matière philosophique du roman ne saurait en aucun cas être explicite ; elle se trouve au contraire mêlée à la matière narrative sur un mode ludique, voire parodique, si l’on donne à ce terme son sens de mise à distance critique. Dans ce roman enfin, phare incontournable dans l’évolution du roman français, Queneau évoque la plupart des thèmes qui seront orchestrés dans l’œuvre à venir : prédilection pour la banlieue parisienne, hantise de la guerre, mise en scène de gens ordinaires d’un milieu populaire.

À la suite du Chiendent, Queneau publie les romans Gueule de pierre (1933), les Derniers jours  (1936), Odile (1937) et le « roman en vers » Chêne et Chien (1937) à la dimension autobiographique codée (« chêne » et « chien » sont deux racines probables du nom de Queneau). Usant d’un langage volontairement banal qui met à nu une dimension quasi biologique, Queneau tisse une poésie du quotidien, évoquant des souvenirs d’enfance et de jeunesse, rapportant l’expérience d’une psychanalyse et racontant une fête de village. Parallèlement, depuis 1929, l’auteur travaille à la rédaction d’une encyclopédie des « fous littéraires » qui, ne trouvant pas d’éditeur, donnera naissance à un nouveau roman, les Enfants du limon, en 1938.

Écriture, pataphysique, cinéma et chanson

Entré aux Éditions Gallimard en 1936, Queneau en devient le secrétaire général en 1941. Entre-temps, il a fait paraître Un rude hiver (1940). Viennent ensuite Pierrot mon ami (1942), sorte de roman policier présentant un univers foisonnant de signes ambigus, Loin de Rueil (1944) et surtout les fameux Exercices de style (1947), qui racontent quatre-vingt-dix-neuf fois la même anecdote en recourant avec humour à des principes de narration, à un vocabulaire ou à un ton à chaque fois différents. Dans les années qui suivent le Journal de Sally Mara (1950), publié sous un pseudonyme, Queneau entre dans une nouvelle période de recherches formelles, fondant notamment le non conformiste Club des Savanturiers (avec Jean Queval et Boris Vian), adhérant au Collège de pataphysique et travaillant à plusieurs adaptations cinématographiques (la Mort en ce jardin, 1956, de Buñuel ; Monsieur Ripois, 1954, avec Gérard Philipe, réalisé par René Clément ; le Dimanche de la vie, 1967, adapté de son propre roman et réalisé par Jean Herman). C’est à cette époque également qu’il fréquente Saint-Germain-des-Prés aux côtés de Boris Vian et qu’il compose des chansons (notamment la célèbre Si tu t’imagines, interprétée par Juliette Gréco). Apprécié par le public, Queneau est aussi reconnu par la critique et par ses pairs, en étant élu en 1951 membre de l’Académie Goncourt. Le succès de Zazie dans le métro (1959), roman adapté au cinéma par Louis Malle dès 1960, témoigne de l’audience importante désormais acquise par Queneau.

Queneau l’encyclopédiste et Queneau l’oulipien

Curieux de tout, véritable esprit encyclopédique, Queneau s’intéresse à toutes les formes de savoir, et plus particulièrement aux mathématiques. Parallèlement à ses activités d’écriture, il coordonne ainsi la conception d’une anthologie des écrivains célèbres, publiée en 1951, puis assure la direction éditoriale de l’Encyclopédie de la Pléiade à partir de 1956. Et surtout, ses explorations du langage et du nombre vont le conduire à créer en 1960, avec François Le Lionnais, l’OUvroir de LIttérature POtentielle (OuLiPo), qui réunira des écrivains et des mathématiciens (auxquels se joindront Georges Perec, Jacques Roubaud et Italo Calvino). Atelier de recherche et d’expérimentation de nouvelles « structures » littéraires, l’OuLiPo élabore de multiples contraintes formelles, considérées comme autant de nouvelles voies pour la création littéraire. C’est le cas de la méthode «S+7», consistant à remplacer chaque mot d’un texte (à l’exception des mots-outils) par le septième qui suit dans un dictionnaire donné. Ainsi Queneau transforme-t-il la fable de La Fontaine, la Cigale et la Fourmi en un autre texte, la Cimaise et la Fraction, devenu célèbre :

 

 

La Cimaise ayant chaponné tout l’éternueur

Se tuba fort dépurative quand la bisaxée fut verdie

Pas un sexué pétrographique morio de mouffette ou de verrat.

Elle alla cocher frange

Chez la fraction sa volcanique

[…]

 

 

Désormais considéré comme un écrivain important, menant de front de multiples activités créatrices, Queneau poursuit son œuvre poétique avec Cent Mille Milliards de poèmes (1961), recueil fondé sur un jeu de découpage qui permet une combinatoire infinie entre les vers de chacun des poèmes, et son œuvre romanesque avec les Fleurs bleues (1965), qui repose sur une structure onirique et utilise certains postulats de la psychanalyse. Parmi les derniers ouvrages publiés de son vivant figurent un roman (le Vol d’Icare, 1968) et des recueils de poésie (Courir les rues, 1967 ; Battre la campagne, 1968 ; Fendre les flots, 1969).