Musset, Alfred de
1810-1857
Ecrivain et poète
français dont l’œuvre dramatique peut être considérée comme la contribution la
plus originale et la plus réussie au théâtre romantique.
Un
enfant du siècle
Débuts
brillants
Né le 11 décembre 1810 à Paris dans un milieu
aisé et cultivé, doué de grandes facilités, le jeune Musset mena une adolescence
dissipée de dandy. Il entreprit des études de droit et de médecine, qu’il
ne termina pas, et fréquenta, dès 1828, le Cénacle romantique chez Hugo
et chez Nodier, où il rencontra notamment Vigny,
Mérimée et Sainte-Beuve.
Précoce, brillant,
célébré, il publia son premier recueil de vers, Contes d’Espagne et d’Italie
(1829), à l’âge de dix-neuf ans et remporta un succès immédiat. Malgré cette
gloire précoce, il connut une infortune relative avec ses pièces de théâtre,
telles la Quittance du diable, qui ne put être représentée, et la
Nuit vénitienne (1830), qui fut un échec retentissant. La mort de son père
en 1832 l’amena à se consacrer entièrement à la littérature et à en faire son
métier.
Auteur doué et sûr de son
talent, il fut cependant profondément blessé et échaudé par l’échec de la
Nuit vénitienne!; il décida alors que les pièces qu’il
écrirait seraient désormais destinées non pas à la représentation, mais — fait original et presque unique dans
la littérature française —, exclusivement à la lecture. Parmi les comédies de mœurs romantiques
qu’il publia entre 1932 et 1934, À quoi rêvent les jeunes filles, la Coupe
et les Lèvres et Namouna, furent regroupées sous le titre Un
spectacle dans un fauteuil, qui traduisait son choix d’écrire un théâtre
destiné à être lu chez soi et non pas représenté. Les
Caprices de Marianne (1833), Fantasio (1834) et On
ne badine pas avec l’amour (1834) [voir fiche de
lecture] virent le jour sous la forme de livrets.
Passion
et chefs-d’œuvre
En 1833, Musset rencontra
celle qui devait être le grand amour de sa vie, la romancière George
Sand, de sept ans son aînée. Tumultueuse, orageuse, leur relation s’interrompit
momentanément en 1834, lorsque George Sand entama une nouvelle liaison avec
le docteur Pagello, qui soignait Musset lors de leur voyage en Italie à
Venise. En 1835, après plusieurs ruptures violentes, cette passion prit définitivement
fin, laissant à Musset la douleur d’un échec sentimental cuisant, mais donnant
à son œuvre une profondeur qui lui manquait encore.
À la fin de l’année 1834,
il enrichit son théâtre d’un chef-d’œuvre, le drame historique Lorenzaccio,
puis du Chandelier,
l’année suivante. Dramaturge incompris, il avait en revanche obtenu un immense
succès, en 1833, avec son poème romantique Rolla : le cycle des Nuits, écrit
après sa rupture et ancré dans son expérience sentimentale, conforta sa réputation
de grand poète. Cette œuvre allégorique, où le poète dialogue avec sa Muse,
parut de 1835 à 1837 (la Nuit de mai, la Nuit de décembre, la Nuit d’août,
la Nuit d’octobre), et comporte quelques-unes de ses meilleures pages.
Refusant la mission sociale de l’écrivain prônée par le nouvel esprit romantique,
il y privilégiait l’émotion, s’attachant à décrire la variété et la complexité
des sentiments qui accompagnent la passion amoureuse.
Également composée après
la passion, son œuvre narrative principale, la Confession d’un enfant du
siècle (1836), est une autobiographie romancée qui, avec quelque emphase et
quelque complaisance, analyse l’âme tourmentée du poète. On y trouve surtout
l’expression du sentiment de trahison que ressentait la génération de 1830,
celle qui vit ses espoirs anéantis par l’échec du soulèvement de Juillet et son
avenir confisqué par les notables de la monarchie Louis-philipparde.
Dernières
années
Malade et épuisé précocement,
Musset poursuivit ensuite sa carrière d’auteur dramatique avec de nouvelles
pièces, moins réussies que les précédentes, telles que Il
ne faut jurer de rien (1836), Il faut qu’une porte soit ouverte
ou fermée (1845), On ne saurait penser à tort (1849). En 1838,
il avait été nommé conservateur d’une bibliothèque ministérielle, ce qui lui
permit de mener une vie tout à fait décente quoique moins brillante qu’à ses
débuts. La perte de son emploi, en 1848, sans le réduire à la misère, le conduisit
à écrire des œuvres de commande. En 1852, il fut élu à l’Académie française,
alors que le public s’était détourné de lui, que son théâtre commençait timidement
à être représenté et qu’il n’écrivait pratiquement plus. Il mourut à Paris
le 2 mai 1857.
Œuvre
de Musset
La fin de la vie de
Musset et son immédiate postérité, le mépris dans lequel l’a tenu la nouvelle
génération littéraire sont révélateurs du malentendu régnant sur son œuvre. Or,
l’image souvent admise d’un poète romantique sentimental, mièvre ou larmoyant,
ne doit pas faire illusion. S’il céda effectivement à une mollesse naturelle
qui lui faisait préférer les plaisirs faciles et les agréments immédiats, s’il
sacrifia dans son œuvre même à une certaine complaisance, Musset éprouvait
aussi une sincère et profonde aspiration vers l’art et la pureté. Il avait en
outre pleinement conscience de ses faiblesses, sans parvenir toujours à les
surmonter. Son théâtre et sa poésie sont nourris des tourments que lui
inspirait ce déchirement entre compromission et pureté, facilité et travail, et
c’est par cela que ses œuvres les plus réussies ont pu être reconnues par la
postérité.
Complexité
de l’œuvre
L’originalité de l’auteur
des Caprices de Marianne
ou de Lorenzaccio
réside précisément dans l’ironie, désespérée mais mordante, qui équilibre
toujours chez lui l’expression romantique du mal de vivre, ou du désarroi
de ses personnages. Car le désespoir, chez Musset, et le sentiment du tragique,
proviennent surtout d’un sentiment du vide de l’existence, et du vertige devant
la fausseté de la vie, l’impuissance du langage à communiquer, à dire le vrai,
à saisir le monde. Autant que d’un lyrique, son inspiration est celle d’un
moraliste lucide, qui scrute les contradictions, indépassables et destructrices,
de l’être humain. Il analyse avec pessimisme, à partir de sa propre expérience,
les difficultés de la sincérité, de l’amour, de l’honneur et de l’engagement
politique.
Un
chef-d’œuvre, Lorenzaccio
Longtemps méconnu, son
drame en cinq actes et en prose
Lorenzaccio (qui ne fut représenté qu’en 1896) est un des chefs-d’œuvre
du théâtre romantique, tant par la complexité de sa structure que par le caractère
exceptionnel du personnage principal.
Inspirée de l’histoire
de Florence au temps des Médicis — et probablement de chroniques florentines
authentiques —,
l’intrigue met en scène le personnage de Lorenzo, jeune cousin du duc régnant,
Alexandre de Médicis. Personnage de bouffon et de lâche, Lorenzaccio médite en
secret l’assassinat d’Alexandre, qui doit libérer sa patrie et porter au
pouvoir les républicains. Pour ce faire, il renonce à son honneur et à sa
réputation :
il s’insinue dans les bonnes grâces du tyran et se met au service de ses
caprices. Mais le geste de Lorenzaccio, dérisoire, n’aura pas d’autre effet que
de faire basculer le pouvoir aux mains d’un autre clan, et n’entraîne aucun
changement politique radical. Honni, calomnié, le jeune homme voit sa tête mise
à prix et s’offre lui-même au couteau de ses assassins. Il se trouve du même
coup renvoyé aux oubliettes de l’histoire et à la vanité désespérante de
l’action politique.
On le voit, cette
réflexion amère et cruelle sur la vanité de toute action humaine est une
transposition limpide des sentiments de l’auteur sur la révolution ratée de Juillet 1830. Figure emblématique de
l’imaginaire mussetien, Lorenzaccio, prisonnier du masque de vice par lequel il
comptait s’élever à la vertu d’un acte héroïque, est sans doute une des figures
les plus marquantes du théâtre français.